La domestication de l’olivier en Méditerranée nord-occidentale
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La domestication
de l’olivier en Méditerranée
nord-occidentale
révélée par l’archéobiologie
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Jean-Frédéric Terral, Claire Newton,
Aline Durand, Laurent Bouby et Sarah Ivorra
a domestication de l’olivier a eu lieu indépendamment, en
de nombreuses régions et non exclusivement depuis un unique
foyer proche-oriental. Il apparaît tout de même que les origines de
sa culture et de sa domestication sont bien antérieures à l’Antiquité.
Elles émergent cinq millénaires avant notre ère, avec de nouvelles
variétés, des savoirs et des techniques provenant de nombreuses
contrées de la Méditerranée. Les approches éco-anatomiques sur bois
et morphométriques sur les noyaux d’olive reconsidèrent l’« histoire
dogmatique » de l’olivier selon laquelle les civilisations antiques
introduisirent l’olivier en Méditerranée occidentale. Les résultats
ne remetent toutefois pas en cause l’importance de l’inluence des
Phéniciens, des Étrusques, des Grecs et des Romains sur le rayonnement de l’olivier, à travers les âges et le Bassin méditerranéen, et par
ailleurs, ils sont en accord avec les données de la biologie moléculaire.
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À droite :
Photo page précédente :
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À Sousse, en Tunisie, ruines
et olivier. © Catherine Breton
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Oliveraie et mazets.
Saint Jean-de-la-Blaquière,
Hérault. © Catherine Breton
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Ci-dessus :
Mise à fruit. Ribes, Ardèche.
© Thierry Ruf
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Histoire de l’olivier
Principales voies de
difusion de l’oléiculture en
Méditerranée datées d’après
les sources archéologiques
(AEC : avant l'ère commune).
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La domestication de l’olivier en Méditerranée nord-occidentale
Une histoire et des scénarios amplement débattus
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L’histoire de l’olivier, en particulier des origines (géographique et
chronologique) de sa culture, de sa domestication et de sa difusion
en Méditerranée a toujours été un sujet sensible et controversé.
La « thèse classique » de la domestication de l’olivier
La « thèse classique » de la domestication de l’olivier situe en
Palestine du Chalcolithique (période de la protohistoire appelée
aussi, mais de manière trop restrictive, « âge du Cuivre »), au quatrième millénaire avant l’ère chrétienne ou l’ère commune (AEC), le
passage de l’olivier sauvage à l’olivier cultivé (Zohary et Spiegel-Roy,
1975). La mise en évidence de restes d’oliviers (bois carbonisés et
noyaux d’olive) dans une région où l’arbre n’était pas indigène permettait indirectement de dater les origines de sa mise en culture.
Depuis le Proche-Orient, une lente difusion de formes domestiquées, de savoirs et de pratiques s’ensuit, d’abord vers l’Égée au troisième millénaire AEC puis vers la Méditerranée centrale et occidentale. Sa présence est attestée à l’âge du Bronze inal vers 1200-1000
AEC, en Italie et en Espagne, et inalement au cours du premier millénaire AEC dans le sud de la France. L’introduction de l’olivier est
datée par la palynologie (étude du pollen) entre le IIIe et le IIe siècle
AEC en Provence et entre le Ie siècle AEC et le IIe sièclede l’ère commune (EC) en Languedoc en raison de l’augmentation signiicative de la fréquence en pollen fossile d’Olea par rapport aux autres
espèces forestières. L’extension depuis le foyer proche-oriental de
domestication est favorisée par les mouvements de navigation,
d’échanges et de migration qui caractérisent les civilisations protohistoriques et antiques, notamment des Phéniciens, des Étrusques,
des Grecs et des Romains.
La controverse
Les données paléoécologiques attestent que l’olivier est bien indigène à l’ouest de la Méditerranée (Terral, 1996 ; Terral et al., 2009),
mais l’arbre emblématique reste pour nombre de spécialistes,
inféodé aux cultures antiques. Depuis des décennies et jusqu’à
aujourd’hui, il est en efet répété que les populations autochtones ne connaissaient pas l’olivier avant son introduction en
Méditerranée nord-occidentale lors de la création de comptoirs
commerciaux ou la fondation de colonies. Cette histoire est largement répandue dans les publications.
