www.fgks.org   »   [go: up one dir, main page]

Gérer l'imprévision dans les marchés publics

Page 1

Pratique du droit

Gérer l’imprévision dans les marchés publics

Pratique du droit

Depuis 2020, les acheteurs publics et les entreprises sont confrontés à de fortes fluctuations des prix et à des pénuries parfois durables qui entravent l’exécution des marchés publics. Face à cette situation, et au-delà des stipulations contractuelles, la théorie de l’imprévision est le seul droit dont bénéficie le titulaire d’un marché public pour surmonter ces difficultés.

Par ailleurs, de nouvelles possibilités sont offertes par le droit de la commande publique permettant de modifier les conditions financières des contrats. Cet ouvrage, à la fois théorique et pratique, présente de manière synthétique : – le champ d’application, les conditions et les effets de la théorie d’imprévision ; – les critères de distinction de cette théorie par rapport à la force majeure, les sujétions imprévues, etc. ; – le cadre juridique permettant de modifier les clauses financières d’un marché en cours d’exécution ; – les modalités de rédaction ou de modification des clauses de révision de prix, notamment pour les contrats futurs, afin de prévenir d’éventuels contentieux. Enfin, un modèle d’accord transactionnel détaillé, des modèles de clauses contractuelles (clause d’imprévision, clause de rendez-vous, etc.), de nombreux exemples et des cas pratiques permettent d’anticiper les bouleversements contractuels et de gérer efficacement les imprévus.

Alexandre Riquier

Cette théorie permet, lorsque survient un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre d’un contrat, au cocontractant de l’administration, qui en poursuit l’exécution, de bénéficier d’une indemnité.

Gérer l’imprévision dans les marchés publics

Alexandre Riquier est avocat au Barreau de Paris depuis 2011. Il accompagne, conseille et représente de nombreux acheteurs publics ainsi que des entreprises en droit de la commande publique. Il enseigne à l’université Paris II Panthéon-Assas et dispense des formations juridiques aux professionnels de l’achat public.

Cet ouvrage s’adresse à tous les praticiens des contrats publics : juristes et avocats, agents publics chargés de la passation et de l’exécution des marchés publics, entreprises soumissionnaires ou exécutant des marchés publics.

ISSN 2267-0149 ISBN 978-2-281-13642-5

Gérer l’imprévision dans les marchés publics

Révision de prix – Avenant – Indemnisation Alexandre Riquier


Sommaire Introduction..............................................................................................

7

Partie 1

Appliquer la théorie de l’imprévision..........................................

9

Chapitre 1

Contours juridiques de la théorie de l’imprévision.......................

11

Chapitre 2

Champ d’application de la théorie de l’imprévision......................

23

Chapitre 3

Conditions de la théorie de l’imprévision.......................................

31

Chapitre 4

Conséquences de la mise en œuvre d’une clause de révision de prix...............................................................................

61

Chapitre 5

Effets de l’imprévision........................................................................

65

Chapitre 6

Mise en œuvre temporaire de la théorie de l’imprévision......... 119

Partie 2

Solutions alternatives ou complémentaires à la théorie de l’imprévision................................................................................... 123

Chapitre 7

Mesures d’exécution du contrat...................................................... 125

Chapitre 8

Possibilité pour les parties de signer un avenant....................... 157

Chapitre 9

Principe de la modification des clauses financières du contrat............................................................................................. 167

Chapitre 10

Modifications des clauses financières en raison de circonstances imprévues............................................................. 173

Chapitre 11

Modifications de faible montant....................................................... 201 Annexes : cas pratiques.................................................................... 211 Index........................................................................................................ 219 Table des matières..................................................................................... 221

5

GMP_.indb 5

12/12/2023 11:26


CHAPITRE 1 Contours juridiques de la théorie de l’imprévision

Il s’agit de savoir déterminer, en théorie et en pratique, lorsqu’une situation relève de la théorie de l’imprévision et la manière de réagir pour chacune des parties. Les sources de la théorie de l’imprévision sont minces et il est nécessaire d’avoir recours en grande partie à la jurisprudence, souvent ancienne, sur le sujet. La maîtrise de ces sources, et des conditions permettant de faire appel à la théorie de l’imprévision, est impérative pour mener des négociations efficaces et sécuriser la rédaction d’un protocole d’accord transactionnel, et ce alors que le contrat est souvent toujours en cours d’exécution.

