LES CATHOLIQUES
TRADITIONALISTES
I. Informations générales
Nom du groupe
Catholicisme intégriste / traditionaliste (ou intégrisme / traditionalisme catholique).
Les catholiques intégristes / traditionalistes refusent presque toujours la première appellation, dans une moindre mesure la seconde. Ils se veulent le plus
souvent « traditionnels », « de la Tradition », « attachés à la forme extraordinaire du rite romain ». Seuls quelques groupes ou individualités se revendiquent
de l’intégrisme historique du début du XXe siècle dont le Sodalitium Pianum (La
Sapinière) de Mgr Umberto Benigni1, qui se définissait comme « catholique intégral » ou « intégralement catholique », fut l’archétype. Cependant, si les mots
intégrisme / traditionalisme prêtent à discussion en raison de leur origine et de
leur emploi polémiques, ils sont les seuls actuellement disponibles pour décrire
le phénomène qu’ils veulent cerner.
Dénomination et place dans les courants religieux
Le catholicisme intégriste / traditionaliste est une tendance, une forme, ou encore
une modalité du catholicisme, interprétable historiquement comme une branche du
catholicisme intransigeant ou de l’intransigeantisme catholique, lequel, dans une
pensée apocalyptique (lutte de Dieu et son Église contre Satan et ses suppôts, précisément identifiés : francs-maçons, socialistes, libéraux, juifs, protestants…), rejette
la modernité philosophique, politique, économique et sociale au profit d’une société
reconstruite sur des bases catholiques par des militants organisés sous la conduite
de la hiérarchie. Il est le résidu de cet intransigeantisme désormais minoritaire
1. En 1909, Benigni, sous-substitut de la Secrétairerie d’État, fonde la Sodalité Saint Pie V, surnommée
Sapinière, destinée à coordonner l’action d’organes de presse européens antimodernistes. Il est appuyé par
Pie X. En sommeil après 1914, le SP doit se dissoudre en 1921 lorsque son existence est rendue publique.
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au sein de l’Église catholique romaine, voire qui s’en est séparé. Alors que cette
Église a partiellement transigé avec la modernité lors du concile de Vatican II (en
exploitant ses ressources conceptuelles, elle remplace son projet de « civilisation
chrétienne permettant le salut par la conformation aux principes catholiques » par
celui de « société humaine respectant la loi naturelle et au sein de laquelle l’Église
est médiatrice du salut »), l’intégrisme / traditionalisme, se voulant la plus authentique ou la meilleure — voire la seule — expression du catholicisme, lutte pour
ramener l’Église à l’intransigeantisme, bien que certains de ses éléments évoluent
vers l’acceptation, à des degrés variables, des changements apportés par Vatican II.
Cette contestation, qui se veut conservation, produit, en tant que réappropriation
d’un passé dans un contexte nouveau, une réinterprétation de l’intransigeantisme.
L’intégrisme / traditionalisme peut être divisé en trois galaxies que, l’on pourrait
appeler courants, mouvances ou réseaux (un travail d’appellation serait ici utile :
on ne proposera qu’une approximation à partir des positions exprimées par rapport
au Saint-Siège) :
a. les « auto-exclus » : estimant que l’Église a versé dans l’hérésie avec Vatican II, et
que le siège papal est vacant ou occupé par quelqu’un qui ne peut être pape car hérétique, ils s’affirment « non una cum », « non en communion » avec le pape ; peu
d’entre eux ont été formellement excommuniés ; ils sont extrêmement minoritaires ;
b. les « extérieurs », en communion incertaine avec le Saint-Siège qu’ils jugent
marqué par l’hérésie à des degrés divers : contestant Vatican II et les autorités
catholiques, essayant nolens volens de constituer une société catholique parallèle, voire une Église autonome, ils recherchent plus ou moins un accord avec le
Saint-Siège. Certaines sanctions canoniques individuelles ont été levées, mais
aucun accord n’a été établi entre les organisations les représentant et le SaintSiège ; ils pourraient représenter la moitié de l’intégrisme / traditionalisme ;
c. les « intégrés », en communion avec le Saint-Siège : ayant refusé la rupture
des « extérieurs » avec le Saint-Siège, ou s’étant finalement rapprochés de ce
dernier, ayant obtenu une situation canonique, ils évoluent vers certaines acceptations des conséquences de Vatican II, tout en étant plus ou moins critiques
avec le magistère et la pastorale catholiques depuis Vatican II. Ils pourraient
représenter la moitié de l’intégrisme / traditionalisme.
Du point de vue structurel, ces trois galaxies sont constituées de réseaux, euxmêmes composés d’une multitude d’organisations (laïques ou religieuses / cléricales) et publications, et bordés de marches et de fronts plus que de frontières.
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La circulation entre galaxies d’une part, et entre galaxies et reste du catholicisme
d’autre part, n’est pas insignifiante numériquement — plus faible cependant avec
les « auto-exclus ». Elle a été favorisée depuis 2007 par la liberté de célébration de
la messe selon le rite de 1962 (« forme extraordinaire du rite romain ») accordée
par Benoît XVI. Cette porosité (sous-estimée tant par les organismes des galaxies
que par la hiérarchie catholique) conduit, depuis les années 2000, au développement d’une interface entre catholiques néo-intransigeants, alignés sur l’interprétation romaine de Vatican II, et intégristes / traditionalistes. Ces catholiques néointransigeantistes proposent une interprétation intransigeantiste de Vatican II, et
ont des pratiques spirituelles et des contenus théologiques et culturels traduisant
et réalisant une acculturation partielle à l’intégrisme / traditionalisme.
Ainsi, l’intégrisme / traditionalisme, dans le cas des individus et de certaines organisations et publications, doit être lu en termes d’itinéraires, de gradients et de diffractions
selon les domaines (théologique, spirituel, politique, économique…), entre lesquels
il n’y a pas forcément concordance (intégrisme / traditionalisme dans certains, néointransigeantisme dans d’autres, partielle transigeance dans les derniers). Le critère
de l’assistance exclusive (sauf rares exceptions) à la messe selon le rite antérieur à
1969, s’il discrimine ceux qui relèvent pleinement de l’intégrisme / traditionalisme
de ceux qui y participent à des degrés divers, peut être déjoué dans certains cas.
Dimension internationale
L’intégrisme / traditionalisme, comme toutes les branches du catholicisme, est
présent dans nombre de pays et fonctionne aussi en réseau transnational. Les
groupes et organisations, notamment sacerdotales et religieuses, s’inscrivent et
agissent à une échelle mondiale. La circulation de personnes et d’informations
est relativement intense, plus encore depuis le développement d’Internet.
II. Implantation et population
Estimation du nombre en France
et tendances d’évolution démographique
Les données précises manquent pour peser correctement l’intégrisme / traditionalisme. Une approche partiellement impressionniste, à partir de divers
indicateurs (nombre de prêtres, religieux et religieuses, de lieux de culte, d’institutions d’enseignement…), tendra sans doute à minorer les effectifs, qui sont
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ceux de pratiquants au moins dominicaux (les données ont été collectées en
2016-2017).
Les « auto-exclus » sont peut-être 1 000-1 500, avec une cinquantaine de lieux
de culte (pas desservis tous les dimanches), une dizaine de prêtres actifs (pas
tous français), une trentaine de religieuses (certaines tenant une école) et un
prieuré bénédictin (quelques membres). Pour certains sacrements (ordination,
confirmation), ils font appel à des évêques étrangers en accord avec leurs positions. Certains ont renoncé à la pratique sacramentelle au nom de la foi, ou
fréquentent des rites orientaux catholiques.
Les « extérieurs » rassemblent moins de deux cents prêtres séculiers, deux séminaires (fonctionnant aussi pour le reste du monde), une centaine de religieux
(capucins, dominicains, bénédictins, dont certains prêtres), plus de 320 religieuses
(dominicaines essentiellement), une soixantaine d’institutions d’enseignement (de
la maternelle au supérieur, peut-être 7 à 9 000 élèves), et animent aux alentours
de deux cents lieux de culte (qui ne sont pas toujours actifs tous les dimanches).
Leur grand rassemblement annuel, un pèlerinage à la Pentecôte entre Chartres et
Paris, réunit environ 4 à 6 000 personnes. Pour certains sacrements (ordination,
confirmation), ils bénéficient d’évêques (pas tous français) appartenant à leurs
organisations. On peut les estimer à 40-50 000, ils se jugent plus nombreux.
Les « intégrés » rassemblent quelque 120 prêtres séculiers, un séminaire (fonctionnant aussi pour le reste du monde), plus d’une dizaine de communautés religieuses masculines (environ 350 religieux, essentiellement des moines, aux deux
tiers des bénédictins, dont de nombreux prêtres), moins d’une dizaine de communautés religieuses féminines (environ 300 religieuses, très majoritairement à part
égale des moniales bénédictines et dominicaines), une quarantaine d’institutions
d’enseignement (de la maternelle au secondaire, peut-être 4 à 6 000 élèves) et
disposent d’environ 270 lieux de culte (pas toujours actifs tous les dimanches, dont
150 par des prêtres diocésains). Leur grand rassemblement annuel, un pèlerinage
à la Pentecôte entre Paris et Chartres, réunit environ 8-10 000 personnes (dont
10 % d’étrangers). On peut les estimer à environ 40-50 000 (en prenant en compte
les néo-intransigeantistes fréquentant ponctuellement les messes dans le rite de
1962, mais non ceux pouvant avoir des rapports avec les établissements scolaires).
Rapporté au reste du catholicisme, l’intégrisme / traditionalisme peut être estimé
à environ 5 % des religieux, 2 % des religieuses, 1,5 % des prêtres séculiers, 4 %
d’à peu près 1,9 million de fidèles dominicaux (qui sont 4,5 % des catholiques)
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et moins de 2 % des messes dominicales. En nombre de prêtres, ce serait l’un
des cinq premiers diocèses français, ou l’équivalent de deux diocèses moyens.
À la différence du catholicisme français, mais comme la galaxie charismatique et
néo-intransigeante d’obédience romaine, c’est une galaxie constituée de manière
cohérente depuis les années 1960-1980. Avec une pyramide des âges favorable, elle assure sa reproduction par une fécondité supérieure à la moyenne,
une transmission intergénérationnelle plutôt efficace, et des vocations sacerdotales et religieuses (10-15 ordinations sacerdotales par an, soit aux alentours
de 10-15 % des ordinations françaises).
