La so ialisatio à la
o ilité ’est-elle u’u e uestio de ge e ? L’exe ple des adoles e ts de
catégories populaires du rural et de Zones Urbaines Sensibles.
Julian Devaux & Nicolas Oppenchaim
Résumé
Les pratiques et rapports des adolescents à la ville sont le plus souvent appréhendés par le seul biais
du genre et des inégalités e t e filles et ga ço s. Cet a ti le ise, à pa ti d’u e
thodologie
i te
et d’u e o pa aiso e t e o te te u al et elui des zones urbaines sensibles, à montrer que le
ge e ’est pas la seule a ia le à agi su les p o essus de so ialisatio à la
L’effet du ge e su
es p o essus se d li e e effet diff e
o ilit à l’adoles e e.
e t selo les appa te a es so iales
et résidentielles des adolescents.
Abstract
Practices and relationships from teenagers to the city are more often than not apprenhended only by
gender and inequalities between girls and boys. This article aims, from a mixed methodology and a
comparison between rural environment and sensitive urban areas, to show that the gender is not the
only influencing variable to act on mobility socialization processes at teenager period. Indeed, gender
effect on these processes can be translated differently according to social and residential
backgrounds of teenagers.
L’adoles e e est u âge e t al da s la o st u tio des dispositio s i di iduelles is-à-vis de
l’espa e u ai
De au
et Oppe hai ,
. Du a t
ette p iode de t a sitio
e t e la
socialisation primaire et la socialisation secondaire (Cuin, 2011), les adolescents commencent à
s’auto o ise des i sta es de so ialisatio t aditio
elles ue so t la fa ille et l’ ole Galla d,
2011), en particulier lors de leurs premières expérimentations du domaine public (Breviglieri, 2007).
Ils a ui e t au ou s de leu s
d pla e e t et des lieu f
o ilit s des ha itudes du a les e te
es d’usages des
ue t s, de appo ts au espa es pu li s et à l’a o
odes de
at u ai ,
ais
aussi des appétences en termes de projections résidentielles futures (Devaux et Oppenchaim, 2012).
Ces effets so ialisa ts de la
o ilit so t d’auta t plus op a ts à et âge ue les adoles e ts
1
app e
e t p og essi e e t à se d pla e sa s l’a o pag e e t d’adultes et à se
e u
« temps à soi » da s l’espa e u bain qui favorise leur subjectivation (Zaffran, 2010).
Ces processus de socialisation sont largement liés à des effets de genre. De nombreux auteurs ont
mis en évidence une socialisation différenciée entre filles et garçons aux pratiques de mobilité durant
l’e fa e et l’adoles e e, et le ôle
ajeu
ue joue t à et ga d les ep se tatio s pa e tales
(Rivière, 2012). Les pratiques urbaines des filles sont plus strictement encadrées que celles des
ga ço s, du poi t de ue des lieu et des pe so
es u’elles fréquentent ou encore de leurs sorties
nocturnes, en raison de la « peur sexuée » qui structure les pratiques éducatives des parents (Lieber,
, ota
e t elle de l’ag essio des jeu es filles d s u’elles atteig e t la pu e t
2012). Cet e ad e e t diff e i
Ri i e,
epose plus la ge e t su l’i t io isatio de ep se tatio s
péjoratives de la ville et des espaces publics urbains, naturellement associés par les parents à
l’i s u it . Il o e e aussi ie les p ati ues des espa es pu li s du territoire de résidence que les
o ilit s plus loi tai es. Da s e deu i
e
o
e as, il se fo alise t s sou e t su l’usage des t a spo ts
u , eau oup plus est ei t du ôt des filles ue des ga ço s, ta dis u’à l’ helle lo ale, il
repose davantage sur la volonté de certains parents de contrôler les relations amoureuses des jeunes
filles (Clair, 2008).
