Juif ashkénaze[1], Pierre Nora est le fils du médecin Gaston Nora et de Julie Lehman, tous deux issus de familles de vieilles souches lorraines[2], et le frère du haut fonctionnaire Simon Nora.
De 1964 à 1976, il a été l'époux de l'historienne de l'art et conservatrice de musée Françoise Cachin, décédée en 2011[7]. Il est, depuis 2012, le compagnon de la journaliste Anne Sinclair[8].
Il est professeur au lycée Lamoricière (aujourd'hui lycée Pasteur) d'Oran jusqu'en 1960 ; il en rapporte un essai publié sous le titre Les Français d'Algérie (1961).
Chez Gallimard, Pierre Nora publie dans les collections qu'il dirige des travaux importants qui constituent généralement des références incontournables dans leurs champs de recherche, notamment :
Il s'est opposé à la loi du « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur de Français rapatriés » en cosignant une pétition dans le quotidien Libération intitulée Liberté pour l'histoire[14]. Cette loi, dont l'alinéa 2 de l'article 4 a été abrogé le , établissait que les programmes de recherche devaient accorder plus d'importance à la place de la présence française outre-mer et que les programmes scolaires devaient en reconnaître le rôle positif.
Pierre Nora est également très connu pour avoir dirigé Les Lieux de Mémoire, trois tomes se donnant pour but de faire un inventaire des lieux et des objets dans lesquels s'est incarnée la mémoire nationale des Français.
Il est signataire de l'appel de Blois (« Liberté pour l'Histoire »), le .
Ainsi il refuse en 1997 de faire traduire l'ouvrage d'Eric HobsbawmThe Age of extremes (1994), en raison de l'« attachement à la cause révolutionnaire » de son auteur. Nora explique que l'hostilité au communisme qui règne en France n'est pas propice à ce genre de publication, et que, bon gré mal gré, tous les éditeurs « sont bien obligés de tenir compte de la conjoncture intellectuelle et idéologique dans laquelle s'inscrit leur production »[15]. Il rapporte aussi que François Furet, qui appelait à la traduction du livre dans une longue note du Passé d'une illusion (1995), lui aurait conseillé : « Traduis-le, bon sang ! Ce n'est pas le premier mauvais livre que tu publieras »[16]. L'attitude de Nora donne lieu à polémique avec Serge Halimi, qui l'accuse de « maccarthysme éditorial » dans Le Monde diplomatique[17]. Le livre est finalement publié en 1999 sous le titre L'Âge des extrêmes par les Éditions Complexe à Bruxelles, avec la collaboration du Monde diplomatique. Hobsbawm écrit à cette occasion un article dans Le Monde diplomatique intitulé « L’Âge des extrêmes échappe à ses censeurs », dans lequel il déclare notamment que « la résistance des éditeurs français, seuls parmi les éditeurs des quelque trente pays qui ont traduit L’Âge des extrêmes, ne laisse pas d’intriguer »[18].
Dans La Pensée tiède, ouvrage constitué de deux articles parus dans la presse anglophone en et publié en français l'année suivante aux Éditions du Seuil, l'historien Perry Anderson impute particulièrement à Pierre Nora et François Furet l'évolution de la vie intellectuelle en France depuis les années 1980, et notamment le tournant conservateur marqué par l'emprise de l'« anti-totalitarisme ». Pierre Nora fait paraître sa réponse à la fin du livre d'Anderson, dans une postface intitulée « La Pensée réchauffée ». Il y interprète les critiques de l'historien britannique comme relevant d'une « nostalgie » de l'ancien poids prépondérant du gaullisme et du communisme dans les milieux politiques et intellectuels français, prédominance suscitant « ce révoltisme natif qui constitue l'autre face de cet autoritarisme militaire caractéristique de la culture et de la société françaises ». Nora souligne que la persistance d'un « révolutionnarisme » devenu sans objet exprime « un fondamental et tragique conservatisme français »[19]. Ce texte donne lieu à une nouvelle polémique avec Serge Halimi[20].
Le , sur France Inter, à propos du génocide des Arméniens, il affirme que l'« affaire arménienne est très compliquée », parle d'immenses victimes et ajoute : « Si vous écrasez trois mouches, on peut aussi vous parler d'un génocide »[21], des propos qui, selon Séta Papazian, du Collectif VAN (Vigilance Arménienne contre le Négationnisme), « interpellent sur la légitimité de l’historien à s’exprimer sur des sujets qu’il ne maîtrise visiblement pas »[22]. Interrogé au sujet de la polémique qui s'ensuit, il indique qu'il est « hostile à toute qualification par la loi de l'Histoire » et que l'expression sur les mouches est une expression à « l'emporte pièce », puisqu'il emploie lui-même l'expression de génocide arménien[21]. Dans un entretien publié par Libération, il précise toutefois que le mot génocide est difficile à manier pour un historien, qui lui préfèrera d'autres expressions (comme massacre de masse, anéantissement, extermination), et que son usage est souvent plus politique et idéologique que moral, précisant qu'« il ne s’agit pas, bien sûr, de nier la réalité et l’ampleur du massacre et du désastre arméniens. Si les Arméniens veulent utiliser le mot génocide, je n’y vois pas d’inconvénient, la République l’a reconnu, ça suffit »[23].