Rapide historique de la présence du groupe en France
et de son évolution
L’intégrisme / traditionalisme français a connu une progressive marginalisation sociale associée à une consolidation sociologique comprenant des traits
récurrents (rapports complexes à la hiérarchie, pulvérulence et scissiparité,
dialectique entre mobilisation religieuse interne à l’Église et engagement civicopolitique, autonomisation des laïcs face au contrôle clérical).
Au début du XXe siècle, le catholicisme intégral est une constellation inorganisée
appuyée par le pape et plus ou moins relayée dans le catholicisme français. À
la fin des années 1950, l’intégrisme est devenu une galaxie réticulaire en partie
décalée au sein du catholicisme français.
Les hommes et publications des années 1905-1925 qui se veulent, ouvertement
ou tacitement, intégraux, sont peu nombreux et n’appartiennent pas tous au
Sodalitium Pianum. Mais ils disposent d’assises et de relais puissants, à Rome
(le père Henri Le Floch, recteur du Séminaire français de Rome) ou en France. Le
choix politique les divise cependant (partisans de l’Action française pour certains,
opposants pour d’autres). La volonté d’apaisement des tensions entre intégraux
et autres catholiques voulue par Benoît XV ne conduit pas à la disparition des premiers. Au sortir de la Grande Guerre et avec Pie XI, quoique dénoncés avec ardeur
(découverte du Sodalitium Pianum), ils conservent leurs positions et espèrent
une politique de concentration des forces catholiques au service d’une submersion sociopolitique. Cependant, le pape choisit une concentration sous contrôle
papal et épiscopal au service d’une subversion sociocivique. La condamnation
de l’Action française (1926) marque symboliquement le tournant, débouchant
dans la mise à l’écart des intégraux (le père Le Floch doit démissionner).
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Leurs réseaux ne disparaissent cependant pas, et même se renouvellent en partie
(certains anciens élèves d’Henri Le Floch, par exemple). Le contexte particulier
de la Seconde Guerre mondiale leur permet de connaître un nouvel essor qui se
manifeste après 1944 dans la création de publications et organisations fonctionnant plus ou moins en réseau (La pensée catholique d’anciens élèves d’Henri
Le Floch, la Cité catholique et son bulletin Verbe de Jean Masson et Jean Ousset,
Pierre Lemaire et ses publications, Coopérateurs paroissiaux du Christ-Roi [fondés
par l’ancien jésuite espagnol Francesco de Paulo Vallet en 1936]). Bénéficiant
d’appuis romains et français, ils veulent réactiver l’intransigeantisme au sein
d’un catholicisme français cherchant une forme de transigeance théologique et
pastorale, tout au moins aspirant à une mitigation de l’intransigeance romaine, et
cherchent à former une élite laïque autonome au service de l’action sociopolitique
intransigeantiste. Mais ils demeurent minoritaires, et sont rapidement qualifiés
d’« intégristes » et accusés de collusion avec la droite et l’extrême droite.
La guerre d’Algérie permet leur expansion, surtout à partir de 1958. Leur lecture
apocalyptique de la décolonisation (le communisme satanique assaille la civilisation chrétienne) s’associe à une efficace action civico-politique réticulaire (cellules de la Cité catholique, Centre d’études supérieures de psychologie sociale
de Georges Sauge…) que s’approprient les partisans de l’Algérie française et
d’autres catholiques. S’imposent alors des publications et personnages bientôt
ténors de la galaxie intégriste : Jean Madiran et sa revue Itinéraires (1956),
l’abbé Georges de Nantes qui tente la fondation d’une communauté monastique
missionnaire rurale (1958). Ils sont cependant tenus à l’écart par la hiérarchie
même si certains évêques demeurent intellectuellement proches d’eux par souci
d’intégralité doctrinale (Mgr Marcel Lefebvre notamment). L’achèvement de la
décolonisation fait disparaître un de leurs lieux d’action et une partie de leurs
troupes, même s’ils tentent de renouveler leur engagement civico-politique.
À partir de Vatican II, l’intégrisme / traditionalisme connaît une marginalisation
institutionnelle en partie contrariée, associée à une efflorescence organisationnelle et réticulaire :
a. Les engagements coloniaux sont immédiatement (ou presque) relayés par l’entrée
dans la critique de, et la participation à, la décomposition-recomposition du catholicisme qu’est la mise en œuvre de Vatican II. Sans être négligés (congrès de l’Office
international des œuvres de formation civique et d’action culturelle selon le droit
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naturel et chrétien, nouveau nom de la Cité catholique en 1963), les engagements
civico-politiques sont supplantés par la contestation des pratiques pastorales et
positions doctrinales jugées non conformes à la foi et à Vatican II — le rapport au
communisme focalise en particulier les passions. Les organismes et réseaux déjà
constitués sont rejoints par des publications (Lumière, Courrier de Rome de l’abbé
Raymond Dulac), des maisons d’édition (Diffusion de la pensée française, DPF, 1966),
des prêtres activistes (abbé Louis Coache, père Noël Barbara), des intellectuels (père
Thomas Calmel o.p.) attaquant la forme et le fond de l’aggiornamento, critiqués pour
leur protestantisation, leur libéralisme doctrinal et pratique, leur modernisme, leur
anthropocentrisme… Deviennent hypersensibles le catéchisme, la liturgie — lieu de
fixation, encore plus avec la promulgation du nouvel ordo1 de la messe (1969), vraie
rupture — et Paul VI, jugé par certains libéral, puis hérétique et ayant donc perdu le
trône papal (sédévacantisme). Les liens avec la hiérarchie se distendent, mais les
sanctions canoniques restent limitées (abbé de Nantes, 1966, 1969).
De la fin des années 1960 au début des années 1980 se constitue ainsi
un nouveau milieu catholique. Des réseaux pastoraux alternatifs s’organisent : messes selon l’ordo de 1962 (dans des églises conquises comme
Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Paris, 1977, ou des lieux de culte alternatifs),
catéchisme (en famille ou entre familles), mouvements (Mouvement de la
jeunesse catholique de France, MJCF, 1970), écoles, fondations religieuses (développées le plus souvent par des opposants à l’aggiornamento de leur ordre :
monastère de Bédouin puis du Barroux de Dom Gérard Calvet en 1970…),
pèlerinages (comme depuis 1983 le pèlerinage Paris-Chartres, très rapidement principal rassemblement intégriste / traditionaliste). Ils s’appuient sur
des prêtres refusant immédiatement ou plus tardivement l’ordo de 1969, et,
à partir du milieu des années 1970, sur ceux fournis par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) de Mgr Lefebvre (fondée en 1970), avec son séminaire
d’Écône (Suisse). La FSSPX, profitant du statut de son fondateur, s’engage dans
une politique d’expansion et de prise de contrôle clérical des groupes existant
(dans la lignée de l’Action catholique de Pie XI). Elle devient la première force
du monde intégriste / traditionaliste, reléguant en partie dans l’ombre les
ténors médiatiques et les forces concurrentes (Contre-Réforme catholique de
1. Ordo de la messe, également dit ordinaire de la messe, prières et parties invariables de la messe
dans le rite romain.
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l’abbé de Nantes, qui accuse Paul VI de schisme, hérésie et scandale en 1973 ;
association Credo, de Michel de Saint-Pierre). Les condamnations romaines
de Mgr Lefebvre (1974, 1976) ne stoppent pas l’expansion intégriste / traditionaliste, malgré des tensions internes, notamment avec le développement
d’une tendance sédévacantiste (les pères Barbara et Guérard des Lauriers
— lequel théorise le sédéprivationisme : le pape l’est matériellement mais
pas formellement, 1979-1981) au sein de laquelle certains finissent par se
doter d’évêques (Guérard des Lauriers, 1982).
La concentration sur les questions religieuses n’a pas fait disparaître l’engagement civico-politique (appui à Jean Royer en 1974, lutte contre l’avortement).
Il se réaffirme au début des années 1980 avec la naissance de l’Institut culturel et technique d’utilité sociale (ICTUS) à partir de ce qui reste de l’Office (1981)
ou avec l’activisme de Bernard Antony (centre André et Henri Charlier en 1980,
Chrétienté Solidarité, journal quotidien Présent avec Jean Madiran en 1983,
Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française
et chrétienne [AGRIF], 1984), qui signe l’engagement au Front national d’une
partie des intégristes / traditionalistes. Les questions religieuses demeurent
malgré tout dominantes. Jean-Paul II, qui propose (dans la lignée de Paul VI
après 1968) une lecture néo-intransigeante de Vatican II sans remettre en
cause le concile, facilite le renouvellement des contacts avec la hiérarchie
romaine. Cependant, malgré l’indult autorisant la célébration de l’ordo de
1962 (1984), dont l’application rencontre l’hostilité épiscopale, la réunion
inter-religieuse d’Assise (1986) scandalise une partie du monde intégriste /
traditionaliste. L’absence de confiance empêche ainsi un accord entre la
FSSPX et le Saint-Siège et débouche dans le sacre sans autorisation de quatre
évêques par Mgr Lefebvre (1988), tous immédiatement excommuniés avec
le co-consécrateur, Mgr Antonio de Castro-Mayer (fondateur de la Fraternité
Saint-Jean-Marie-Vianney à Campos, Brésil).
b. Le monde intégriste / traditionaliste se déchire alors. Contestant la validité
des excommunications, la majorité de la FSSPX et les organisations acceptant
les sacres continue la construction de leurs réseaux, même après la mort
de Mgr Lefebvre (1991). Ils sont soumis à une non négligeable pression des
« auto-exclus », qui veulent les rallier à leurs positions que certains radicalisent
(théorisation d’une éclipse de l’Église, fin des années 1990). Mais une minorité de la FSSPX, des organisations religieuses (monastère du Barroux, Fraternité
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Saint-Vincent-Ferrier [FSVF] dont la naissance en 1979 fut liée au père Guérard
des Lauriers et qui a mené des débats théologiques avec le Saint-Siège depuis le milieu des années 1980) et des fidèles acceptent une entente avec le
Saint-Siège, organisée par la commission pontificale Ecclesia Dei chargée des
questions intégristes / traditionalistes. Un réseau « intégré » se développe
alors (Fraternité sacerdotale Saint-Pierre [FSSP], fondée par d’anciens prêtres de
la FSSPX, 1988 ; Institut du Christ Roi Souverain Prêtre [ICRSP], fondé en 1990 ;
écoles, organisations religieuses et laïques — ces dernières bien plus autonomes que dans le monde « extérieur » —, presse…) malgré la réticence des
évêques français à accorder des lieux de culte. Les organisations qui tentent
d’ignorer les sacres connaissent des difficultés de recrutement.