1.1

Sources et définition de la théorie de l’imprévision

La théorie de l’imprévision, aujourd’hui codifiée à l’article L. 6 du Code de la commande publique, est d’origine exclusivement prétorienne(1). 1.1.1

Origine prétorienne

Dans les faits, à l’origine de ce grand arrêt de la jurisprudence administrative, la Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux cherchait à obtenir de la ville de Bordeaux qu’elle supporte le surcoût résultant pour elle de la très forte augmentation du prix du charbon (matière première de la fabrication du gaz). Le prix du charbon avait, en effet, été multiplié par cinq entre la signature de la concession d’éclairage et l’année 1916(2). (1) CE 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux dite « Gaz de Bordeaux », n° 59928. (2) Entre 23 et 28 francs la tonne au moment de la signature du contrat, puis 35 en janvier 1915 à 117 francs en mars 1916. 11

GMP_.indb 11

12/12/2023 11:26


Gérer l’imprévision dans les marchés publics

Cette très forte augmentation était due à la Première Guerre mondiale et, plus particulièrement, à l’occupation par l’ennemi des grandes régions productrices de charbon en Europe continentale ainsi qu’aux difficultés, de plus en plus considérables, de transports maritimes à raison tant de la réquisition des navires que du caractère et de la durée de la guerre maritime. Elle saisit d’abord le conseil de préfecture de la Gironde en première instance, alors que les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel n’existaient pas encore, pour formuler cette demande, puis en appel, le Conseil d’État. À cette occasion, le Conseil d’État a, dans un premier temps, rappelé qu’un contrat administratif, ici une concession, règle de façon définitive les obligations entre les parties (dans ce cas, le concessionnaire et le concédant), et ce jusqu’à son expiration. Ainsi, en principe, le concessionnaire est tenu d’exécuter le service prévu dans les conditions précisées au traité de concession et se trouve rémunéré par la perception sur les usagers des taxes qui y sont stipulées. Il en a déduit que la variation du prix des matières premières du fait des circonstances économiques constituait un aléa normal du marché. Cet aléa doit être assumé par le cocontractant de l’administration, à ses risques et périls. Chaque partie, et c’est toujours le cas dans le droit positif, est réputée avoir tenu compte de cet aléa du marché dans ses calculs et prévisions qu’elle a faits avant de s’engager, et notamment au moment de la formation de son prix. Toutefois, le Conseil d’État, tenant compte de l’argumentation du concessionnaire, a considéré que, lorsque l’économie du contrat se trouvait absolument bouleversée du fait d’évènements que les parties ne pouvaient prévoir, le concessionnaire ne pouvait pas être tenu d’assurer le fonctionnement du service dans les conditions prévues à l’origine. Ce bouleversement était alors démontré, selon le Conseil d’État, d’une part, par la hausse survenue au cours de la Première Guerre mondiale du prix du charbon, pour atteindre une proportion telle qu’elle présentait un caractère exceptionnel « dans le sens habituellement donné à ce terme » et, d’autre part, cette hausse entraînait une augmentation du coût de la fabrication du gaz qui dépassait les limites extrêmes des majorations ayant pu être envisagées par les parties lors de la passation du contrat de concession. Ce bouleversement constituait alors une situation anormale. Le Conseil d’État a donc décidé que la compagnie restait tenue d’assurer le service, pour tenir compte de l’intérêt général et assurer la continuité du service à l’aide de tous ses moyens de production, mais qu’elle avait un droit à être indemnisée de la part des conséquences pécuniaires de la situation qui excédait l’aléa économique normal, pour mettre fin à ces difficultés temporaires. À défaut d’accord entre les parties sur le montant de cette indemnité, elle serait fixée par le juge. Cette solution, bien que précisée dans la jurisprudence ultérieure, est constante depuis 1916(3). Elle doit être appréciée à la lumière du droit positif et ne pas contrevenir au droit de la commande publique. (3) Voir pour un exemple plus récent : CE 21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419155. 12

GMP_.indb 12

12/12/2023 11:26


Contours juridiques de la théorie de l’imprévision – Chapitre 1

1.1.2

Fondement de la théorie de l’imprévision

Le fondement de la théorie de l’imprévision est la nécessité d’assurer la continuité du service. Quelles que soient les difficultés financières qu’il rencontre dans l’exécution du contrat administratif, le cocontractant de l’administration doit en poursuivre l’exécution. Seule une situation de force majeure pourrait justifier qu’il ne puisse pas exécuter ses engagements contractuels. À défaut, il commettrait une faute contractuelle, pouvant emporter des sanctions et en particulier la résiliation du contrat par l’administration à ses torts. En se prévalant des difficultés économiques qu’il pourrait rencontrer pendant l’exécution du contrat, le cocontractant se priverait également du bénéfice de la théorie de l’imprévision et donc de l’indemnité correspondante(4). Cette nécessité de continuité du service reste le fondement actuel de la théorie de l’imprévision. C’est notamment pour cette raison que les conventions d’occupation du domaine public ne donnent pas lieu à l’application de la théorie de l’imprévision : l’occupant n’étant pas présent sur le domaine pour assurer un service public dont l’exécution devrait être continue(5). 1.1.3

