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Loin d’être rétablies des actes criminels qu’elles ont vécus, elles n’auront plus droit à l’IVAC

Une femme regarde dans le vide, l'air mélancolique.

La mère de Norah et Romy Carpentier, Amélie Lemieux, perdra son gagne-pain le 14 octobre prochain. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Amélie Lemieux, dont les deux filles Norah et Romy Carpentier ont été tuées par leur père, sent qu’elle devra arrêter de prendre soin d’elle dès l’automne. Comme d’autres victimes d’actes criminels, le 14 octobre prochain, elle n’aura plus droit aux prestations d’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC).

Ces prestations lui permettaient de souffler un peu, de prendre du temps pour s’en remettre et de faire son deuil à l’abri des pressions financières.

Depuis les événements tragiques survenus en juillet 2020, à Saint-Apollinaire, elle s’est battue pour avoir la vérité et pour que soit tenue une enquête publique. Ces combats terminés, l’année 2024 l’éprouve particulièrement, puisque les émotions refoulées sont finalement sorties d’un coup.

Une lettre reçue récemment lui annonçait qu’une autre tuile allait s’abattre sur elle : elle s’apprête à perdre son gagne-pain.

Le reportage de Gabrielle Proulx.

Si les prestations de l’IVAC pouvaient auparavant être versées tant que la victime en avait besoin, la réforme du programme d’indemnisation adoptée par Québec en 2021 prescrit désormais un délai maximum de trois ans.

Voyant le 14 octobre approcher, des groupes de défense des victimes d’actes criminels sonnent une nouvelle fois l’alarme et exhortent le gouvernement à faire marche arrière sur cette nouvelle disposition.

Ce n’est pas au gouvernement de décider par un délai sans cœur, sans âme et arbitraire que c’est trois ans, a revendiqué samedi l’avocat spécialisé dans la défense des victimes d’actes criminels, Me Marc Bellemare, en conférence de presse. C’est aux thérapeutes de décider ça.

À ses côtés, Émilie Arsenault, la mère de deux garçons tués par leur père à Wendake quelques mois après les sœurs Carpentier, a avoué se sentir abandonnée par l’IVAC alors qu’elle est encore plongée profondément dans la tourmente. Elle prévoit une catastrophe en octobre.

En octobre, l’IVAC fera de moi une victime pour une deuxième fois.

Une citation de Émilie Arsenault

Condamnées à la pauvreté

La détresse n’est pas seulement psychologique et physique, elle est aussi financière, a ajouté Me Sophie Mongeon, avocate spécialisée dans ce type de dossiers.

En 2022, 78,4 % des prestataires de l’IVAC étaient des victimes féminines. Selon Me Mongeon, la nouvelle réforme est discriminatoire. Au bout de trois ans, elle condamne [les victimes] à la pauvreté, juge l’avocate.

Mme Arsenault est éducatrice en CPE, mais il est inconcevable pour elle de retourner au travail, alors que la simple vue d’enfants la ramène toujours aux événements et lui rappelle ses fils. Il m’arrive régulièrement de vouloir les rejoindre, mais mes proches réussissent à me ramener sur terre.

Une femme dehors regarde au loin devant elle, les mains dans les poches de son blouson. Elle est de profil.

Les enfants d'Émilie Arsenault, Olivier et Alex, ont été tués en octobre 2020. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Le chercheur Alexandre Benchaa de l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD) affirme que des dizaines de personnes se sont déjà tournées vers son organisme pour obtenir de l'aide à l'approche de la date butoir. Il ajoute que la situation est un gouffre sans fond dont les six employés ne peuvent voir la fin tant les besoins sont grandissants.

Précision

Le 18 juin, nous avons précisé et attribué à leur chercheur les déclarations sur la hausse des demandes d’aides à l’AFPAD.

Nouveau régime

Amélie Lemieux et Émilie Arsenault ont toutes deux rencontré le ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, mais celui-ci est resté sur ses positions.

La réforme nécessitait que nous fassions des choix. Et ce sont ces choix qui nous permettent aujourd’hui d’indemniser deux fois plus de personnes victimes, a justifié son cabinet par courriel.

Avec cette réforme, le ministère de la Justice croit avoir corrigé de nombreuses lacunes que comportait l'ancien régime.

La nouvelle réforme élargit les conditions d'admissibilité au régime d’IVAC. Elle permet aux victimes de toute infraction contre la personne d’y avoir accès, même si elle a eu lieu à l’étranger. Elle abolit également les délais pour présenter une demande dans les cas de violence sexuelle, conjugale ou subie pendant l'enfance.

Ces dispositions sont saluées par les victimes et les experts, mais le délai de trois ans, lui, ne passe pas.

Ça m’oblige à arrêter de prendre soin de moi, à geler complètement et à retourner travailler, envisage Amélie Lemieux, qui est intervenante dans un centre de services scolaire. À un moment donné, je vais probablement éclater.

Pour elle, il n’est pas question d’avoir recours à l’aide sociale, qui constituerait une autre débarque à ses yeux.

Elle continue d’espérer que le gouvernement réfléchira comme il faut et qu’il aura l’humilité de revenir sur sa décision avant le 14 octobre.

Ce n’est pas une joie de ne pas travailler, ce n’est pas un privilège d’être une victime d’acte criminel

Une citation de Amélie Lemieux

On vit les conséquences d’un geste qui ne nous appartient pas, rappelle-t-elle.

Pour l'instant, Amélie Lemieux et Émilie Arsenault ne savent pas ce qu’elles feront après avoir déposé leur dernier chèque.

D'autres aides offertes, selon le gouvernement

Au lendemain de la publication de notre reportage, le ministère de la Justice nous a fait parvenir une déclaration écrite, soulignant entre autres que le régime de l’IVAC est un régime d’indemnisation et non un régime d’assurance comme celui de la SAAQ. Il ne faut donc pas induire les gens en erreur en comparant ces deux régimes qui sont bien différents.

De plus, selon le Ministère, les personnes victimes ne verront pas leurs aides financières coupées au lendemain du 13 octobre 2024. Elles pourront continuer de recevoir ces aides en vertu des critères de la loi ou accéder aux autres aides financières prévues.

Toutefois, à compter du 13 octobre, l’incapacité totale temporaire (ITT) est remplacée par une aide financière palliant une perte de revenu (AFPPR) ou une aide financière compensant certaines incapacités (AFCCI) pour les personnes victimes sans emploi.

Avec les informations de Gabrielle Proulx et de La Presse Canadienne

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