Dans une tribune du Monde, le chercheur Bruno Chaouat soutient l'opposition de Pierre Nora aux lois mémorielles dans la perspective d'une indépendance de la recherche à l'égard du pouvoir législatif, mais lui reproche de ne pas critiquer l'attitude du gouvernement turc concernant les recherches historiques sur le génocide arménien[24]. Dans son entretien à Libération cité plus haut, il précise qu'il ne soutient pas la Turquie et qu'« il est indispensable que le gouvernement turc prenne l’initiative d’une commission internationale d’historiens à qui toute liberté de consultation des archives arméniennes et turques serait garantie. Ce gouvernement s’engagerait à en reconnaître les conclusions »[23].
Pour le directeur du Monde des livres, Jean Birnbaum, dans son interview de Nora, ce qui fait l’intérêt du livre Jeunesse c’est de savoir comment Nora a surmonté ses échecs, dont celui au concours d’entrée à Normale Sup, à propos duquel Pierre Nora répond :
« Je pense que cet échec, ça a été la chance de ma vie. J'ai connu beaucoup de caciques [élèves reçus premiers au concours] qui n’ont pas fait grand-chose et ont sombré dans la tristesse. L'exemple type, c'est le philosophe Gérard Granel [1930-2000], c'était un phare, en plus il était très beau, eh bien il a fini misérable, polygame, complètement drogué. Si j'avais réussi le concours, j'aurais eu une vie moins riche, moins indépendante. À l'université, j'ai toujours été le mouton à cinq pattes, mais c'est ce qui m'a donné ma liberté de faire ! Quand j'ai dirigé les Lieux de mémoire, j'ai pu traiter les contributeurs avec beaucoup de liberté, alors que je voyais mes amis Emmanuel Le Roy Ladurie ou Maurice Agulhon [1926-2014] être victimes de la hiérarchie et de la platitude universitaires... »
Les proches de Granel, dont sa veuve Élisabeth Rigal, ses étudiants et collègues, font connaître leur désapprobation au journal, qui publie alors un droit de réponse, suivi de la réponse de Pierre Nora.
Édition uruguayenne de l'ouvrage Les Lieux de mémoire, 2008.Faire de l'histoire, avec Jacques Le Goff, Éditions Gallimard (Bibliothèque des histoires), Paris, 1974, 3 tomes : t. 1 Nouveaux problèmes, t. 2 Nouvelles approches, t. 3 Nouveaux objets.
↑Pascal Faustini, « La communauté juive de Hellimer », 2004, p. 268-270.
↑La lignée paternelle de Pierre Nora est issue de Moïse Aron dont la présence en Lorraine (village d'Hellimer) est attestée depuis la moitié du XVIIe siècle. La lignée maternelle est issue de la famille Lehmann qui était établie à Sarreguemines depuis des siècles et qui a émigré à Paris en 1870. (Source : Pierre Nora ; "Jeunesse" ; éd. Gallimard, 2021)
↑François Dosse, interviewé par Catherine Golliau, « François Dosse : "La biographie est devenue un véritable champ d'expérimentation d'avant-garde" », Le Point Références - « Comprendre l'autre - Les textes fondamentaux », n°33, mai-juin 2011, p. 127-128.
↑Yohan Dubigeon, « Oskar Anweiler et les soviets : ce que les conseils ouvriers nous disent aujourd’hui », Dissidences, no 6, (ISSN2118-6057, lire en ligne, consulté le )
↑La pensée réchauffée (22 avril 2005), article écrit en réponse au livre de l'historien britannique Perry Anderson, lequel, dans La Pensée tiède : un regard critique sur la culture française, évoquait le rôle de Pierre Nora dans cette affaire. Voir plus loin.
↑ a et b« «Il s’agit d’éloigner la perspective d’une candidature de la Turquie à l’Europe» », Libération.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑Bruno Chaouat, directeur du Center for Holocaust and Genocide Studies, Université du Minnesota États-Unis, « Lois mémorielles : l'indignation sélective de Pierre Nora », Le Monde.fr, (ISSN1950-6244, lire en ligne, consulté le )
(en) Richard C. Holbrook, « Pierre Nora (1931- ) », dans Philip Daileader et Philip Whalen (dir.), French Historians, 1900-2000 : New Historical Writing in Twentieth-Century France, Chichester / Malden (Massachusetts), Wiley-Blackwell, , 610 p. (ISBN978-1-4051-9867-7, présentation en ligne), p. 444-460.
Rémy Rieffel, « Nora (Pierre) », dans Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français : les personnes, les lieux, les moments, Paris, Le Seuil, (ISBN978-2-02-099205-3), p. 1021-1022.
François Dosse, Pierre Nora : homo historicus, Paris, Perrin, 2011.