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Histoire de l’olivier
Les données paléobotaniques
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Les archéobotanistes et les paléoécologues ont reconstitué les luctuations géographiques des végétations passées avant et après
les glaciations, notamment d’après les données obtenues sur des
charbons de bois (discipline appelée anthracologie) conservés dans
quelques sites. Les sites de localisation de quelques-unes des populations ancestrales (Péninsule ibérique et Proche-Orient) coïncident
avec des sites archéologiques qui ont été datés, ce qui conforte l’hypothèse de deux grandes zones refuges pour l’oléastre. Pour certaines populations, il n’y a, en l’état actuel des recherches, pas de
coïncidence avec un site archéologique ou un gisement paléobotanique, par exemple en Provence ou en Corse.
L’oléastre était donc présent à l’est et à l’ouest du Bassin méditerranéen bien avant les glaciations. Lorsque le réchaufement s’est manifesté, les fruits des diférentes populations d’oléastres de chaque
zone refuge ont été dispersés essentiellement par les oiseaux. Les
espaces entre populations (formation ou renforcement de corridors
écologiques) ont donc été colonisés. Les données paléobotaniques
montrent que l’oléastre s’est propagé le long des zones côtières tout
autour de la Méditerranée dès 8 000 AEC.
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L’hypothèse d’une domestication autochtone
et de l’existence de foyers indépendants,
et l’émergence de l’exploitation de l’olivier
dès le Néolithique
Compte tenu de l’indigénat de l’olivier en Méditerranée occidentale,
la mise au jour de charbons de bois et de noyaux d’olives lors de
fouilles archéologiques à des périodes bien antérieures à l’introduction de l’oléiculture, l’hypothèse d’une protoculture et d’une exploitation de l’olivier antérieure à l’Antiquité fut posée (Terral, 1996).
Cependant, il était impossible de tester et de valider cete hypothèse car on ne disposait pas des méthodes permetant de distinguer
l’olivier sauvage (ou oléastre) de l’olivier cultivé. Jusqu’à la in du
xxe siècle, les recherches archéobotaniques étaient isolées par zone
géographique, par période chronologique ou encore sans référentiel actuel, et ne pouvaient donc pas embrasser la complexité des
déterminismes abiotiques ou biotiques impliqués dans la variabi-
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La domestication de l’olivier en Méditerranée nord-occidentale
lité morphologique ou anatomique des vestiges étudiés. Grâce aux
progrès de l’analyse d’image, l’éco-anatomie et la morphométrie
permetent non seulement une étude conjointe et comparative de
matériels actuel et archéologique mais également l’observation à un
niveau de résolution inégalé (voir pour revue Marguerie et al., 2010).
Notions d’éco-anatomie
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La croissance et le développement du bois, tissu de soutien et de
conduction, sont inluencés par tous les événements, intrinsèques
et extrinsèques, qui interviennent dans la vie des végétaux ligneux.
Le climat et les activités humaines sont des facteurs dont l’incidence
sur le fonctionnement cambial et donc sur la structuration du bois,
sont majeurs.
L’analyse ine de la structure anatomique du bois, consistant en la
mesure des éléments vasculaires du bois et de leurs variations, à
l’échelle du cerne (dendrochronologie) ou à un niveau de résolution
intra- et interannuel (éco-anatomie quantitative), permet de révéler
les contraintes au développement
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Procédure simpliiée de
l’analyse éco-anatomique
de bois carbonisés d’olivier
(Terral, 1996 ; Marguerie
et al., 2010).
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Pour qu’ils soient comparables
à des charbons de bois
archéologiques, les échantillons
prélevés sont séchés puis
carbonisés à 450 °C en conditions
réductrices jusqu’à réduction
de taille et enrichissement
maximal en carbone.
Des caractères anatomiques
préservés à la carbonisation
sont mesurés en section
transversale des charbons
de bois à l’aide d’un système
d’analyse d’image.