Consolidés au début des années 2000, les « intégrés » bénéficient dès lors
des choix du Saint-Siège : intégration de la Fraternité Saint-Jean-Marie-Vianney
(2002), motu proprio Summorum pontificum (2007) définissant le rite de
1962 comme « forme extraordinaire du rite romain » utilisable de droit. Le
monde « intégré », dont les lieux de culte doublent en moins de cinq ans,
connaît une certaine convergence avec les néo-intransigeants, malgré une
relative méfiance épiscopale. L’engagement romain se retrouve dans les
relations avec les « extérieurs ». La reprise de contacts directs avec la FSSPX
(2000) aboutit à la levée des excommunications de 1988 (2009) et à des
discussions théologico-canoniques (depuis 2009). L’éventualité d’un accord
suscite des réticences dans le catholicisme français, et de fortes tensions
dans la galaxie FSSPX, travaillée par une tentation d’« auto-exclusion » que les
« auto-exclus » alimentent. Elle suscite des ruptures à la FSSPX : exclusions de
partisans (2003-2005) puis d’opposants à un rapprochement (2009-2012,
dont un des évêques, Mgr Williamson, 2012). Les premiers fondent l’« intégré » Institut du Bon Pasteur (IBP, 2006), les seconds bientôt rejoints par
d’autres créent l’Union sacerdotale Marcel Lefebvre (2014) que Mgr Williamson
dote de deux évêques (2015, 2016).
Ainsi, avec l’aggiornamento conciliaire, l’intégrisme / traditionalisme est-il
devenu une tendance proprement dite. Avec le charismatisme et la néointransigeance, il est une des composantes de la vague militante consécutive
à Vatican II.
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Concentration territoriale
Si l’on se fonde sur le critère de la célébration de la messe selon l’ordo d’avant
1969, 95 % des départements possèdent au moins un lieu de culte intégriste /
traditionaliste. L’implantation est plus forte dans un grand quart ouest, la Gironde faisant une transition avec une bande frontalière et littorale s’étendant
de l’Atlantique à l’Italie, le confluent lyonnais servant à un passage vers des
isolats bourguignons, alsaciens et nordiques. La présence est faible dans un
petit quart nord-est et l’ouest et le sud du Massif central.
En fonction de la « tendance », des nuances apparaissent. Les « auto-exclus »
sont plutôt concentrés dans un grand Ouest breton et un grand Sud-Est. Pour
les « extérieurs » (en moyenne deux lieux de culte par département, surtout
la FSSPX), le réseau est plus consistant dans le Nord, en Alsace-Moselle, dans
un petit bassin parisien, dans une bande de la Bretagne à Besançon, dans une
région lyonnaise étendue de Clermont-Ferrand à Grenoble. Les « intégrés »
(presque trois lieux de culte par département) sont bien implantés dans la zone
Rouen-Paris-Dijon-Poitiers-Nantes-Rennes, notamment en région parisienne, et
de Bordeaux à Nice en passant par Montpellier, notamment sur la Côte d’Azur.
Ces implantations résultent de circonstances historiques et du croisement de
plusieurs logiques : métropolisation, terres historiques de catholicité, zones de
forte pratique catholique (ouest parisien, région entre Angers et le Mont-SaintMichel), politiques épiscopales (diocèse de Fréjus-Toulon pour les « intégrés »).
Pour les « extérieurs », elles résultent surtout d’une politique d’implantation
volontariste menée depuis le milieu des années 1970 par la FSSPX.
Composition
La composition socio-ethnique des intégristes / traditionalistes n’a pas fait l’objet
d’enquêtes. Les données parcellaires disponibles conduisent à avancer qu’ils
comptent très minoritairement des populations issues des Antilles ou de l’immigration non européenne, et comprennent surtout des populations de nationalité
française depuis au moins la première moitié du XXe siècle, avec peut-être une
proportion d’individus d’origine aristocratique (réelle ou non) supérieure à la
moyenne.
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Évolution démographique récente et conversions
Sous réserve d’études détaillées, et à partir des éléments actuellement disponibles, on peut avancer l’idée qu’existe un noyau central composé d’individus et
de familles plutôt nombreuses (au-delà de 4-5 enfants, jusqu’à une dizaine et
plus), issus du militantisme « intégriste » des années 1920-1960 et de catholiques rejetant l’aggiornamento conciliaire (son application et bientôt largement
son contenu) et par là acculturés à l’intransigeantisme apocalyptiste. Ce noyau
assure un auto-entretien intergénérationnel par transmission familiale appuyée
sur les structures éducatives développées depuis les années 1970, et par des
vocations religieuses, en particulier sacerdotales. Des familles ou des individualités se sont agrégés plus ou moins à ce noyau à partir des années 1970-1990,
assurant ainsi le renouvellement et l’expansion de la galaxie intégriste / traditionaliste. Elles proviennent notamment de générations socialisées depuis le
pontificat de Jean-Paul II dans un catholicisme néo-intransigeant, et dont le poids
relatif (parmi les fidèles, militants et hiérarques) a crû au sein d’un catholicisme
pratiquant en déclin numérique. Enfin, certains fidèles proviennent de milieux
déchristianisés ou non christianisés (environ 10 % des fidèles rennais de la FSSPX
au début des années 2000). Cette structuration explique que l’intégrisme / traditionalisme est en expansion absolue et relative depuis les années 1960, ayant
réussi à mailler partiellement le territoire, en doublant plus ou moins les autres
institutions catholiques.
III. Autodéfinition et discours
Relations internationales
Opposés fondamentalement à l’œcuménisme et au dialogue inter-religieux, les
« auto-exclus » et les « extérieurs » n’ont pas de relation avec les organisations
chrétiennes et non chrétiennes internationales. La FSSPX a aidé au développement
en Europe orientale de quatre congrégations catholiques rejetant Vatican II (spécialement l’ukrainienne Société sacerdotale Saint Josaphat Kuntsevych [SSJK], fondée
en 2000, de rite slavon ; son fondateur, le père Basil Vodpak, a été excommunié
en 2007 ; une quinzaine de prêtres, et autant de séminaristes). Les « intégrés »
cherchent à orienter l’œcuménisme et le dialogue inter-religieux dans le sens du
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maintien de l’irréductibilité catholique et d’un dialogue entre cultures. Ils n’ont pas,
en tant que tels, de relations institutionnelles avec d’autres confessions chrétiennes
ou d’autres religions.
Structure et courants internes
Les « auto-exclus » se partagent en trois tendances selon leur évaluation canonique et spirituelle de la situation de l’Église catholique :
a. Les sédévacantistes : un prieuré bénédictin (Faverney), une dizaine de prêtres
vagi (exclus de la FSSPX de la fin des années 1970 au milieu des années 2010, ou
ordonnés par des évêques sédévacantistes), disposant souvent de bulletins et de
sites internet ; parmi les publications : Sous la bannière d’Adrien Loubier/Bonnet de
Viller (aussi responsable d’une œuvre scolaire), appui de Rivarol (Jérôme Bourbon) ;
b. Les sédéprivatistes : l’Institut Mater Boni Consilii (issu d’une scission italienne
de la FSSPX en 1985, ayant ouvert un séminaire, publiant le bulletin Sodalitium)
dessert des lieux de culte en région parisienne et dans le sud-est et deux couvents de religieuses (une trentaine de consacrées) dont l’un tient une école ;
c. Les ecclésio-éclipséistes considèrent qu’une fausse Église a occulté la véritable
Église catholique : Amis du Christ Roi de France (Louis-Hubert Rémy), Éditions
Saint-Rémi (Bruno Saglio) ; dans les années 2000, ils développent la thèse
de l’invalidité du rite de consécration épiscopale réformé en 1968, et donc de
l’extinction à terme du sacerdoce valide. Certains sédévacantistes ou « extérieurs » tiennent des propos proches de l’ecclésio-éclipséisme.
Ces tendances polémiquent vigoureusement entre elles (mais le passage d’une position à l’autre est aussi possible) et attaquent violemment les « extérieurs » pour
les rallier à leurs positions. Certains de leurs membres acceptent le terme « sédévacantiste », d’autres se nomment « non una cum », les derniers ont choisi des
auto-appellations variables et non forcément stables (« catholiques semper idem »,
par exemple).