Consécration par le Code de la commande publique

La théorie de l’imprévision a été codifiée dans le Code de la commande publique, applicable depuis le 1er avril 2019. Le 3° de l’article L. 6 du Code de la commande publique, qui fixe la définition de la théorie de l’imprévision, ainsi que les conditions à satisfaire pour en bénéficier, est entré en vigueur dans les termes suivants : « Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité ; ». Il résulte de cette rédaction que le législateur s’est borné à reprendre la jurisprudence du Conseil d’État sur la théorie de l’imprévision(6). Ainsi, il n’a pas entendu déroger aux principes de cette théorie jurisprudentielle. Pour autant, le législateur n’en a pas précisé les conditions d’application. Les dispositions réglementaires du code n’apportent pas plus de précisions. D’ailleurs, dans son avis du 15 septembre 2022(7), le Conseil d’État relève que les dispositions du 3° de l’article L. 6 du Code de la commande publique, à la différence de celles des 1°, 4° et 5° du même article relatives respectivement aux pouvoirs de l’autorité contractante de contrôle sur l’exécution du contrat, de modification unilatérale et de résiliation (4) CE sect., 5 novembre 1982, Société Propétrol, n° 19413. (5) TA Rouen, 28 août 1998, Société Renault, n° 951837, T. Lebon ; Rép. min. à QE n° 34205, de Mme Cécile Muschotti, JO AN, 16 novembre 2021, p. 8306. (6) CE 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n° 59928 ; CE 21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419155. (7) CE avis, 15 septembre 2022, n° 405540, précité. 13

GMP_.indb 13

12/12/2023 11:26


Gérer l’imprévision dans les marchés publics

unilatérale, ne précisent pas que l’indemnisation de l’imprévision est octroyée dans les conditions prévues par le code, qui ne peut en conséquence être regardé comme la régissant. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de rechercher dans le Code de la commande publique des dispositions sur le sujet, en dehors de celles prévues par l’article L. 6 précité, car elles n’existent pas. Ce sont donc les principes que la jurisprudence a dégagés qui demeurent et qui doivent guider l’action de l’administration et les demandes des cocontractants de l’administration, sous réserve de l’appréciation des juges en cas de contentieux. REMARQUE Outre la jurisprudence, sur quelles autres sources les parties peuvent-elles s’appuyer lors d’un litige en rapport avec l’imprévision ?

Les parties pourront en premier lieu tenter de trouver une issue à leurs difficultés en s’appuyant sur l’avis d’Assemblée du Conseil d’État du 15 septembre 2022 relatif aux possibilités de modification du prix ou des tarifs des contrats de la commande publique et aux conditions d’application de la théorie de l’imprévision, bien qu’il ne s’agisse pas d’une décision de justice. Il s’agit de la source juridique la plus sûre pour appréhender un litige en rapport avec l’imprévision. Il peut être utile que les parties prennent également connaissance : – d’une part, de la circulaire du 29 septembre 2022 (dite circulaire « Borne ») relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières et abrogeant la circulaire n° 6338/SG du 30 mars 2022 ; – d’autre part, de la fiche technique de la Direction des affaires juridiques de Bercy relative aux possibilités offertes par le droit de la commande publique de modifier les conditions financières et la durée des contrats de la commande publique pour faire face à des circonstances imprévisibles et articulation avec l’indemnité d’imprévision, publiée le 21 septembre 2022. Elle est publiée sur le site internet du ministère et vise à synthétiser les règles et bonnes pratiques en matière d’imprévision(8). Dans le cas particulier des marchés de restauration, elles pourront se reporter à la circulaire du 30 novembre 2022 sur la prise en compte de l’évolution des prix des denrées alimentaires dans les marchés publics de restauration. Ces sources ne présentent cependant pas de portée législative ou réglementaire. D’autres sources peuvent éclairer les échanges entre les parties, bien qu’anciennes, voire abrogées : – la circulaire n° 6338-SG du 30 mars 2022 (dite, circulaire « Castex ») relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières ; – la circulaire du Premier ministre relative à l’approvisionnement des conditions d’exécution des marchés publics de l’État face aux difficultés d’approvisionnement du 16 juillet 2021 ; – la circulaire du Premier ministre et du ministère de l’Économie et des Finances relative à l’indemnisation des titulaires de marchés publics en cas d’accroissement imprévisible de leurs charges économiques du 20 novembre 1974 ; – la fiche technique de la Direction des affaires juridiques de Bercy relative aux marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières mise à jour le 1er février 2022.

