La bataille des législatives est loin d'avoir levé tout le voile sur les mesures économiques des trois grands blocs (RN, Renaissance, Nouveau Front Populaire). En déclarant la dissolution de l'Assemblée nationale, le chef de l'Etat annonçait « une grande clarification », après les élections européennes. Mais après trois semaines de campagne au pas de charge, les électeurs sont toujours plongés dans un épais brouillard. Pour tenter de rassurer les milieux économiques et financiers, Jordan Bardella (RN) a présenté les grands axes de son programme lundi 25 juin. Après Renaissance et le Nouveau Front populaire (NFP), le parti nationaliste espère gagner la confiance des marchés avant sa possible arrivée à Matignon au lendemain du second tour des élections législatives.
En tête aux dernières élections européennes, le Rassemblement national a revu une grande partie de son programme économique sur l'Europe ou la zone euro. Défendant une sortie des traités européens en 2017, le parti de Marine Le Pen n'évoque plus du tout cette hypothèse dans ses prises de parole. Mais derrière ces discours, le flou autour du parti d'extrême droite est très loin de se dissiper. « Le programme du Rassemblement national est plus ou moins clair. Il oblige à faire plein d'hypothèses », confie le chef économiste d'une grande banque française, régulièrement interrogé par des clients étrangers. « Le programme économique pose plein de questions et de problèmes. Il y a la volonté d'augmenter le niveau de vie de la population française par différents soutiens. Le problème est que les mesures annoncées sont imprécises et on ne sait pas si elles seront mises en place. C'est difficile de s'y retrouver », explique Mathieu Plane économiste à l'OFCE.
L'audit des finances publiques : « un tour de passe passe »
Promettant un audit des finances publiques à son arrivée à Matignon, Jordan Bardella a estimé que compte tenu de la situation budgétaire de la France, il voulait se garder des marges de manoeuvre lors des auditions des candidats aux législatives devant le patronat français la semaine dernière. Mais cette stratégie peine à convaincre. Pour Mathieu Plane, cet audit financier « est un tour de passe passe car la situation budgétaire et financière est connue. On a déjà beaucoup d'éléments budgétaires. Dire maintenant que l'on ne peut pas faire certaines mesures en raison des questions budgétaires pose question ». Sur le chiffrage, l'institut Montaigne a évalué le programme du RN à 100 milliards d'euros mais en plein marasme des finances publiques, « le parti nationaliste a élagué beaucoup de mesures de son programme par rapport à 2022 », complète Mathieu Plane.
« Le RN sent le poids budgétaire de son programme croître sur ses épaules à mesure que le pouvoir se rapproche : en 2022 ils pouvaient proposer n'importe quoi, ils avaient peu de chances d'être élus. Aujourd'hui ils comprennent que leur programme est intenable budgétairement. D'où les multiples renoncements », explique à La Tribune Simon-Pierre Sengayrac, co-directeur de l'Observatoire de l'économie à la fondation Jean Jaurès. En procédure de déficit excessif, la France va devoir présenter une trajectoire budgétaire renouvelée pour respecter les nouvelles règles budgétaires de l'Union européenne. « L'enjeu de la France, est de retrouver une trajectoire d'équilibre. Ceci est contradictoire avec le programme du RN qui promet des recettes en moins et des dépenses en plus. Ils préparent l'opinion à un PLF 2025 explosif », avance l'économiste de la fondation.
Pouvoir d'achat : la difficile promesse de la baisse de TVA
Pilier du programme du RN, la baisse de la TVA sur les produits énergétiques est une mesure que le parti de Marine Le Pen veut rapidement mettre en place dans le cadre d'un budget rectificatif dès cet été. L'objectif est de faire passer le taux de cette taxe sur la consommation de 19,6% à 5,5% sur le fioul, le gaz, l'essence ou encore le gazole. Mais cette mesure pose déjà de nombreuses questions. D'abord, rien ne dit que cette baisse profite d'abord aux consommateurs. La diminution de la TVA dans la restauration décidée sous le mandat de Nicolas Sarkozy ne s'était pas forcément répercutée sur la facture des clients. « La baisse de la fiscalité sur l'énergie est une mauvaise idée », juge Mathieu Plane. « Cette mesure n'est pas du tout ciblée ». Cette baisse « bénéfice aussi bien à la classe moyenne et aux gros véhicules des personnes plus aisées. Or, ces personnes n'ont aucun problème de pouvoir d'achat », déclare l'économiste.