2. Les « extérieurs » comprennent :
a. les groupes issus de Mgr Lefebvre :
– Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X : son district de France domine massivement le monde « extérieur » : 170 prêtres, une quarantaine de frères, une
vingtaine d’oblates, un tiers ordre, 38 « prieurés » servant de paroisses,
35 écoles maternelles et primaires, 15 écoles secondaires, 170 lieux de
culte desservis, une série d’associations et d’œuvres croisant cycle de vie
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et genre, de nombreux bulletins, une maison d’édition, une librairie, une
maison de retraite ;
– Sœurs de la Fraternité Saint-Pie-X (fondées en 1974 par mère MarieGabrielle Lefebvre, sœur de Mgr Lefebvre) : environ 80, 8 maisons ;
– Union sacerdotale Marcel Lefebvre : elle rassemble en France Mgr JeanMichel Faure, six prêtres (dont un bénédictin) et un séminaire (7 séminaristes en 2016) ; apocalyptiste, proche de la Fraternité Saint-Dominique
(voir ci-dessous), radicalement opposée à tout rapprochement avec Rome.
b. Fraternité de la Transfiguration : ordre monastique missionnaire (fondé par l’abbé
Bernard Lecareux, 1970), avec une branche masculine (10 prêtres, 5 frères) et
une féminine (fondée en 1985, 10 sœurs), possédant 4 maisons, desservant
7 lieux de culte et 3 écoles (centre-ouest de la France).
c. Monastères, ordres et congrégations :
– ayant des liens étroits avec la FSSPX : un carmel de stricte observance
(surgeon du carmel de Quiévrain, fondé par mère Marie-Christiane du
Saint-Esprit, sœur de Mgr Lefebvre), un ordre semi-contemplatif (Petites
sœurs de saint François d’Assise, fondées en 1973 par mère Thérèse-Marie
Coache, tiers ordre régulier franciscain, une cinquantaine de religieuses
en trois couvents), des religieuses apostoliques (Petites Servantes de
Saint-Jean-Baptiste : hospitalières, une trentaine de religieuses dans deux
établissements ; Sœurs coopératrices du Christ Roi : 5 religieuses), une
congrégation (Coopérateurs du Christ Roi, du père Jean-Charles Marziac,
érigés en 2007 : destinée à prêcher des retraites selon la méthode du
père Vallet, elle dispose d’un centre, un prêtre, un novice séminariste et
deux frères) ;
– ayant des relations amicales avec la FSSPX : deux monastères bénédictins
(un masculin, Notre-Dame de Bellaigue, établi en 2000, une quinzaine de
moines ; un féminin, Notre-Dame de Toute Confiance, fondé en 1980), des
capucins (fondés par le père Eugène de Villeurbanne en 1972 ; une quarantaine de frères en quatre couvents, desservant trois lieux de culte et
une école), un couvent dominicain (monastère Saint-Joseph, une vingtaine
de religieuses), trois congrégations enseignantes (dominicaines enseignantes du Saint-Nom-de-Jésus et du Cœur Immaculé de Marie, dites de
Saint-Pré, fondées en 1974 : une centaine pour 8 écoles primaires et/ou
secondaires ; dominicaines enseignantes du Saint-Nom-de-Jésus, dites de
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Fanjeaux, fondées en 1975 : une centaine pour 9 écoles primaires et/ou
secondaires ; Œuvre de l’Étoile, du père Maurice Raffali, érigée en 1990,
enseignants masculins tenant une école) ;
– ayant rompu avec la FSSPX (depuis 2014) : Fraternité Saint-Dominique (fondée en 1978, couvent de La-Haye-aux-Bonshommes, une quinzaine de
religieux, une revue théologique, une école).
3. Le monde « intégré » est pluriel :
a. Contre-Réforme catholique (CRC) : deux ordres monastiques missionnaires en
quatre implantations (Petits Frères du Sacré-Cœur de Jésus, environ 50 moines ;
Petites Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus, environ 50 moniales), un tiers ordre laïc
(Communion phalangiste), peut-être 2 000 fidèles ; les censures de l’abbé de
Nantes n’ont jamais été levées avant sa mort, certaines de ses positions théologiques ont été jugées non orthodoxes (voir ci-dessous la rubrique « Textes
fondateurs ») ; la CRC n’est pas considérée comme en communion avec le SaintSiège, mais nombre de sympathisants ou membres fréquentent leur paroisse
et pratiquent donc l’ordo de 1969.
La CRC a connu deux crises internes : une liée à l’engagement politique
(1988-1989) qui voit partir des militants laïcs, l’autre au comportement de
l’abbé de Nantes (par le « baiser mystique », il manifestait physiquement
son affection spirituelle à des dirigées, en le justifiant par une argumentation
théologique, 1989) qui conduit au départ de dix moniales et un frère.
b. Les groupes n’ayant jamais eu de conflits avec le Saint-Siège, existant avant
1988 ou nés après :
– sociétés sacerdotales : Opus Sacerdotale (fondé par le chanoine Catta
en 1964), Institut du Christ Roi Souverain Prêtre (fondé en 1990, dérivé
de l’Opus Sacerdotale, 7 maisons, une trentaine de chanoines présents
dans 23 diocèses, desservant une trentaine de lieux de culte et dirigeant
2 écoles), Société des missionnaires de la miséricorde divine (fondée en
2005 par un prêtre de la FSSP, 5 prêtres, un frère et une dizaine de séminaristes dans le diocèse de Toulon, une antenne à Marseille) ;
– monastères, ordres et congrégations : cinq abbayes bénédictines masculines (de la congrégation de Solesmes : Notre-Dame de Fontgombault [1948,
une soixantaine de moines] et ses fondations : abbayes Notre-Dame de
Randol [1971, une quarantaine de moines], Notre-Dame de Triors [1984,
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une quarantaine de moines], Notre-Dame de Gaussan [1994, une quinzaine
de moines] devenue Notre-Dame de Donezan [2008], Saint-Paul de Wisques
[2013, une vingtaine de moines]), des chanoines réguliers (Opus Mariæ,
fondé par l’abbé Roger Péquigney, 1969, dans le diocèse de Gap, devenus
Chanoines réguliers de la mère de Dieu en 1997, installés à Lagrasse dans
le diocèse de Perpignan en 2004, ils sont 35), un institut d’oblats bénédictins (Institut de la Sainte-Croix, Riaumont, fondé par le père Albert Revet,
1971, une quinzaine de membres) ; deux abbayes bénédictines féminines
(Notre-Dame de Fidélité à Jouques, fondé en 1970, 45 moniales, en partie
passée au rite de 1969 depuis 2014, et qui a fondé à Rosans en 1991
Notre-Dame de Miséricorde, une vingtaine de moniales), des chanoinesses
régulières (Chanoinesses régulières de la mère de Dieu, unies aux Chanoines
réguliers de la mère de Dieu en 2001 tout en conservant leur autonomie, une
vingtaine de membres), un monastère (Victimes du Sacré-Cœur à Marseille,
1843, une quinzaine de moniales), une congrégation enseignante (Institut
des dominicaines du Saint-Esprit, fondé en 1943 par l’abbé Victor-Alain Berto,
une centaine de religieuses tenant six institutions d’enseignement primaire
et secondaire).
c. Les groupes renouant avec le Saint-Siège, existant avant 1988 ou apparus après
1988 à partir de groupes ayant rompu avec le Saint-Siège
– sociétés sacerdotales, issues de la FSSPX :
Fraternité Saint-Pierre : une soixantaine de prêtres, 26 « maisons », desservant 53 lieux de culte dans 35 diocèses, tenant un établissement scolaire,
c’est la principale force sacerdotale du monde « intégré » ; en 1999-2000,
une crise se produit autour de l’exclusive célébration du rite de 1962, que
règle la commission Ecclesia Dei (modification de la gouvernance, pas de
concélébration obligatoire selon le rite de 1969) ;
Institut du Bon Pasteur : une dizaine de membres, un séminaire, 8 lieux de
culte, une école ; en 2012-2013, il connaît une crise interne à l’occasion
du chapitre électif ;
– monastères et congrégations : trois monastères bénédictins (deux masculins : abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, une cinquantaine de moines,
patronne une école, fonde le monastère Sainte-Marie de Lagarde en 2002,
une quinzaine de moines ; un féminin : abbaye Notre-Dame de l’Annonciation du Barroux, fondé en 1979, une petite trentaine de religieuses), un
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couvent dominicain (Fraternité Saint-Vincent-Ferrier à Chéméré-le-Roi, une
quinzaine de religieux).
Les « intégrés » dépendent des politiques épiscopales pour le développement de leurs activités et lieux de culte. Rares sont les paroisses personnelles établies pour le rite de 1962, et l’affectation, la non-affectation ou le
non-renouvellement de lieux de culte selon cet ordo peuvent susciter des tensions locales. L’autonomie laïque est relativement forte, nombre de groupes
et organisations de laïcs se contentant de faire appel à des prêtres pour leurs
activités religieuses. Les œuvres « intégrées » couvrent le champ social selon
des critères de genre, d’âge, de profession, de finalité : écoles (fondées par
des parents), Domus Christiani (couples), Missio (16-22 ans), Juventutem
(participation aux Journées mondiales de la jeunesse), Notre-Dame de chrétienté (pèlerinages, notamment celui de Chartres), le Centre international
d’études liturgiques (« réforme de la réforme » liturgique), Mouvement pour
la paix liturgique (2003, succède à Oremus, veut promouvoir la célébration de
la messe selon l’ordo de 1962 en fonctionnant comme un groupe d’information/
pression/action concertée), La Nef (mensuel d’actualité et de culture fondé en
1988 pour organiser l’expression des nouveaux « intégrés » ; lectorat élargi à
certains néo-intransigeants).
4. Des ensembles balancent entre néo-intransigeantisme et intégrisme / traditionalisme : Fraternité Saint-Thomas-Becket (fondée en 1988, d’inspiration scoute,
marquée par l’influence de J. Ousset, enracinée dans le diocèse de Blois, sa
douzaine de prêtres dessert 7 lieux de culte dans 6 diocèses, et célèbre selon les
rites de 1962 et 1969) ; Petites Sœurs de la Consolation du Sacré-Cœur et de la
Sainte-Face (une dizaine d’anciennes Petites Sœurs du Sacré-Cœur de l’abbé de
Nantes, diocèse de Toulon) ; carmel du Sacré-Cœur et de l’Immaculée Conception
à Alençon (1888, 13 moniales, passées partiellement au rite de 1962 en 2007,
puis intégralement en 2013).
5. Des interfaces entre galaxies existent, à des degrés divers, permettant l’expression ou l’action commune :
– organisations sociociviques, où la partition entre « intégrés » et « extérieurs » est plus marquée) : centre André et Henri Charlier, Renaissance catholique (scission d’avec le centre Charlier en 1988), AGRIF, Ichtus (nouveau
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nom d’ICTUS), Action familiale et scolaire (dérivée de l’Office en 1975), Civitas
(dépendant de la FSSPX), SOS-Tout-petits… ;
– médias : presse quotidienne et périodique (Présent, Monde et Vie, Rivarol…), revues et bulletins (Catholica, fondée en 1987 dans une perspective gramscienne de conquête culturelle ; Lecture et Tradition de DPF…),
radio et télévision (Radio Courtoisie, Gloria. tv, TVLibertés), sites internet
(TradiNews, Le Salon beige, Le Forum catholique, Riposte catholique…) ;
– maisons d’édition : Dominique Martin Morin (fondée en 1967-1971), Diffusion de la pensée française (avec ses bulletins et sa « Journée chouanne »
annuelle), Clovis-Fideliter.