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Histoire de l’olivier
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De plus, l’arbre est soumis à un ensemble de forces (poids des
branches, vent par exemple) qui détermine son état de contrainte
mécanique. Si ces forces sont intenses, il réagit en produisant un
bois que l’on qualiie de bois de réaction. Les cellules du bois formées
chaque année prennent leur structure déinitive et subissent la maturation cellulaire ou phase de ligniication. Au cours de cette phase de
maturation, les cellules ont tendance à se déformer. Ces déformations sont appelées déformations de maturation. Ces phénomènes
sont observés dans le bois émis par le tronc, mais surtout dans le bois
des branches qui ont une direction de croissance oblique ou horizontale. C’est à partir de ces déformations que peut être tentée la discrimination des bois entre ceux provenant de branches jeunes (bois
immature), de branches charpentières ou de troncs (bois mature). Sur
des échantillons archéologiques, des pratiques telles que la taille et
l’émondage peuvent alors être mises en évidence.
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Résultat de plusieurs missions scientiiques, une collection de référence comprenant des centaines d’échantillons d’arbres de régions
diférentes poussant sous diverses conditions écologiques a été établie au Centre de Bio-Archéologie et d’Écologie (Montpellier). Dans
cet ensemble, à l’aide des analyses d’éco-anatomie quantitative on a
pu diférencier l’oléastre de l’olivier cultivé. Les individus sauvages
possèdent des cernes de croissances étroits, les individus cultivés
des cernes plus larges, en réponse à des conditions de croissance
plus propices, et un nombre de vaisseaux par groupe signiicativement plus faible. Cete caractéristique anatomique a été interprétée comme une réponse aux conditions écologiques de croissance :
produire des vaisseaux groupés en iles radiales confère à l’arbre une
sécurité de conduction élevée. En efet, les conditions estivales du
milieu méditerranéen caractérisées par un déicit hydrique important peuvent induire la pénétration de ines bulles d’air obstruant le
réseau conducteur de sève pouvant mener à la mort de l’arbre ou de
la partie innervée (phénomène de cavitation appelée aussi embolie
gazeuse) ; or les vaisseaux connectés radialement assurent des relais
en cas de d’embolie : si un vaisseau se bouche, la sève sera réorientée
vers les vaisseaux contigus. Ainsi, le bois des individus cultivés, en
réponse à des conditions de croissance facilitées, privilégie l’eicacité
plutôt que la sécurité de conduction de la sève. C’est pour cela qu’en
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La domestication de l’olivier en Méditerranée nord-occidentale
moyenne, les bois des oliviers cultivés possèdent moins de vaisseaux
accolés que le bois des oléastres.
Modèle éco-anatomique
de référence établi sur des
échantillons actuels révélant
la discrimination des oliviers
en fonction de leur statut
sauvage ou cultivé.
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Cette représentation
schématique des deux
premiers axes d’une analyse
discriminante montre que les
critères « largeur de cernes »
et « nombre de vaisseaux
par groupe » permettent de
discriminer les deux groupes
d’olivier avec un taux supérieur
à 95 % et fournit un référentiel
permettant d’identiier
le statut des charbons de bois
archéologiques d’olivier.
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L’existence d’une exploitation diférentielle de l’olivier au cours
du temps et de l’émergence de sa culture au Néolithique a été révélée
grâce à la connaissance des variations anatomiques du bois d’oliviers
modernes et à l’analyse comparée de matériel archéologique de différentes périodes (Terral, 1996).
Dans certaines régions de Méditerranée occidentale (en Espagne,
au Portugal et en France), la sédentarisation et l’acquisition de l’agriculture coïncident parfaitement avec le déclin des formations végétales mises en place au début de l’Holocène, dominées par les chênes
caducifoliés et sempervirents et corrélativement avec l’extension de
l’olivier. Ainsi, l’ouverture de la forêt à des ins agricoles aurait-elle
induit une compétition entre les végétaux de recolonisation (essentiellement des espèces fruitières) et les plantes cultivées jusqu’à
l’intégration au sein du système agricole de certains ligneux dont
l’olivier.