1.1.4

Conformité de la théorie de l’imprévision au droit européen

Régulièrement, et en particulier depuis l’entrée en vigueur du Code de la commande publique le 1er avril 2019, qui est venu, sous l’influence des directives européennes de 2014, encadrer

(8) https://www.economie.gouv.fr/daj/publication-de-lavis-du-conseil-detat-relatif-aux-possibilites-demodification-du-prix-ou-des. 14

GMP_.indb 14

12/12/2023 11:26


Contours juridiques de la théorie de l’imprévision – Chapitre 1

différemment les possibilités de modifier le contrat administratif, la théorie de l’imprévision fait face à des critiques, la première étant qu’elle serait contraire au droit européen. Cependant, le Conseil d’État, dans son avis du 15 septembre 2022(9), souligne qu’il y avait lieu de considérer que le droit à indemnité que détient l’entrepreneur au titre de l’imprévision, en vue d’assurer la poursuite de l’exécution du contrat et ainsi la continuité du service public, n’est pas remis en cause par les dispositions issues des directives du 26 février 2014 permettant et encadrant la modification des marchés publics ou des contrats de concession en cours, qui ne créent qu’une faculté pour le titulaire d’un marché ou le concessionnaire de demander la modification de son contrat, notamment lorsqu’elle est rendue nécessaire par des circonstances imprévisibles. Il ajoute qu’inversement, ce droit à indemnisation extracontractuel ne fait pas obstacle à la mise en œuvre de la modification du contrat. Par conséquent, la théorie de l’imprévision, vieille de plus de cent ans, n’a pas disparu et elle est bien conforme, selon le Conseil d’État, au droit européen. 1.1.5 Absence d’équivalent au profit de l’administration Seule l’entreprise qui a contracté avec l’administration, c’est-à-dire le titulaire dans le cas d’un marché public, peut se prévaloir utilement de la théorie de l’imprévision à l’égard de son cocontractant et devant le juge administratif. L’administration ne peut s’en prévaloir et il n’existe pas d’équivalent à son bénéfice. Dès lors, la personne publique ne peut pas invoquer une diminution imprévisible du coût supporté par l’entreprise pour solliciter une baisse des prix(10). La question pourrait cependant se poser dans le cas d’un contrat conclu entre personnes publiques et, bien que ce point ne soit pas tranché par la jurisprudence dans un sens ou dans l’autre, il semble que rien ne s’opposerait à ce que la théorie de l’imprévision bénéficie à la personne publique qui fournit les prestations.

1.2

Distinction entre théorie de l’imprévision et sujétions imprévues

Les sujétions imprévues, bien connues des acteurs des marchés de travaux, sont parfois confondues avec la théorie de l’imprévision. Pourtant, bien que proches, notamment car la théorie de l’imprévision s’inspire de celle des sujétions imprévues, ces notions ne répondent pas aux mêmes difficultés rencontrées au cours de l’exécution des prestations et n’apportent pas les mêmes réponses juridiques et indemnitaires.

(9) Ibid. (10) CE 15 février 1967, ONIC c/Société Douillet et Fils, nos 64692 et 64734. 15

GMP_.indb 15

12/12/2023 11:26


Gérer l’imprévision dans les marchés publics

1.2.1

Filiation entre la théorie de l’imprévision et les sujétions imprévues

La solution résultant de la décision « Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux », nouvelle en ce qui concerne un fait imprévu ayant des conséquences économiques anormales, s’inspire des nombreuses décisions qui avaient été rendues les années précédentes, en matière de travaux publics, lorsque les entrepreneurs avaient rencontré des difficultés d’ordre matériel, exceptionnelles et imprévues, ayant des conséquences sur l’exécution normale du contrat(11). Le commissaire du Gouvernement Pierre Chardenet dans l’affaire « Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux » avait d’ailleurs proposé dans ses conclusions d’appliquer ces mêmes principes : « On se trouve en présence de charges dues à des évènements que les parties contractantes ne pouvaient prévoir, et qui sont telles que, temporairement, le contrat ne peut plus être exécuté dans les conditions où il est intervenu. Le service public n’en doit pas moins être assuré – l’intérêt général l’exige – et le contrat doit subsister. La puissance publique, le concédant, aura à supporter les charges qui nécessite le fonctionnement du service public et qui excèdent le maximum de ce que l’on pouvait admettre comme prévision possible et raisonnable par une saine interprétation du contrat ». La théorie de l’imprévision, qui renvoie à l’existence d’aléas économiques, doit pourtant être distinguée de celle des sujétions imprévues qui, en pratique, et à la différence de l’imprévision, se caractérise par un fait matériel – et non directement économique donc – qui entraîne l’utilisation de techniques plus onéreuses ou des travaux supplémentaires indispensables et par conséquent un surcoût important. 1.2.2