Texte fondateur
1. L’intégrisme / traditionalisme revendique une conformité au catholicisme
intransigeant (bref Quod Aliquantum de Pie VI, encyclique Mirari vos de Grégoire XVI, Syllabus et encyclique Quanta cura de Pie IX, encycliques de Léon XIII,
lettre « Notre charge astotolique » sur le Sillon de Pie X, encycliques Quas Primas
et Mortalium Animos de Pie XI) et antimoderniste (encyclique Pascendi de Pie X).
Il revendique l’application du droit public ecclésiastique construit entre 1850 et
1950 (reconnaissance de l’Église par l’État, tolérance des autres cultes, conformation de la législation à la doctrine catholique). En théologie, il s’appuie sur le
thomisme revivifié au XIXe siècle, notamment dans sa version antimoderniste. En
spiritualité, au long XIXe siècle (dévotion au Sacré-Cœur et à la Vierge, spiritualité
réparatrice, culte de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus), il ajoute les Exercices
spirituels de saint Ignace de Loyola dans la version intransigeantiste du père
Vallet. En liturgie, il s’identifie au missel romain de 1962 (dit de saint Pie V) ou
pour certains « auto-exclus » à celui antérieur aux réformes des années 1950,
en refusant toute modification substantielle au nom de la bulle Quo primum
de Pie V. Il revendique une réforme liturgique inspirée de Dom Guéranger, Pie X
et de l’encyclique Mediator Dei de Pie XII. Pour la catéchèse, il se fonde sur le
catéchisme du concile de Trente et sur celui de Pie X. Il n’ignore pas la dimension
prophétiste et miraculaire, parfois très développée (La Salette, Lourdes, Fatima,
voire des révélations privées). Ces positions sont tenues dans une perspective
apocalyptiste où la France a une vocation catholique.
La contestation / critique de Vatican II vise le contenu du concile (critique/rejet
de « l’anthropocentrisme » et du « néo-modernisme » conciliaires aboutissant à
l’œcuménisme, à la liberté religieuse et à la réforme liturgique, exprimés dans de
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très nombreux ouvrages et textes) et certaines de ses réformes (spécialement en
liturgie, formalisée dans le Bref examen du nouvel ordo missae, 1969, endossé par
les cardinaux Ottaviani et Bacci). Elle aboutit à une critique intransigeantiste de la
majoration du magistère papal : au nom d’une romanité authentique (conformité
doctrinale à l’intransigeantisme) est remise en cause la romanité (doctrinale et
pratique : obéissance au pape même lorsqu’il s’oriente vers une reformulation de
l’intransigeance). Seul l’abbé de Nantes a voulu approfondir la réflexion théologique
intégriste et traditionaliste pour récupérer des éléments de pensée modernes
(projet de Vatican III, métaphysique) et développer la mariologie. Cependant, selon
l’évêque de Troyes (1997), il s’est éloigné de la doctrine catholique sur l’eucharistie
et sur la Vierge (en affirmant que son âme préexistait à la création du monde).
2. Les « auto-exclus » discutent abondamment les positions du père Guérard
des Lauriers et plus largement du cas théologique du pape hérétique, du sens
de « una cum », de la nécessité ou non du sacre d’évêques « auto-exclus », et
du rapport entre pouvoir de juridiction et pouvoir d’ordre. Ils critiquent les « extérieurs » en s’appuyant sur les propos de Mgr Lefebvre pouvant se rapprocher des
leurs. Leur apocalyptisme est très développé, notamment dans une perspective
prophétiste (l’ecclésio-éclipséisme s’appuie sur les révélations publiées en 1879
par Mélanie Calvat, voyante de La Salette en 1846).
Les « extérieurs » de la FSSPX s’appuient sur les très nombreuses prises de position de Mgr Lefebvre (textes, sermons, conférences…) régulièrement citées et
utilisées (et dont ils tentent de contrôler l’usage par les « auto-exclus »). Ils les
prolongent par des études théologiques contre Vatican II (4 congrès théologiques
de 2002 à 2006) et par des synthèses de leurs positions (Le problème de la
réforme liturgique. La messe de Vatican II et de Paul VI. Étude théologique et
liturgique, 2001, De l’œcuménisme à l’apostasie silencieuse. 25 ans de pontificat, 2004).
Les « intégrés » doivent proposer une lecture critique de Vatican II compatible
avec leur insertion canonique dans l’Église. Ils utilisent les textes établissant leur
statut (Ecclesia Dei adflicta, 1988 et Summorum Pontificum, 2007), s’appuient
sur « l’herméneutique de la continuité » de Benoît XVI en 2005. En liturgie, ils
proposent une « réforme de la réforme » en utilisant les positions liturgiques
de Benoît XVI, spécialement lorsqu’il était préfet de la Congrégation pour la
doctrine de la foi. Ils proposent des interprétations des points conflictuels de
Vatican II (liberté religieuse spécialement), cherchant leur compatibilité avec
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le catholicisme intransigeantiste, ou tendant à proposer une lecture intransigeantiste de Vatican II.
La CRC se fonde (presque) exclusivement sur l’abbé de Nantes (textes, discours,
enregistrements audio et vidéo — extrêmement abondants), lu, écouté, cité,
commenté et exploité pour former et entretenir les adhérents, et alimenter son
exceptionnalité, voire son culte.
Formation
La socialisation religieuse selon les cycles quotidien (rythmé par la prière), annuel (liturgique — pratique dominicale et fêtes — et civil — activités des milieux
de socialisation : fêtes et kermesses d’école, rencontres des diverses organisations…), et de cycle de vie (sacrements d’initiation et cérémonies), se réalise
dans une galaxie où l’intégralisme (structuration de toute la vie par la religion)
est fondamental, le contact avec les clercs/religieux-ses important, l’interconnaissance relativement forte et l’exo-fréquentation partiellement limitée (monde
professionnel — donc plutôt les adultes). Les activités cultuelles (célébrations
liturgiques avec prédication, célébration des sacrements), spirituelles (retraites
religieuses, associations pieuses), scolaires, de sociabilité et intellectuelles
(conférences, colloques, journées ou universités d’été…), organisées au sein
des familles, écoles, « paroisses », groupes militants, organisations, sont autant
de modalités de formation, pouvant être spécialisées par âge, genre ou état de
vie. Elles sont prolongées par des publications (périodiques, ouvrages) assurées
par les organisations ou des maisons d’édition. Elles relaient ainsi les activités
de formation doctrinale proprement dites (toujours valorisées, car l’intégrisme /
traditionalisme vise un haut niveau de compétence religieuse) dispensées par
le catéchisme, l’enseignement religieux dans les écoles, les groupes militants
(étudiants, jeunes adultes, militants socio-politiques…) et les organismes
dédiés. Ces deux derniers peuvent à terme fournir des cadres (la FSSPX a développé depuis 2008 une activité de formation à l’exercice de responsabilités), non
sélectionnés en tant que tels mais fruits d’un engagement personnel volontaire.
Le contenu de la formation s’appuie spécialement sur la remise en circulation
et le prolongement des référents théologiques et culturels intransigeantises
(notamment les catéchismes antérieurs aux réformes des années 1950-1960),
et sur la critique de Vatican II et du catholicisme contemporain. Se produisent
donc une forte intégration des habitus, de leurs normes et de leurs valeurs, une
efficace transmission de la pensée intégriste / traditionaliste, une disponibilité
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relativement importante de cadres potentiels et un recrutement régulier pour les
clergés, formés dans des institutions dédiées (séminaires, noviciats) pouvant
être installées à l’étranger.
IV. Participation religieuse
Chiffres
L’intégralisme implique un fort investissement personnel. La pratique religieuse
est conforme aux normes catholiques (dimanche, fêtes d’obligation, communion
et confession relativement fréquentes). La vie quotidienne tend à être structurée
selon le catholicisme, notamment par des pratiques de piété (prières vocales
ou mentales, bénédiction des repas…). Les exercices spirituels annuels, les
pèlerinages, l’appartenance à des congrégations pieuses et des associations
de piété sont aussi pratiqués.
L’investissement en temps dans les groupes constitués, les activités religieuses,
voire les établissements scolaires, est souvent important. Le plus souvent, l’appartenance à des associations est liée à une cotisation. La participation religieuse est libre, et les activités cultuelles ne dépendent d’aucune cotisation
obligatoire, même s’il est d’usage de verser une offrande pour certains rites de
passage (baptême, mariage, obsèques). Conformément à la pratique française
depuis 1905, les fidèles contribuent volontairement à l’entretien du clergé et des
œuvres (quêtes dominicales, contribution volontaire annuelle). Sauf exceptions,
le monde « intégré » ne bénéficie pas du denier du culte diocésain.
Pratiques alimentaires et vestimentaires
L’intégrisme / traditionalisme est aussi une orthopraxie qu’il faut apprendre à
maîtriser. Il réactive les prescriptions antérieures à Vatican II en matière de jeûne
(abstinence des vendredis, jeûne des Quatre-Temps et du Carême, en tendant à
ignorer les pratiques de dispense largement accordées aux XIXe et XXe siècles), et
de rapport plutôt ascétique à la vie sociale (cas de refus de la danse, critique des
musiques d’origine afro-américaines). En réaction à la dérégulation vestimentaire
contemporaine, il insiste sur la dimension genrée et décente de l’habillage lors
des pratiques cultuelles (épaules et jambes couvertes, jupe sous le genou et
souvent mantille pour les femmes — voire pour les fillettes et jeunes filles), dans
l’enseignement (uniforme) et dans la vie courante (ignorance du sportswear).
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Une relative uniformisation vestimentaire peut aussi être observée. Assez largement, c’est une réappropriation réactive de codes en partie abandonnés dans
les années 1960, voire de l’invention d’une tradition. Cependant, les variabilités
individuelles dans l’ascétisme comportemental et l’uniformisation vestimentaire,
partiellement explicables en termes de génération et de rapport à l’autorité cléricale imposant les normes, sont fortes. Les « auto-exclus » insistant le plus
sur des modes de vie distinctifs.