Ce processus, initié dès le Néolithique (environ 6000 AEC) et
présidant aux destinées de l’olivier, se subdivise en deux phases. La
première correspond à la période du Néolithique au Chalcolithique.
Elle est marquée par une exploitation intensive de l’olivier pour son
bois très probablement utilisé comme combustible. D’un point de
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Histoire de l’olivier
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vue paléo-écologique, cete phase correspond à l’expansion de formations végétales méditerranéennes à olivier les plus adaptées à un
climat chaud. La seconde phase, couvrant le Chalcolithique et l’âge
du Bronze, période durant laquelle les végétations à olivier sont bien
installées, semble caractérisée par un changement de mode d’exploitation de l’olivier (Terral et al., 2009). L’exploitation de l’arbre
devient raisonnée, assimilable à une pratique de taille. Cete gestion
maîtrisée aurait pu contribuer au maintien d’arbres cultivés à maturité sexuelle, producteurs de fruits.
Finalement, l’augmentation de la fréquence en pollen d’Olea,
considérée auparavant comme une preuve formelle de l’origine de sa
culture, témoignerait plutôt de nouvelles pratiques agricoles introduites par les peuples antiques. Les données palynologiques dateraient la mise en place d’oliveraies, c’est-à-dire l’avènement d’une
oléiculture intensive.
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Malgré les problèmes de conservation des restes végétaux en
contexte archéologique (décomposition, fragmentation ou déformation des échantillons), de nombreux noyaux d’olive carbonisés
en parfait état ont été mis au jour lors de fouilles archéologiques de
sites divers (Espagne, Italie, France).
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Noyaux archéologiques
antiques datés de 275-350 EC
(Puits du site de la Roquette,
Cavillargues, Gard).
© J.-D. Strich
(UMR CEPAM, CNRS)
En Méditerranée nord-occidentale,
l’olivier est domestiqué 2 000 ans
avant l’intervention des sociétés antiques
Procédure de l’analyse
morphométrique géométrique
(étude de la forme)
du contour de noyaux d’olive.
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La domestication de l’olivier en Méditerranée nord-occidentale
Méthodologie
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La distinction des individus sauvages et des individus cultivés d’une
même espèce est souvent impossible par simple observation ou par
la mesure de ses dimensions. S’il est vrai que les mensurations des
fruits et des graines varient en fonction du statut sauvage ou cultivé
et de la position taxonomique de la plante (sous-espèce ou variété
botanique), la dimension des graines est tributaire de paramètres
écologiques, anthropiques, pathologiques et liés au développement.
Ces facteurs que l’on peut tester sur du matériel vivant ne sont pas
toujours contrôlables sur le matériel archéologique. La distinction
des formes sauvages et des formes domestiquées exige donc des
méthodes appropriées et performantes que fournit la morphométrie
géométrique. Un des intérêts majeurs de ces méthodes réside dans
la possibilité de caractériser la géométrie (ou forme) d’une structure quelconque, en nous afranchissant ou non de ses dimensions.
L’analyse de cette composante morphologique, indépendamment
des mensurations, permet ainsi un contrôle optimal des facteurs liés
au développement et des paramètres environnementaux de variabilité morphologique.
La variabilité d’un caractère peut être expliquée par trois composantes essentielles : génétique, environnementale et ontogénétique.
La composante ontogénétique est elle-même dépendante des deux
premières, elle correspond à la croissance et au développement. À
l’aide de tels critères géométriques et, à condition que l’indépendance entre la forme, l’environnement et le développement soit
démontrée, la comparaison de plusieurs individus en terme de distance morphologique (appelée aussi divergence morphologique ou
déviation phénotypique) revient approximativement à étudier les
relations de parenté entre ces individus. Cette analyse abordant donc
le déterminisme génétique de la variabilité de caractères potentiellement héritables est néanmoins à nuancer, car elle est traduite par
l’expression de systèmes de gènes qui est souvent inconnue.