Notion de sujétions imprévues

Contrairement à la théorie de l’imprévision, la notion de sujétions imprévues renvoie à des sujétions techniques. Ainsi, constituent des sujétions imprévues les difficultés matérielles rencontrées par les parties lors de l’exécution d’un contrat. Elles doivent présenter un caractère exceptionnel, imprévisible lors de la conclusion du contrat et avoir une cause extérieure aux parties(12). En d’autres termes, les sujétions techniques imprévues sont celles qu’ignoraient les parties, mais qu’elles ne pouvaient pas prévoir non plus, dans leur survenance ou leur ampleur, et qui entraînent l’utilisation de techniques plus onéreuses ou la réalisation de travaux supplémentaires indispensables. Comme pour la théorie de l’imprévision, ces sujétions doivent bouleverser l’économie du contrat s’il s’agit d’un marché à prix forfaitaire(13). En revanche, cette condition n’est pas requise dans le cadre d’un marché à prix unitaire(14).

(11) Voir, par exemple, CE 3 février 1905, Ville de Paris : pour des nappes d’eau exceptionnellement importantes. (12) CE 30 juillet 2003, n° 223445 ; CAA Versailles, 30 mai 2023, n° 23VE00234. (13) CAA Douai, 6 mai 2010, n° 06DA00063. (14) CE avis, 15 septembre 2022, n° 405540 ; CE 25 mars 2020, n° 427085. 16

GMP_.indb 16

12/12/2023 11:26


Contours juridiques de la théorie de l’imprévision – Chapitre 1

EXEMPLE

Sont susceptibles de constituer des sujétions techniques imprévues : – des intempéries ou une crue (par exemple : l’importance exceptionnelle des intempéries qui ont affecté le chantier pendant 164 jours alors que le nombre de journées d’intempéries réputées prévisibles par le marché était de 30 jours(15)) ; – des difficultés des sols liées à des insuffisances des études de sols, des difficultés géologiques ou la présence d’ouvrages enterrés(16).

Il appartient à l’entreprise de prouver la réalité des sujétions imprévues qu’elle invoque. Très souvent, les débats – notamment contentieux – tournent autour de la question de la qualité de l’information donnée par l’administration à son cocontractant : le titulaire a-t-il été informé de manière erronée ou incomplète, ce qui a engendré des difficultés exceptionnelles pour l’exécution du marché ? C’est ainsi que la clause soulignant le caractère indicatif des informations données dans les documents de la consultation et invitant le titulaire à réaliser ses propres études permet à l’administration de s’exonérer de sa responsabilité et qu’il a été jugé que si les stipulations du cahier des clauses techniques particulières indiquaient qu’une entreprise était censée connaître les sujétions existantes, relatives notamment à la nature du terrain, il lui appartenait de vérifier l’exactitude des informations mises à leur disposition par le maître de l’ouvrage dans le cadre de la procédure d’appel d’offres(17). Comme pour la théorie de l’imprévision, le juge réalise en cas de contentieux une appréciation in concreto. Ainsi, une entreprise qui se prévaut des sujétions imprévues alors qu’elle est expérimentée sur le sujet concerné pourra voir son indemnisation réduite ou annihilée car cette circonstance sera prise en compte pour évaluer la responsabilité de l’administration. Il en ira de même si l’entreprise a déjà réalisé des travaux similaires dans un secteur proche(18). 1.2.3