Sur le plan juridique, une baisse de la TVA sur le gazole ou l'essence n'est pas permise par le droit européen. Cette mesure « exigerait de renégocier la directive au Conseil et au Parlement européens, où le groupe parlementaire Identité et démocratie (ID), auquel est affilié le RN, ne dispose que de 58 sièges sur 720 à l'issue des élections européennes de juin 2024 », souligne une récente étude de la fondation Jean Jaurès.
Enfin, cette mesure pose aussi des questions sur le plan écologique. Face au péril climatique, la France s'est engagée à appuyer sur le frein des émissions carbone de 55% d'ici 2030 pour respecter l'accord de Paris de 2015. Or, cette promesse de baisse de la fiscalité sur les carburants risque de faire grimper la pollution des transports. « Je ne vois pas comment on peut soutenir cette mesure avec les objectifs climatiques de la France », s'interroge l'économiste de l'OFCE.
Retraites : le RN entretient le trouble
Sur le volet retraites, le Rassemblement national navigue en eaux troubles. Le programme de Jordan Bardella promet d'abroger la réforme impopulaire d'Emmanuel Macron. Mais pour le reste rien n'est très clair. Pas de position tranchée sur l'âge légal de départ à la retraite ou de nombre d'années de cotisation pour toucher de retraites à taux plein. Sur le front budgétaire, « la réforme de Macron dégage 17 milliards d'économies d'ici 2030 donc il faut trouver des compensations quoi qu'on en pense », souligne Mathieu Plane.
Dans son programme, le RN propose juste « de mettre en place un système de retraites progressif, qui incite les jeunes à entrer de manière précoce sur le marché du travail et prend en compte la pénibilité réelle des emplois faiblement qualifiés». Lors de quelques interventions médiatiques, Jordan Bardella a ouvert la porte à la possibilité de départ en retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans et ayant cotisé 40 ans, une mesure qui serait mise en œuvre « à compter de l'automne ». Pour les autres salariés, le parti d'extrême droite semble maintenir sa promesse « d'un âge légal de 62 ans et un nombre d'annuités allant jusqu'à 42 années de cotisation ».
« Préférence nationale » : les entreprises dans le grand brouillard
Totem de la ligne politique du Rassemblement national depuis des décennies, l'application du principe « préférence nationale » risque de faire des vagues dans les entreprises. Confrontés à un manque criant de bras, de nombreux secteurs (hôtellerie, restauration, bâtiment, agriculture, services) font appel à de la main d'oeuvre étrangère pour répondre à leurs besoins. Sur ce point sensible, la position de Jordan Bardella est très loin de rassurer les milieux patronaux. Devant le Medef, la CPME et le Meti, Eric Ciotti a expliqué que « dans la restauration ou l'hôtellerie, la réponse doit être nationale». « Vous vivez dans un vieux monde », a-t-il asséné devant un parterre de dirigeants interloqués. La préférence nationale « pose question dans les métiers en tension. Par exemple dans les services à la personne, la part des travailleurs non natifs est importante. Quel est l'intérêt économique d'une telle mesure ? », s'interroge Mathieu Plane. Dans le secteur public, l'exclusion des binationaux à certaines fonctions ou responsabilités comme l'a annoncé Jordan Bardella pourrait laisser sur le carreau des personnes très qualifiées. « Cette mesure crée une discrimination à l'embauche », pointe le directeur adjoint des prévisions à l'OFCE..
Etrangement absente du programme présentée par Jordan Bardella, la notion de «préférence nationale » risque également de faire des remous dans les services publics. « La préférence nationale est une rupture du principe d'égalité », a expliqué à La Tribune Arnaud Bontemps, porte-parole du collectif Nos services publics. Promettant de réserver certains droits aux Français, le RN continue de vouloir mener une politique économique et sociale basée sur des critères identitaires. « Le recul des droits sociaux risque de faire plonger un grand nombre de personnes dans la pauvreté », alerte le fonctionnaire. Une perspective qui ne semble pas effrayer le parti réactionnaire aux portes du pouvoir.