D’aut es t a au
o t e t ue le ge e ’est pas la seule a ia le à agi su
es p o essus de
socialisation à la mobilité. Le territoire de résidence joue un rôle central dans les dispositions
incorporées par les adolescents (Depeau, 2008 ; Devaux, 2016), selon ses caractéristiques
g og aphi ues p o i it à la ille, desse te e t a spo t e
o
configuration socio- side tielle ôle des pai s, o te te plus ou
adoles e ts… . De
e, les diff e es d’e i o
u ,
uipe e ts de loisi s… et sa
oi s fa o a le à l’auto o ie des
e e t so ial et fa ilial i duise t u e di e sit
de mobilités adolescentes, variables par exemple selon la trajectoire résidentielle des parents
(Goyon, 2009) ou le fonctionnement de la cellule familiale (Kaufmann et Widmer, 2005).
L’appa te a e so iale et
side tielle des adoles e ts i flue e ai si aussi ie les
o ilit s des
adolescents en dehors de leur territoire de résidence que leur ancrage résidentiel, ’est-à-dire leurs
usages du quartier, leurs pratiques de sociabilité avec les autres habitants et le rôle du quartier dans
la construction de leur identité sociale (Authier, 2001). Or, si de nombreux travaux renseignent les
diff e es d’a
age
side tiel Buffet,
e t e filles et ga ço s, es
et de
o ilit s uotidie
es Va de
sultats so t a e e t ois s a e l’appa te a e so iale et
isse ,
side tielle
des adolescents.
L’o je tif de et a ti le est alo s de
ieu
o p e d e l’a ti ulatio e t e appa te a es so iales,
résidentielles et de genre dans les processus de socialisation à la mobilité. En effet, la construction
des identités et des rapports sociaux de sexe se décline différemment selon les milieux sociaux et
side tiels Tissot,
.Pe dee
o pte es t ois di e sio s pe
et d’ ite deu
ueils :
2
d’u e pa t, u e le tu e t op spatialiste des appo ts so iau
Ri i e et Ripoll,
, su esti a t le
rôle de certains contextes de résidence sur les différences genrées de pratiques – par exemple une
i isi ilit des filles da s l’espa e pu li de
side e ui se ait li e à u
aux « cités » (Clair, 2008) ; d’aut e pa t, la p
i e e do
e au
o te te u ai sp ifi ue
appo ts sociaux de classe dans
la o p he sio des p o essus de so ialisatio , au d t i e t des effets du ge e et de l’espa e. Au
o t ai e, l’a ti ulatio de es di e sio s pe
so iau
et de e d e o pte de la o ple it des appo ts
i te es à l’adoles e e contemporaine, trop souvent représentée de manière
homogénéisante (Pasquier, 2005). Cette approche invite en particulier à penser la différenciation
interne dans les processus de socialisation des jeunes des classes populaires, entre filles et garçons,
entre classes populaires stables et marginalisées (Schwartz, 1998), mais aussi en fonction de leur
territoire de résidence (Siblot et al., 2015).
Méthodologie
Afi de
ieu
o p e d e l’effet du ge e et des diff e iatio s i te es au
la so ialisatio des adoles e ts à la
lasses populai es sur
o ilit , ous ous appu o s su plusieu s te ai s d’e
u te
situés en Île-de-France : l’e ploitatio statisti ue de l’Enquête globale transports (EGT) de 2001 et
,
e
e sous l’ gide du Stif1 et de la Dreif2, qui permet de décrire les déplacements des
F a ilie s de plus de
lo alis e aup s d’u e
a s au ou s d’u e jou
e de se ai e et le
i gtai e d’adoles e ts f a ilie s
eek-end ; une ethnographie
sida t da s u e o
u e u ale
« périphérique3 », Bresson4, marquée par de faibles densités, une démographie dynamique et le
poids pe sista t de l’ag i ultu e et de l’a tisa at ; enfin une enquête ethnographique dans une
aiso de ua tie d’u e zone urbaine sensible (Zus) de grande couronne, et une recherche par
entretiens dans huit établissements scolaires dont le bassin de recrutement est situé en partie en
Zus. Si ces terrains sont à priori dissemblables, leur confrontation permet de contrôler la portée des
résultats de recherche tout en p ta t u e atte tio soute ue au ôle ue joue l’appa te a e
so iale et
side tielle des adoles e ts da s la o st u tio de
a i es d’ha ite diff e i es des
filles et des garçons.