Sujétions exceptionnelles et extérieures aux parties

Outre l’imprévisibilité des sujétions techniques, elles doivent présenter un caractère exceptionnel et être extérieures aux parties(19). Le caractère exceptionnel semble pouvoir être apprécié de différentes manières. Sur le plan matériel, des difficultés rencontrées peuvent justifier le versement d’une indemnisation pour les sujétions imprévues. Il a par exemple été jugé que des difficultés d’exécution rencontrées par une société qui tenaient à la nature du sol destiné à accueillir les fondations qu’elle était chargée de réaliser, extérieures aux parties, étaient également exceptionnelles dès lors que le sol s’était révélé environ quatre cents fois plus résistant que ce qui avait été envisagé initialement(20). Étant précisé que cette circonstance avait conduit à un allongement des délais d’exécution des travaux et de la durée hebdomadaire du travail. (15) CAA Lyon, 29 janvier 1991, n° 89LY00383. (16) Par exemple : la résistance exceptionnelle d’une large zone rocheuse tenant notamment du caractère massif de cette zone : CAA Marseille, 3 mai 2006, n° 02MA00386. (17) CAA Versailles, 28 février 2006, n° 04VE00359. (18) CAA Marseille, 8 janvier 2007, n° 03MA00917. (19) CE 30 juillet 2003, n° 223445. (20) CAA Lyon, 19 octobre 2017, n° 14LY02595. 17

GMP_.indb 17

12/12/2023 11:26


Gérer l’imprévision dans les marchés publics

En parallèle, si des difficultés d’ordre matériel étaient imprévisibles sans présenter de caractère exceptionnel, il semble que les sujétions imprévues peuvent permettre une indemnisation dès lors que le surcoût résultant de ces difficultés matérielles est, quant à lui, exceptionnel. Les sujétions imprévues nécessitent également d’être extérieures aux parties. Ainsi, et comme pour la théorie de l’imprévision, une faute, une imprudence ou une négligence de l’entreprise peut être retenue pour lui refuser le bénéfice d’une indemnisation. C’est notamment le cas si cette dernière n’a pas pris toutes les mesures pour éviter l’aléa ou si les documents du marché devaient lui permettre de l’anticiper, notamment au moment de former son prix, ou encore s’il s’agit d’une entreprise expérimentée sur le sujet. 1.2.4

Conséquences des sujétions imprévues

Pour faire constater les sujétions imprévues, l’entreprise doit adresser un mémoire en réclamation selon les modalités prévues par le CCAG applicable. Le cas échéant, le maître d’ouvrage doit faire le nécessaire pour remédier aux sujétions imprévues dans un délai raisonnable, au risque de supporter toutes les conséquences de l’ajournement des travaux. De plus, si en principe l’entreprise doit être indemnisée de l’intégralité des surcoûts face à des sujétions imprévisibles, les modalités de calcul de cette indemnité laissent à la charge du titulaire certaines sommes. L’indemnisation du préjudice subi à raison de sujétions imprévues survenues au cours d’un chantier ne couvre ainsi ni les aléas normaux du chantier ni une marge bénéficiaire supplémentaire, par rapport à celle incluse dans le prix initial du marché. Dès lors, il convient, pour évaluer le préjudice relatif aux sujétions imprévues, de retrancher de la différence entre le coût final du chantier et le prix revalorisé du marché, le coût des aléas normaux du chantier (environ 5 % du surcoût global du chantier)(21). REMARQUE Le droit à indemnisation du sous-traitant admis au paiement direct qui justifie de sujétions imprévues

Même si un marché public a été conclu à prix forfaitaire, son titulaire a droit d’être indemnisé pour les dépenses exposées en raison de sujétions imprévues, si ces sujétions ont eu pour effet de bouleverser l’économie générale du marché. Un sous-traitant bénéficiant du paiement direct des prestations sous-traitées a également droit à ce paiement direct pour les dépenses résultant pour lui de sujétions imprévues qui ont bouleversé l’économie générale du marché. Toutefois, pour apprécier si des sujétions imprévues apparues pendant l’exécution d’une partie sous-traitée d’un marché ont entraîné un bouleversement de l’économie générale de ce marché, il convient de comparer le montant des dépenses résultant de ces sujétions au montant total du marché et non au montant de la partie sous-traitée(22). Ainsi, des dépenses occasionnées à hauteur de 11 % du montant total du marché n’ont pas pu avoir pour effet de bouleverser l’économie générale du marché.

Dans le cadre d’un marché public, les parties devraient rester soumises, en cas de sujétions imprévues, aux dispositions des articles L. 2194‑1 et R. 2194‑5 du Code de la commande publique, relatives aux modifications pour circonstances imprévues. (21) CE 7 novembre 2008, n° 290699. (22)  CAA Nantes, 20 mai 2022, n° 21NT02307. 18

GMP_.indb 18

12/12/2023 11:26


Contours juridiques de la théorie de l’imprévision – Chapitre 1

La modification envisagée du contrat devrait ainsi être limitée à 50 % du montant initial du marché en cas de sujétions imprévues, ce qui n’était pas le cas sous l’empire du Code des marchés publics. REMARQUE La théorie des sujétions imprévues limitée par le CCAG-Travaux