V. Jeunesse
L’investissement dans la jeunesse hérite des pratiques pastorales du catholicisme depuis le développement du « mouvement catholique » dans le dernier
quart fin du XIXe siècle, sans compter l’investissement fort ancien dans l’enseignement. Toutes les tendances possèdent des écoles (voir ci-dessous la rubrique
« Enseignement religieux »), des activités (colonies et camps de vacances,
spécialement en été) et des œuvres de jeunesse, genrées (dès la fin de l’enfance
et pendant l’adolescence) ou mixtes.
Le scoutisme intégriste / traditionaliste s’est construit avec l’autonomisation
de la galaxie intégriste / traditionaliste à partir de la fin des années 1960. Il
comprend des troupes et des organisations autonomes, non affiliées à la Fédération du scoutisme français et souvent non reconnues par l’État. Il a connu des
scissions en fonction de la position des associations scoutes sur l’usage de la
liturgie de 1969 et sur les relations entre les intégristes / traditionalistes et le
Saint-Siège.
Dans le premier cas, les Scouts d’Europe (SDE, fondés en 1958, investis par des
scouts bretonnants en 1962 puis par des membres de l’Office de Jean Ousset
opposés à la réforme pédagogique des Scouts de France de 1964) et les Scouts
Saint-Georges (SSG, fondés en 1968 par d’anciens Scouts de France refusant la
réforme pédagogique de 1964) ont connu des scissions (SDE : troupes lyonnaises
fondant les Scouts et Guides Saint-Louis en 1972, départ régulier de troupes
dans les années 1970 ; SSG : scission en 1980 des Scouts et guides catholiques
de France [SGCDF] qui phagocytent les Scouts et Guides Notre-Dame de France
fondés en 1977 avec l’appui de Mgr Lefebvre) ou crises (SDE : fortes tensions en
2007-2008 lorsque la direction rejette toute utilisation exclusive de la liturgie
de 1962 par les unités qui le voudraient : celles-ci rejoignent alors en nombre
les Europa Scouts, issus d’une scission des SDE en 1986). Dans le second cas,
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les groupes se revendiquant de l’intégrisme / traditionalisme se divisent aussi :
les SGCDF voient surgir les Scouts Godefroy de Bouillon en 1982 (qui s’alimentent
après 1988 au refus des SGCDF de prendre position sur les sacres), puis les Scouts
de Doran en 2003 ; devenus Association française des scouts et guides catholiques, ils disparaissent en 2006.
Les recompositions des enjeux conduisent à des itinéraires compliqués de
troupes et mouvements (ainsi les Scouts de Riaumont qui passent des SDE aux
SSG puis aux SGCDF), sans compter l’existence de groupes locaux (groupe Henri
de La Rochejaquelein, scouts Saint-François-Xavier, groupe Saint-Malo, groupe
Louis-Marie de Lescure). Certains groupes se sont rapprochés de mouvements
reconnus par l’État pour bénéficier de leurs avantages (les Éclaireurs neutres
de France ont ainsi accueilli les Scouts Saint-Louis, les Scouts de Riaumont et
les Europa Scouts).
Certaines congrégations socio-éducatives intégristes / traditionalistes ont pu
bénéficier pour leurs activités d’agrément de l’État : Institut des dominicaines
du Saint-Esprit, Œuvre de l’Étoile, Institut de la Sainte-Croix de Riaumont (issu
de l’action de l’abbé Revet entamée en 1955). Cependant, ces agréments disparaissent au début des années 1980 lorsque changent les conceptions de la
réinsertion des enfants et adolescents. Les congrégations se réorientent alors
vers l’éducation et l’enseignement.
VI. Religion et État
Statut juridique / Rapports avec l’État
Les organisations intégristes utilisent le droit commun pour leurs activités.
1. Pour assurer le culte, des groupes de fidèles ont créé des associations
1901. Elles ont permis de recueillir et gérer les sommes nécessaires pour
acheter ou louer d’anciens bâtiments cultuels auprès de leurs propriétaires
(congrégations, municipalités, particuliers, entreprises), ou en construire
de nouveaux, et pour les aménager et les utiliser. Dans le monde « extérieur », la FSSPX a pris le contrôle d’un certain nombre d’entre elles ou a
récupéré leurs œuvres. Le pouvoir de ces associations a pu susciter des
tensions entre administrateurs laïcs et prêtres ou sociétés sacerdotales en
dépendant nolens volens lorsqu’un désaccord est apparu (sédévacantisme,
relations avec le Saint-Siège). Des associations ont sélectionné les prêtres
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Les catholiques traditionalistes
desservants, d’autres ont conservé le contrôle des ensembles immobiliers
qu’elles avaient construits.
À la différence de la Contre-Réforme catholique au XXe siècle, association 1901
épaulée par une association 1901 Les amis de la communauté du Sacré-Cœur
de Saint-Parres-lès-Vaudes, les monastères et des sociétés sacerdotales ont
souvent assis leurs activités sur des associations cultuelles, au statut plus
avantageux (dons et legs, entretien des clercs y compris pour leur retraite) :
Fraternité Saint-Dominique (1979), association cultuelle Fraternité Saint-Pie-X
(1980), association cultuelle Monastère Sainte-Madeleine du Barroux, association cultuelle Missions de Sainte-Madeleine, Fraternité sacerdotale Saint-Pierre
(1992, reconnue d’utilité publique), association cultuelle Saint-Marcel (2005)
devenue association cultuelle Institut du Bon Pasteur (2007)… Certaines associations ont été reconnue légalement comme congrégation (Monastère SainteMadeleine du Barroux, 1992 ; FSVF, 2007).
2. Les associations 1901 sont les plus nombreuses, par exemple pour contrôler
les écoles, et utilisent souvent des SCI pour se doter de locaux. Les sociétés
commerciales (quelles que soient leurs formes) sont plutôt réservées aux activités d’édition et de presse. Deux exemples illustrent les procédés employés :
a. Maison Saint-Joseph, siège de la CRC, appartient à la SCI Maison Saint-Joseph,
propriété de membres de la CRC, en particulier des moines et moniales. La SARL
Imprimerie Saint-Joseph édite le matériel de la CRC ; fondée en 1988, son capital
était réparti en 2011 à parts presqu’égales entre treize membres de la CRC ;
b. depuis les années 2000, la FSSPX a centralisé à son siège français une quarantaine d’associations gérant ses prieurés, certains de ses établissements
scolaires et des organismes affiliés. Elle possède son patrimoine immobilier
par l’intermédiaire de sa cultuelle et d’une dizaine de SCI, aux participations
croisées et dont les gérants sont membres de sa cultuelle. Elle contrôle ses établissements scolaires par des associations articulées à sa cultuelle, ainsi qu’un
EHPAD (fondé en 1991, habilité en 2007, 65 lits, une quarantaine d’employés), la
maison d’éditions Clovis Fideliter et la librairie France Livres ;
3. les relations tendues des « auto-exclus » et des « extérieurs » avec l’Église
catholique ne conduisent pas l’État à entretenir des relations avec eux, la suspicion pouvant s’étendre aux « intégrés ». Cependant, localement, des municipalités ou services administratifs (patrimoine) peuvent appuyer les communautés
intégristes / traditionalistes. Les administrations connaissent et contrôlent les
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œuvres intégristes / traditionalistes selon leurs domaines propres (ministère
de l’Intérieur et Trésor public pour les associations cultuelles et les dons et
legs ; Éducation nationale ; services sociaux nationaux et départementaux…).
Les intégristes / traditionalistes leur reprochent une approche souvent, voire
exclusivement négative.
Structures, implantation institutionnelle
1. Les sociétés sacerdotales internationales (FSSPX, FSSP, ICRSP) ont fait de la France
une de leurs subdivisions (districts de la FSSPX et de la FSSP, province de l’ ICRSP).
Seul l’IBP y a sa maison-mère. Les sociétés nationales ont un siège et des implantations locales. Les éventuelles branches féminines sont articulées à l’organisation sacerdotale. Les monastères et congrégations « intégrés » peuvent être
affiliées ou membres d’ordres ou congrégations (abbaye Sainte-Madeleine entrée
dans l’ordre bénédictin en 2008, Institut des dominicaines du Saint-Esprit intégré
à l’ordre dominicain), tout en disposant d’une indépendance de gouvernement,
ou sont en voie d’intégration. Certaines organisations bénéficient de l’exemption
pontificale (abbaye Sainte-Madeleine, Chanoines réguliers de la mère de Dieu,
IBP…), en lien avec la commission Ecclesia Dei.
Les groupes, associations, œuvres et organismes laïcs sont indépendants. Cependant, dans la lignée de l’Action catholique selon Pie X et Pie XI, la FSSPX s’est
organiquement lié des œuvres, tout en laissant une autonomie aux organisations
civiques et à base professionnelle.
2. Les associations intégristes / traditionalistes ne sont affectataires d’un ancien
établissement public du culte que par décision des autorités diocésaines. Les
diocèses bénéficient en effet de la loi du 9 décembre 1905 : les anciens établissements publics du culte ont comme affectataires exclusifs des prêtres dont
la situation canonique est régulière. Ainsi, dans les années 1970-1980, des
groupes tentèrent sans succès d’obtenir l’affectation d’anciens établissements
publics du culte non désaffectés mais inutilisés. Les prêtres intégristes / traditionalistes qui se maintinrent en d’anciens établissements publics du culte malgré
une révocation canonique durent évacuer les lieux à la suite de jugements civils.
À la mort de prêtres affectataires légaux ayant conservé l’ordo de 1962, les communautés abandonnèrent les églises lorsque les nouveaux curés suivant l’ordo
de 1969 s’y installèrent. Lors d’occupation par des intégristes / traditionalistes,
les autorités diocésaines firent expulser les occupants en s’appuyant sur la législation (Saint-Louis, Port-Marly, 1986 ; Saint-Germain-l’Auxerrois, Paris, 1993).
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Cependant, les situations dépendent aussi de la politique des autorités publiques
et des relations entre « extérieurs » et Église de France : choix de non-expulsion
malgré un jugement favorable, pour éviter un trouble à l’ordre public plus grave
(Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Paris, 1977 ; Saint-Louis, Port-Marly, 1986 ; SaintÉloi, Bordeaux, 2004), volonté municipale d’entretenir le patrimoine qui peut
conduire à confier unilatéralement une église aux intégristes / traditionalistes
(Saint-Éloi, Bordeaux, 2002) ou à vouloir la fermer pour la restaurer (Saint-Louis,
Port-Marly, 2016), régularisation de la situation canonique des occupants (SaintLouis, Port-Marly ; 1988, Saint-Éloi, Bordeaux, 2007).