Aucun argument scientiique ne permetait d’airmer s’ils provenaient d’oliviers sauvages ou de formes domestiquées. Dans le but
de répondre à une telle interrogation, une approche morphologique
à haute résolution a été engagée.
Étude des noyaux. Les analyses morphométriques de plus de
3 000 noyaux d’olives de populations sauvages, de variétés cultivées
d’origines diverses et de noyaux issus de plusieurs sites archéolo-
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Histoire de l’olivier
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giques (Espagne, Italie, France) apportent des résultats importants
aux diférentes échelles taxinomique, géographique et chronologique (Terral, 1996 ; Terral et al., 2009).
Les oléastres se distinguent des cultivars par des critères morphométriques fondés sur la structure géométrique des noyaux avec
un taux de discrimination supérieur à 90 %. Depuis les origines de
la domestication, les pressions de sélection furent telles qu’elles
ont grandement affecté la structure morphologique du noyau.
Originellement, le noyau est plutôt de petite taille (< 1 cm), ce qui
est un critère non exclusif, et surtout relativement global.
D’un point de vue géographique, les divergences morphologiques entre les populations sauvages (individus spontanés) occidentales (voir igure groupe 1) et orientales (voir igure groupe 2)
témoignent d’une diférenciation antagoniste, probablement liée
à une ségrégation de leur distribution géographique en deux zones
distinctes et donc, la rupture des lux géniques entre l’est et l’ouest.
Fondée sur des facteurs climatiques, écologiques, historiques et
socioculturels, le Bassin méditerranéen peut être divisé en une zone
orientale et une zone occidentale de part et d’autre d’un axe reliant la
mer Adriatique au désert libyque (Blondel et Aronson, 1995). Cete
concordance entre la diférenciation morphologique des oléastres
mise en évidence et leur situation biogéographique apparaît comparable aux résultats d’études entreprises sur le polymorphisme de
l’ADN cytoplasmique à l’échelle de la Méditerranée ou régionales.
Les convergences et divergences de forme du noyau entre populations sauvages et cultivars d’origines diverses témoignent de la
complexité des échanges entre les populations humaines à l’origine
de la difusion de la culture de l’olivier dans le Bassin méditerranéen.
Cependant, certains groupes morphologiques possèdent une unité
géographique, comme les oliviers du groupe 3 (voir igure) (Terral,
1996).
Du fait de leur proximité morphologique par rapport au groupe
constitué d’oléastres occidentaux et, de par leur divergence morphologique vis-à-vis des oléastres et des cultivars de Méditerranée
orientale, il est donc très probable que les cultivars du groupe 3 (voir
igure) dérivent d’un pool génétique occidental, indépendamment
du pool oriental. La convergence morphologique de cultivars de
l’est et de l’ouest semble quant à elle s’opposer à un modèle biogéographique de ségrégation des populations sauvages entre l’est et
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La domestication de l’olivier en Méditerranée nord-occidentale
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l’ouest. Cete convergence résulterait donc des migrations humaines
qui, au il du temps, ont favorisé le croisement entre formes orientales et formes occidentales, modèle corroboré par les approches
génétiques.
Les noyaux archéologiques de 21 sites archéologiques sont
confrontés au modèle de diférenciation morphologique (selon
une procédure statistique multivariée comparative et décisionnelle).
Leur ailiation au groupe phénotypique le plus convergent permet
de dater les origines de la domestication de l’olivier et de retracer
l’histoire biogéographique de la diversiication variétale de l’olivier
en Méditerranée nord-occidentale.
Les premiers échantillons appartenant à une forme domestiquée
proviennent d’un site chalcolithique espagnol daté à 2300-2000
avant notre ère. Ils sont mis au jour sous la forme d’un morphotype (groupe 3) composé de cultivars originaires de Méditerranée
occidentale. En Espagne, du Chalcolithique à la période romaine, il
semble que de nouveaux types morphologiques d’olivier domestiqué apparaissent graduellement, en commençant par des formes très
probablement ailiées d’abord au monde colonial phénicien puis à
l’Empire romain.