Le CCAG-Travaux de 2021, comme le précédent, traite du « contenu des prix » à son article 9.1.1. qui stipule que les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l’exécution des travaux et prestations, y compris les frais généraux, impôts et taxes, et assurer au titulaire une marge pour risques et bénéfice. Il ajoute qu’à l’exception des seules sujétions mentionnées dans le marché public comme n’étant pas couvertes par les prix, ceux-ci sont réputés tenir compte de toutes les sujétions d’exécution des travaux et prestations qui sont normalement prévisibles dans les conditions de temps et de lieu où s’exécutent ces travaux et prestations, que ces sujétions résultent notamment : – de l’utilisation du domaine public et du fonctionnement des services publics ; – de phénomènes naturels ; – de la présence de canalisations, conduites et câbles de toute nature, ainsi que des chantiers nécessaires au déplacement ou à la transformation de ces installations ; – des coûts résultant de l’élimination des déchets de chantier ; – de la réalisation simultanée d’autres ouvrages. Ces stipulations, qui accordent une place centrale à la prévisibilité et à l’information dont dispose (ou est censé disposer) le titulaire, ne font cependant pas obstacle à la mise en œuvre de la théorie des sujétions imprévues dès lors que le titulaire parvient à démontrer soit que les sujétions sont d’une ampleur et d’une imprévisibilité telles qu’elles équivalent à un bouleversement de l’économie du marché, soit que les difficultés techniques rencontrées trouvent leur origine dans une carence caractérisée du maître de l’ouvrage(23).

1.3

Distinction entre théorie de l’imprévision et circonstances imprévues

Le Code de la commande publique prévoit, à ses articles L. 2711‑1 et suivants, des dispositions qui s’appliquent en cas de circonstances exceptionnelles. Ce régime est bien distinct de celui de la théorie de l’imprévision, ou même de celui de la modification des contrats sur le fondement des circonstances imprévues fixé par l’article L. 2194‑1 du Code de la commande publique. Ce régime s’applique lorsqu’il est fait usage de prérogatives prévues par la loi tendant à reconnaître l’existence de circonstances exceptionnelles ou à mettre en œuvre des mesures temporaires tendant à faire face à de telles circonstances et que celles-ci affectent les modalités de passation ou les conditions d’exécution d’un marché public. Dans ce cas, un décret peut être édicté et prévoir l’application de mesures listées par le Code de la commande publique aux articles précités au contrat en cours d’exécution, en cours de passation ou dont la procédure de passation n’est pas encore engagée. Cette possibilité a été prévue pour tirer les conséquences de la crise sanitaire, lors de l’entrée en vigueur de la loi n° 2020‑1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique. (23) CAA Bordeaux, 4 mars 2008, n° 06BX01542. 19

GMP_.indb 19

12/12/2023 11:26


Gérer l’imprévision dans les marchés publics

Des dispositions similaires existent pour les concessions, en cas de circonstances exceptionnelles, aux articles L. 3411‑1 et suivants du Code de la commande publique. Ainsi, lorsque les modalités de la mise en concurrence prévues dans les documents de la consultation des entreprises ne peuvent être respectées par l’acheteur, celui-ci peut apporter en cours de procédure les adaptations nécessaires à la poursuite de la procédure, dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats. L’acheteur peut également prolonger les délais de réception des candidatures et des offres pour les procédures en cours d’une durée suffisante pour permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner, sauf lorsque les prestations qui font l’objet du marché public ne peuvent souffrir aucun retard. En application de l’article L. 2711‑5, les marchés publics dont le terme intervient pendant la période de circonstances exceptionnelles peuvent être prolongés par avenant au-delà de la durée prévue par le contrat lorsque l’organisation d’une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre. Dans le cas d’un accord-cadre, cette prolongation peut s’étendre au-delà de la durée mentionnée à l’article L. 2125‑1. Il est aussi prévu que : • Lorsque le titulaire ne peut pas respecter le délai d’exécution d’une ou de plusieurs obligations du contrat ou que cette exécution, en temps et en heure, nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive, il est possible de prolonger le délai d’une durée équivalente à la période de non-respect du délai d’exécution résultant directement des circonstances exceptionnelles. Il faut alors une demande du titulaire présentée avant l’expiration du délai contractuel et avant l’expiration de la période de circonstances exceptionnelles. • Lorsque le titulaire est dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou d’un contrat, notamment lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive : – le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif ; – l’acheteur peut conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, nonobstant toute clause d’exclusivité et sans que le titulaire du marché initial puisse engager, pour ce motif, la responsabilité contractuelle de l’acheteur. L’exécution du marché de substitution ne peut, en revanche, être effectuée aux frais et risques du titulaire initial. Ce dispositif récent devrait être utilisé très exceptionnellement et ne peut pas l’être à la seule initiative de l’acheteur ou de l’autorité concédante, mais nécessite l’édiction préalable d’un décret pour reconnaître des circonstances exceptionnelles au sens de ces dispositions.