3. Les lieux de culte des « extérieurs » sont donc des bâtiments qu’ils ont
construits, ou des bâtiments à usage profane transformés après achat, ou des
bâtiments cultuels désaffectés et loués ou rachetés, ou des bâtiments cultuels
n’ayant pas été établissements publics du culte avant 1905 et loués ou rachetés
(anciennes chapelles d’hôpitaux, de couvents…).
Enseignement religieux
Les établissements scolaires intégristes / traditionalistes sont une petite
centaine : au moins deux dans le monde « auto-exclu » (50 élèves ?) ; une
soixantaine dans le monde « extérieur », pris en charge par des ordres féminins
enseignants ou la FSSPX (7 à 9 000 élèves ?) ; une quarantaine dans le monde
« intégré », pris en charge par des ordres enseignants, des sociétés sacerdotales et des associations de parents (moins de 4 à 6 000 élèves ?) ; sans compter moins de dix cours par correspondance. Ils sont mixtes en maternelle et en
primaire, et peuvent être genrés à partir du collège. Les collèges et lycées sont
souvent des internats, les établissements technologiques ou professionnels
sont peu nombreux. Le recrutement dépassant les milieux intégristes / traditionalistes, ces établissements scolarisent sans doute aux alentours de 10 à
15 000 élèves (il y a peu d’établissements dépassant les 200 élèves), soit moins
d’un cinquième des effectifs des établissements sans contrat avec l’État, moins
de 10 % des établissements sans contrat et environ un tiers des établissements
catholiques sans contrat — il existe de très rares établissements sous contrat.
En effet, les fondateurs et animateurs de ces établissements considèrent que la
loi de 1959 a assuré une emprise indirecte de l’État sur l’enseignement catholique,
sans compter des programmes médiocres ou mauvais intellectuellement et spirituellement. L’enseignement conserve les pratiques et méthodes antérieures aux
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années 1970 (en français et mathématiques spécialement, en histoire également),
les humanités grecques et latines et intègre un enseignement catéchétique.
Si la République démocratique et libérale ne se conformant pas au droit public
ecclésiastique est régulièrement critiquée et si la vocation catholique de la
France est affirmée, il n’y a que rarement engagement dans une rupture sociale,
même si la divergence croissante des valeurs socialement dominantes et des
valeurs intégristes / traditionalistes peut en donner le sentiment. Ce dernier
point explique que des établissements aient pu être mis en cause par des inspections de l’Éducation nationale, ou des enquêtes journalistiques (focalisées
sur l’orientation politique). Malgré tout, les élèves sont présentés aux diplômes
nationaux, qu’ils conquièrent massivement.
Financement
Les intégristes / traditionalistes ne disposent d’autres ressources que les dons
et legs des fidèles, également prêts à investir leur temps. La législation sur les
dons et legs (franchise de droits, déduction fiscale) leur profite pour autant que
les structures qu’ils créent en bénéficient. Après 1988, le ministère de l’Intérieur
bloqua dons et legs à l’association cultuelle Fraternité Saint-Pie-X, en estimant
que la cultuelle ne se conformait plus à l’article 4 de la loi du 09/12/1905. La
justice administrative a tranché en faveur de la FSSPX en 1998 (l’article 4 ne
concerne que la dévolution des biens d’anciens établissements publics du culte,
alors que l’article 19 ne pose aucune limite pour la réception de dons et legs).
Les ressources dégagées peuvent être très importantes. Depuis le début des
années 1970, une vingtaine de monastères, quelque 90-100 établissements d’enseignement et une cinquantaine de résidences sacerdotales ont été construits,
aménagés ou entretenus. Trois cas peuvent illustrer ces mobilisations financières :
a. les dons à la CRC étaient évalués à environ 230 000 euros en 1995, soit 100-150 euros par fidèle, soit plus que le don moyen d’un catholique au denier du culte au
même moment. La SCI Maison Saint-Joseph a un capital de 2,9 millions d’euros
(1,9 million en 2012, environ 530 000 euros en 1999). Les ressources dégagées
par l’Imprimerie Saint-Joseph diminuent depuis le début des années 2010 (chiffre
d’affaires divisé par deux, revenu à environ 50-60 000 euros soit le niveau du
milieu des années 2000, revenu net très contrasté suivant les années) ;
b. la FSSPX, sans patrimoine en 1973, possède un parc immobilier d’environ 13 millions d’euros (25 millions avec les aménagements intérieurs). Les ressources
annuelles atteignent une bonne dizaine de millions d’euros (2 à 5 millions
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de legs, 4 à 6 millions en casuel, quêtes, denier du culte, dons), soit 30 % de
plus que la moyenne des diocèses français, avec une part de legs supérieure.
L’actif tourne autour de 25-30 millions d’euros dans les années 2005-2015,
le compte d’exploitation étant plutôt bénéficiaire. Son EHPAD, bénéficiaire, a un
chiffre d’affaires de 2 millions euros annuels ;
c. Sainte-Madeleine du Barroux a un patrimoine immobilier d’environ 20 millions
d’euros, un actif de 30-35 millions, un compte d’exploitation globalement équilibré (une cultuelle bénéficiaire équilibre une cultuelle déficitaire).
En revanche, les organes de presse payante sont en situation financière délicate. Plutôt nombreux pour un public à la taille limitée, représentant un marché
publicitaire réduit et y faisant peu ou pas appel au nom de leur indépendance,
ils sont souvent structurellement fragiles (le capital d’AMDG, société éditrice
de La Nef, a diminué de 300 000 à 250 000 euros, avec un déficit cumulé de
120 000 euros de 2004 à 2014). Ils subissent aussi les transformations du
modèle économique de la presse payante et les effets des divergences internes
(Itinéraires et La Pensée catholique disparaissent après 1989). Même Présent,
ayant survécu à la rupture de 1988, voit sa situation se détériorer depuis le
début des années 2000. Il passe d’environ 10 000 exemplaires au début des
années 2000 à environ 2 000 au milieu des années 2010. Les aides d’État à la
presse (environ 350 000 euros /an) lui permettent de survivre, malgré sa crise
interne lors de sa réorganisation après la mort de Jean Madiran en 2013. La
situation des maisons d’édition et librairies est également délicate, en raison
du changement des consommations culturelles et de la taille limitée de leur
public. Ainsi, les éditions Clovis, fortement déficitaires, disparaissent en 2009
pour renaître comme Clovis-Fideliter, sous contrôle direct de la FSSPX qui assure
la recapitalisation. Avec 400-450 000 euros de chiffre d’affaires, Clovis-Fideliter
est plus ou moins bénéficiaire. La librairie France Livres, déficitaire depuis dix
ans, a vu son chiffre d’affaires divisé par 1,5, aux alentours de 310 000 euros,
et a dû licencier. De son côté, DPF (chiffre d’affaires d’environ 2 millions d’euros,
résultat très variable) a dû licencier entre 2007 et 2009, mais réussit à maintenir
ses librairies parisienne et nantaise. Son rachat, organisé entre 2011 et 2014,
signe le passage de témoin entre deux générations intégristes / traditionalistes.
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VII. Religion et société
Reconnaissance sociale débats en cours
Au sein d’une société s’étant profondément sécularisée depuis 1965, l’intégrisme / traditionalisme, en décalage avec la forme dominante de catholicisme,
est perçue comme une étrangeté croissante, une tendance fermée sur ellemême et intolérante. L’éducation a souvent polarisé l’attention. Dénonciation
d’une obéissance para-militaire, craintes d’un endoctrinement politico-spirituel
ou d’une emprise morale, et accusations de mise en danger des enfants ont
nourri polémiques et enquêtes administratives ou journalistiques, par exemple
avec l’Institut de la Sainte-Croix de Riaumont (1979-1981) et le naufrage d’un
équipage de scouts SGCDF (1998). La crainte des « sectes » joue pour la CRC
contre laquelle se mobilisent les associations antisectes relayant des parents
et le monde intégriste / traditionaliste à la suite des « baisers mystiques ». En
1995 et 1999, les deux rapports parlementaires antisectes classent parmi les
sectes pseudo-catholiques la CRC, qui subit des contrôles administratifs (fermeture d’un camp de vacances, contrôles fiscaux en 1999-2000).
C’est surtout le positionnement politique de l’intégrisme / traditionalisme qui est
particulièrement critiqué ou souligné. En effet, sa théologie politique demeure celle
des années 1860-1940, articulant intransigeantisme et patriotisme/nationalisme
catholique (la France fille aînée de l’Église), adapté au contexte d’après 1960. La
République est conçue comme un régime intrinsèquement antichrétien en refusant
le droit public ecclésiastique, en subissant une emprise de la franc-maçonnerie,
voire des juifs, en ne protégeant pas l’identité française et son substrat socioéconomique, en ayant abandonné les colonies, en défendant l’intégration européenne et le multiculturalisme. Une partie de l’engagement sociocivique intégriste /
traditionaliste se fait ainsi à l’extrême droite (Front national, Action française), sans
illusion sur l’instrumentalisation du catholicisme par les mouvements politiques
nationalistes ou l’antichristianisme de certains d’entre eux (seul l’abbé de Nantes a
développé une théologie politique antidémocratique d’inspiration maurrassienne).
Les régimes antirépublicains ou anticommunistes présents et passés peuvent être
valorisés. Ce discours ne présage en rien du vote, grande inconnue du monde intégriste / traditionaliste, puisque la contre-révolution catholique n’est pas réductible à
la contre-révolution politique et que les appréciations des enjeux propres à chaque
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élection peuvent s’imposer (l’abbé de Nantes appelle à voter Chirac en 1988 : voter
Le Pen disperserait les voix et permettrait le maintien au pouvoir de Mitterrand). Le
combat politique a partiellement évolué. Dans les années 1950-1990 dominait un
anticommunisme viscéral, qui explique en partie l’engagement en faveur de l’Algérie
française. Dans les années 1980-2000, le FN a été un lieu d’engagement (rôle de
Bernard Antony) dans le cadre de la « guerre fraîche », de l’accès de la gauche
au pouvoir avec un relatif renouveau de l’idéologie républicaine, de l’affirmation
des questions d’identité nationale. Depuis les années 1990-2000 croissent une
hostilité déclarée au libéralisme culturel assumé par la République (avortement,
mariage des couples de même sexe, expressions artistiques exploitant les symboles chrétiens) et à l’islam. La proximité avec le FN s’est réduite depuis le milieu
des années 2000 avec son acceptation tacite du libéralisme culturel.