Au regard des données acquises, l’âge du Bronze semble donc
être une période clé dans l’histoire de l’olivier. La domestication a
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Structuration de la diversité
morphologique de l’olivier
saisie à partir de l’analyse de
noyaux d’oliviers spontanés
(ou subspontanés)
et de variétés cultivées
d’origine diverses.
Les résultats mettent en lumière
une ségrégation « est - ouest »
des formes sauvages et la mise
en évidence en Méditerranée
nord-occidentale de formes
cultivées présentant
une ainité géométrique
à des formes occidentales, dès le
Chalcolithique et l’âge du Bronze.
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Histoire de l’olivier
commencé avec la sélection de caractères remarquables, tel le calibre
des fruits ou leur quantité d’huile, jusqu’à ce que des populations
migrantes introduisent en Méditerranée occidentale de nouvelles
variétés cultivées et des modes agricoles plus performants au milieu
du dernier millénaire avant notre ère. La domestication aurait donc
débuté bien plus tôt que ce qui a été admis jusqu’au début des années
2000 par les archéologues et historiens.
L’irrigation médiévale de l’olivier mise à jour
par de l’éco-anatomie quantitative
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La mise au jour de charbons de bois d’olivier datés du Moyen Âge
présentant des vaisseaux d’un diamètre très élevé suggérait, en référence au modèle éco-anatomique explicité précédemment, une disponibilité élevée en eau dans le sol.
Comme aucune donnée textuelle ou paléoclimatique n’a été
découverte sur la survenue au Moyen Âge central d’un épisode
humide, l’hypothèse d’une intervention humaine fut posée.
La litérature agronomique médiévale est efectivement féconde
sur les pratiques culturales héritées de la civilisation romaine et du
monde arabo-musulman, la taille, la grefe et l’irrigation par exemple.
L’irrigation, documentée indirectement au travers des actes de la
pratique et des cartulaires médiévaux, est décrite de manière détaillée dans les traités savants (Durand, 1998). Bien que les informations transcrites soient très précises d’un point de vue technique
et pratique, on ne sait pas si les paysans de l’époque ont appliqué les recommandations agronomiques. Les conseils prodigués
concernent l’ensemble des arbres fruitiers et des recommandations
spéciiques à des arbres comme l’olivier sont exceptionnelles. Par
exemple, P. de Crescent, agronome bolonais du xiiie siècle suggérait
d’utiliser l’eau de pluie ou de citerne pour irriguer l’olivier plutôt que
l’eau de rivière. Ibn Al’-Awwâm proposait d’arroser tardivement les
oliviers récemment grefés. L’hypothèse de la présence historique
d’une culture irriguée de l’olivier était donc à tester.
Le référentiel établi pour la recherche de critères quantitatifs de
discrimination entre olivier sauvage et olivier cultivé a été amendé à
l’aide d’échantillons modernes prélevés sur des individus sauvages
poussant en condition ripicole et sur des individus cultivés irrigués
exclusivement de manière traditionnelle, c’est-à-dire au moyen de
techniques gravitaires. Le modèle obtenu après les analyses éco-ana-
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La domestication de l’olivier en Méditerranée nord-occidentale
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tomiques, les calculs de conductivité hydraulique et les traitements
statistiques aiche un pouvoir de discrimination supérieur à 90 %.
Il diférencie, quel que soit le statut, sauvage ou cultivé, les oliviers
poussant sous inluence hydrique de ceux en conditions de sécheresse. Dans les zones semi-arides comme dans le sud de l’Espagne
et en Afrique du Nord, les oléastres peuvent être rencontrés sur les
rives de cours d’eau temporaires (oueds dans le Maghreb ou barrancos dans la péninsule ibérique). Cete situation écologique atypique
ofre aux arbres un apport d’eau leur permetant, au printemps, de se
développer dans des conditions optimales. L’été, les cours d’eau sont
totalement asséchés et, la croissance des arbres est stoppée.
Les oliviers mis en culture croissent plus rapidement que leurs
congénères sauvages. Même s’ils sont cultivés en sec, un espacement des individus et l’élimination des compétiteurs ou des amendements suisent à expliquer des diférences de cinétique de croissance. Néanmoins, les régions sèches et semi-arides dépendent de
l’irrigation en vue de garantir une production agricole suisante.