20

GMP_.indb 20

12/12/2023 11:26


Contours juridiques de la théorie de l’imprévision – Chapitre 1

1.4

Critique de la théorie de l’imprévision

La théorie de l’imprévision est parfois critiquée. Elle l’est par les juristes, dont certains ont considéré qu’elle n’avait plus vocation à être mise en œuvre, et ce d’autant plus depuis que les cas dans lesquels il est permis de modifier un marché public ont été sérieusement restreints. Ils le sont depuis les directives 2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014 et l’entrée en vigueur des articles L. 2194‑1 et R. 2194‑1 et suivant du Code de la commande publique. Elle l’est aussi par les parties, qui lui reprochent de ne pas être assez encadrée juridiquement, ce qui crée d’importantes difficultés pratiques et une insécurité juridique notamment pour les autorités contractantes qui n’ont souvent pas les compétences en interne pour vérifier les demandes de leurs cocontractants. Cependant, la théorie de l’imprévision est codifiée dans le Code de la commande publique et, bien que peu encadrée par les textes, elle demeure un droit pour les entreprises qui contractent avec l’administration, et parfois en dehors de la commande publique. Elle repose également sur une jurisprudence bien établie dans ses principes, ce qui réduit cette insécurité pour les parties les mieux renseignées. De plus, pour le moment, la juridiction administrative reste fidèle à la théorie de l’imprévision, qu’elle a elle-même créée. Elle a encore été éclairée par l’avis du Conseil d’État du 15 septembre 2022(24) et s’accompagne d’une série de possibilités alternatives ou cumulatives offertes par le Code de la commande publique, telles que les modifications des clauses financières des contrats. Cette théorie s’est même étendue, selon des modalités différentes, aux contrats de droit privé en application de l’article 1195 du Code civil, qui fixe les principes de la révision pour imprévision.

(24) CE avis, 15 septembre 2022, n° 405540. 21

GMP_.indb 21

12/12/2023 11:26


Pratique du droit

Gérer l’imprévision dans les marchés publics

Pratique du droit

Depuis 2020, les acheteurs publics et les entreprises sont confrontés à de fortes fluctuations des prix et à des pénuries parfois durables qui entravent l’exécution des marchés publics. Face à cette situation, et au-delà des stipulations contractuelles, la théorie de l’imprévision est le seul droit dont bénéficie le titulaire d’un marché public pour surmonter ces difficultés.

Par ailleurs, de nouvelles possibilités sont offertes par le droit de la commande publique permettant de modifier les conditions financières des contrats. Cet ouvrage, à la fois théorique et pratique, présente de manière synthétique : – le champ d’application, les conditions et les effets de la théorie d’imprévision ; – les critères de distinction de cette théorie par rapport à la force majeure, les sujétions imprévues, etc. ; – le cadre juridique permettant de modifier les clauses financières d’un marché en cours d’exécution ; – les modalités de rédaction ou de modification des clauses de révision de prix, notamment pour les contrats futurs, afin de prévenir d’éventuels contentieux. Enfin, un modèle d’accord transactionnel détaillé, des modèles de clauses contractuelles (clause d’imprévision, clause de rendez-vous, etc.), de nombreux exemples et des cas pratiques permettent d’anticiper les bouleversements contractuels et de gérer efficacement les imprévus.

Alexandre Riquier

Cette théorie permet, lorsque survient un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre d’un contrat, au cocontractant de l’administration, qui en poursuit l’exécution, de bénéficier d’une indemnité.

Gérer l’imprévision dans les marchés publics

Alexandre Riquier est avocat au Barreau de Paris depuis 2011. Il accompagne, conseille et représente de nombreux acheteurs publics ainsi que des entreprises en droit de la commande publique. Il enseigne à l’université Paris II Panthéon-Assas et dispense des formations juridiques aux professionnels de l’achat public.

Cet ouvrage s’adresse à tous les praticiens des contrats publics : juristes et avocats, agents publics chargés de la passation et de l’exécution des marchés publics, entreprises soumissionnaires ou exécutant des marchés publics.

ISSN 2267-0149 ISBN 978-2-281-13642-5

Gérer l’imprévision dans les marchés publics

Révision de prix – Avenant – Indemnisation Alexandre Riquier


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.