Autoperception et revendications éventuelles
Les attentes intégristes / traditionalistes à l’égard de l’Église dépendent des
relations établies avec elle, et donc de l’interprétation qu’ils font de leur catholicisme (seule véritable ou meilleure forme). Les « auto-exclus » la considérant
comme une fausse Église souhaitent sa disparition. Les « extérieurs » attendent
un retour à l’intransigeantisme antérieur à Vatican II, au moins pour la liberté
religieuse, l’œcuménisme et la liturgie. Les « intégrés » désirent au plus une
interprétation de la néo-intransigeance dans un sens intransigeantiste (en liturgie, œcuménisme, rapports avec l’État), au moins une liberté effective complète
de déployer leurs activités (spécialement le culte).
À l’État, l’intégrisme / traditionalisme demande au maximum la conformation
complète au droit public ecclésiastique dans sa version intransigeantiste appliquée à la France. Au minimum, il milite pour une remise en cause de la législation
en matière de mœurs, une limitation de la liberté d’expression lorsqu’elle porte
atteinte au christianisme, une réduction de la laïcité à une réalité purement juridique et une reconnaissance de l’identité chrétienne de la France et de l’Europe.
Plutôt qu’une recherche de la conquête des non-catholiques ou du reformatage
des catholiques néo-intransigeants ou transigeants (pourtant théorisé par certains), l’intégrisme / traditionalisme affirme visiblement son existence. Il ne
néglige cependant pas la dimension prosélyte, qui n’est que rarement pratiquée
de manière organisée et spécifique.
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Place dans les médias et publications
Dès avant 1914, le catholicisme intégral est visé par la presse des catholiques
l’estimant purement polémique, jugeant son positionnement inopérant et son
interprétation de la pensée papale outrée. Le sobriquet « intégriste » surgit alors.
La découverte du Sodalitium Pianum relance une vague « anti-intégriste », relayée
dans la presse non confessionnelle. Les interrogations sur le positionnement de
Pie XI jusqu’à la condamnation de l’Action française suscitent des polémiques
fortes contre les intégristes ou intégraux, poursuivis après 1927. Au sortir de
la Seconde Guerre mondiale, l’intégrisme est attaqué dans la presse catholique
dès 1950 lorsque les partisans d’une remise en cause de l’intransigeantisme en
attaquent les membres. L’implication intégriste dans la guerre d’Algérie attire
l’attention médiatique (Cité catholique). Dès les années 1960, la contestation
de l’aggiornamento la renouvelle, certaines figures, actions et lieux étant valorisés jusqu’aux années 1980 : processions de la Fête-Dieu et actions d’éclat de
l’abbé Coache, réunions à la Mutualité de l’abbé de Nantes, association Credo de
Michel de Saint-Pierre, occupation de Saint-Nicolas-du-Chardonnet par Mgr François
Ducaud-Bourget. Des événements suscitent régulièrement l’intérêt : mobilisation
contre des œuvres artistiques (1985, 1988, 2012), occupations d’églises (1977,
1986, 1999), rapports de la FSSPX avec le Saint-Siège (1988, 2009), positionnement politique (1989, 2009), accidents (décès de scouts SGCDF, 1999), liturgie
(1984, 2007). De 1976 à 1991, Mgr Lefebvre s’impose comme la principale figure
médiatique ; Saint-Nicolas-du-Chardonnet fonctionnant comme lieu symbolique à
partir de 1977. La FSSPX bénéficie de la plus grande couverture, les autres organisations étant moins observées — la CRC passe dans la catégorie « faits divers »,
« sectes » à partir du milieu des années 1990. L’observation des médias régionaux
et locaux affinerait l’analyse, car un certain nombre de situations n’acquièrent pas
une audience nationale.
En raison de la sécularisation accélérée de la société française, notamment du
monde médiatique, les journalistes peinent à comprendre l’intégrisme / traditionalisme, interprété à partir de grilles simplificatrices (réduction à la messe en
latin et au port de la soutane, à une proximité avec l’extrême droite, à une religion
rigoriste et à des attitudes intolérantes : antisémitisme, rejet de l’islam et des
homosexuels…). Une certaine banalisation s’observe cependant depuis moins de
dix ans, les implantations nouvelles et les activités intégristes / traditionalistes
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faisant l’objet de reportages dans la presse quotidienne régionale, au même titre
que les autres activités sociales.
Sondages
Quelques sondages ont été commandés par des organisations intégristes / traditionalistes militant pour une reconnaissance de leur tendance au sein de l’Église.
En 2006, Oremus a publié une Étude statistique sur le nombre de fidèles « traditionalistes » dans les diocèses français. À partir du diocèse de Versailles et de
la communauté de Saint-Germain du Chesnay, elle propose une extrapolation à
la France et un panorama du monde intégriste / traditionaliste.
De 2003 à 2012 (surtout à partir de 2009), le Mouvement pour la paix liturgique
a fait réaliser quatorze études d’opinion par des instituts de sondage, au niveau
national et dans certains diocèses, afin d’appuyer sa demande d’une large application des motus proprios de 1984 et 2007.
VIII. La recherche
Travaux en cours et perspectives offertes
Aucune thèse en cours n’est répertoriée dans le fichier central des thèses. Aucun
projet de recherche collectif n’existe encore. Des travaux sont menés ponctuellement dans le cadre de masters.
L’intégrisme / traditionalisme n’a pas fait l’objet d’autant de travaux scientifiques
que les multiples traces imprimées et archivistiques qu’il a laissées, et laisse
encore, pourraient le permettre. Des travaux universitaires inédits existent, certains
étant partiellement accessibles sous forme d’articles de revue ou de communications à des colloques. Études de cas (groupes, organisations, publications…), prosopographies (clergés masculins et féminins, militants) et biographies familiales
conduiraient à affiner la chronologie, les thèmes et les circulations individuelles. Les
sciences humaines se fondant sur l’entretien ou l’observation peinent cependant
à accéder au monde intégriste / traditionaliste, plutôt méfiant envers les universitaires dont les analyses sont jugées hostiles ou réductrices.
Deux grandes tendances interprétatives se partagent l’analyse. À la suite des travaux d’Émile Poulat, la première fait primer la dynamique proprement religieuse,
le rapport à l’intransigeance évolutive du magistère romain et des autres catholiques, et distingue contre-révolution catholique et contre-révolution politique
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(Luc Perrin, Paul Airiau, Laurent Frölich, Arnaud Ferron). La seconde, reprenant
les catégories de l’histoire politique et le clivage droite-gauche (et en partie inspirée des analyses polémiques du catholique gallican Louis Canet en 1928 et du
dominicain Yves Congar en 1950), insiste sur l’enracinement politique de cette
protestation religieuse, liée à la contre-révolution politique dans ses formes de
la fin du XIXe et du début du XXe siècle (René Rémond, Étienne Fouilloux, Florian
Michel, Olivier Landron, Jean-Louis Camus et René Monzat).
IX. Sources et références
Interprétations générales
AIRIAU Paul, L’Église et l’Apocalypse du XIXe siècle à nos jours, Paris, Berg International, 2000, p. 17-54, 73-106, 113-119, 126-136.
CHANTIN Jean-Pierre (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, vol. 10 : Les marges du christianisme, Paris, Beauchesne, 2001.
FOUILLOUX Étienne, « Intégrisme catholique et droits de l’homme », Fondamentalismes, intégrismes. Une menace pour les droits de l’homme, Paris, Bayard
— Centurion, 1997, p. 11-27 ;
FOUILLOUX Étienne, « Intégrisme », in Régine AZRIA et Danièle HERVIEU-LÉGER (dir.),
Dictionnaire des faits religieux, Paris, PUF, 2010, p. 561-566.
PERRIN Luc, « Traditionalisme », in Christophe DICKÈS (dir.), Dictionnaire du Vatican, Paris, Robert Laffont, 2013, p. 974-977.
POULAT Émile, Catholicisme, démocratie et socialisme. Le mouvement catholique
et Mgr Benigni de la naissance du socialisme à la victoire du fascisme, Tournai,
Casterman, 1977.
POULAT Émile, Intégrisme et catholicisme intégral. Un réseau secret international
antimoderniste. La Sapinière, 1909-1921, Tournai, Casterman, 1969.
POULAT Émile, « La querelle de l’intégrisme en France », Social Compass, XXXII/4,
1985, p. 343-351.
Approches historiques générales
FERRON Arnaud, Le traditionalisme catholique en France (1945-2000). Histoire et sociologie d’un mouvement contre-révolutionnaire, thèse de science politique, dir. Jean Baudoin, Université Rennes 1, 2000 [éléments dans « Intégrisme et traditionalisme catholiques. Réflexion autour de la réactivation d’un mouvement contre-révolutionnaire »,
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Les catholiques traditionalistes
in Jean BAUDOIN et Philippe PORTIER (dir.), Le mouvement catholique à l’épreuve de la
pluralité. Enquête autour d’une militance éclatée, Rennes, PUR, 2002, p. 171-209].
FRÖLICH Laurent, Les catholiques intransigeants en France, Paris, L’Harmattan, 2002.
LANDRON Olivier, Les catholiques traditionnels en France depuis le concile Vatican II, Paris, Cerf, 2015.
Études de cas
AIRIAU Paul, « Du pape comme scandale. Du sédévacantisme et d’autres antipapismes
dans le catholicisme d’après Vatican II », in Jean-François GALINIER-PALLEROLA, Philippe
FORO et Augustin LAFFAY (dir.), Les laïcs prennent la parole. Débats et controverses
dans le catholicisme après Vatican II, Paris, Parole et Silence, 2014, p. 427-448.
AIRIAU Paul, « Des théologiens contre Vatican II », in Dominique AVON et Michel
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Paul AIRIAU
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