Dans d’autres régions où les conditions climatiques sont moins drastiques, l’irrigation peut être tout de même employée dans le but
d’augmenter la productivité, le rendement et la qualité des récoltes.
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Modèle éco-anatomique
de référence établi sur des
échantillons actuels révélant
la discrimination des oliviers
en fonction de leur statut
sauvage ou cultivé
et de la disponibilité
en eau du milieu.
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Il s’agit de la représentation
schématique des deux premiers
axes d’une analyse discriminante
(Durand et Terral, 2005-2006).
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Histoire de l’olivier
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D’un point de vue biologique, une relation signiicative entre
les caractéristiques anatomiques et la disponibilité de l’eau dans le
milieu est mise en évidence, à la fois chez l’olivier sauvage et chez
l’olivier cultivé. La conductivité hydraulique, liée directement au
caractère de la surface des vaisseaux conducteurs du bois augmente
fortement en réponse à un apport d’eau. Il semble donc qu’une surface de vaisseaux élevée et donc de conductivité hydraulique, peut
être interprétée comme une réponse éco-physiologique de l’arbre à
une meilleure disponibilité en eau. Ces changements correspondent
donc à une grande eicacité de transport de sève.
La confrontation des résultats des mesures pratiquées sur les
charbons médiévaux au modèle éco-anatomique de discrimination vériie notre hypothèse de départ, à savoir que l’irrigation était
appliquée aux cultures d’olivier depuis la période carolingienne en
Languedoc (Lunel-Viel), puis en Corse et en Catalogne espagnole à
la in de la période médiévale. En efet, la grande majorité des charbons de bois archéologiques sont classés dans le groupe des spécimens cultivés (Durand et Terral, 2005-2006). Quelques individus toutefois appartiennent au groupe des oliviers sauvages, sans
que l’on puisse dire si ces arbres sont réellement sauvages ou si ce
sont des individus féraux ou issus d’un verger abandonné. Parmi le
groupe des oliviers cultivés, hormis un nombre non négligeable de
charbons de bois non identiiables possédant des caractéristiques
anatomiques intermédiaires, la plupart sont ailiés au groupe des
oliviers cultivés irrigués.
Pour la première fois, grâce aux analyses éco-anatomiques, l’existence de la pratique de l’irrigation de l’olivier est atestée au Moyen
Âge. Les résultats montrent qu’en Méditerranée nord-occidentale, cete pratique est courante, au moins dès le début ou après le
xiie siècle. L’irrigation ne doit plus être considérée comme une pratique culturale mineure pour cet arbre. L’irrigation de l’olivier ne
peut être considérée comme un palliatif ; elle participe sans aucun
doute à accroître le rendement et la qualité de production. Ainsi,
sous de telles conditions, la culture de l’olivier au Moyen Âge ne
doit plus être considérée comme extensive aux marges des terroirs,
mais comme une oléiculture maîtrisée et parfaitement ancrée dans
la tradition de l’arboriculture médiévale.
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La domestication de l’olivier en Méditerranée nord-occidentale
Pour en savoir plus
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Blondel J., Aronson J., 1995. Biodiversity and ecosystem function in the Mediterranean
Basin : human and non-human determinants. In Mediterranean-type Ecosystems. he
function of biodiversity, G. W. Davis and D. M. Richardson (ed.), p. 43-119. Berlin,
Springer-Verlag.
Durand A., 1998. Les paysages médiévaux du Languedoc (xe-xiie siècle). Toulouse, France,
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archéologique : l’exemple de l’irrigation des plantations d’oliviers (ixe-xve siècle).
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retour. Numéro spécial de la revue Études sur l’Hérault (éditée par le conseil général de
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Zohary D., Spiegel-Roy P., 1975. Beginning of ruit growing in the Old Word, Science,
187: 319-327.
87
Jarres de stockage de l’huile
d’olive. Moulin du XVIIIe siècle,
chez Autrans à Nyons.
© Inra – Jean Weber