L’a
age éside tiel des adoles e ts : effets de genre, de classe et du lieu de résidence
Les appo ts de ge e i flue e t fo te e t l’a
populai es. Ils se t aduise t ota
à l’i e se u e app op iatio plus f
e t pa u e
age
side tiel des adoles e ts de at go ies
oi d e p se e des filles da s l’espa e pu li , et
ue te de l’espa e domestique. Cet effet du genre est plus lié à
1 Syndicat des t a spo ts d’Île-de-France
2 Direction régionale de l’équipement de l’Île-de-France
3 La o
u e est situ e e deho s de l’ai e u ai e pa isie e, da s les o fi s de la Sei e-et-Marne, à la frontière avec le
Loi et. Elle est dista te d’u e i gtai e de kilo t es du e t e u ai le plus p o he et e dispose pas d’a s au
transports en commun.
4
Les noms de lieux et de personnes ont été rendus anonymes.
3
des variables sociales que territoriales, car il concerne aussi bien les adolescents de Zus que du rural.
Il ne doit cependant pas conduire à minorer les spécificités de chaque territoire de résidence, ainsi
que la di e sit d’a
U e
ages i te es au filles et ga ço s de at go ies populai es.
oi dre prése e des filles da s l’espa e pu li de réside e
L’e ploitatio des e
u tes EGT
o t e ue les filles de at go ies populai es o t
oi s d’a ti it s
dans leur commune que les garçons, en particulier sans leurs parents, mais également que les filles
de
o
at go ies
o e
es et sup ieu es. Ces de i es
alise t auta t d’a ti it s da s leur
u e ue les ga ço s de at go ies sup ieu es, e pa ti ulie lo s u’elles ha ite t da s Pa is
intra-muros.
Tableau 1 : Adolescents ayant eu une activité extrascolaire dans sa commune un jour de week-end
en 2010
Catégories
Catégories
Catégories
Total
populaires
moyennes
supérieures
Garçons
39,5 %
33,2 %
39,7 %
37,6 %
Filles
23,1 %
28,2 %
42,4 %
31,8 %
Lecture : 23,1 % des adolescentes de catégories populaires ont réalisé une activité dans leur commune, contre 39,5 % des
garçons de cette catégorie
Source : EGT 2010 Stif-Omnil-Driea, calcul des auteurs.
Les
a ts o se
s selo le se e da s la
alisatio d’a ti it s da s sa o
u e
as ue t ai si des
différences entre filles et garçons beaucoup plus marquées parmi les catégories populaires que dans
les autres catégories sociales. Cela se traduit également par un usage différencié de la marche à pied,
a e des
a ts
oissa ts depuis di a s, à la fois e t e at go ies so iales et à l’i t ieu des
catégories populaires : alo s ue l’usage de la marche pour réaliser une activité extrascolaire a
augmenté chez les garçons quelle que soit leur catégorie sociale, il a fortement augmenté pour les
filles de catégories supérieures, est resté stable pour celles de catégories moyennes et a beaucoup
diminué parmi les filles de catégories populaires. Les garçons de catégories populaires sont les
adolescents (avec ceux de catégories supérieures) qui utilisent le plus la marche pour réaliser des
activités extrascolaires, alors que les filles de cette catégorie sont celles qui y ont le moins recours.
Tableau 2 : Adolescents ayant réalisé une activité extrascolaire en utilisant la marche à pied un jour
de week-end en 2010.
4
Catégories
Catégories
Catégories
Total
populaires
moyennes
supérieures
Garçons
29,3 %
23 %
37,6 %
30,5 %
Filles
10,9 %
18,2 %
27,1 %
19,3 %
Lecture : 19,3 % des filles ont réalisé une activité extrascolaire en marchant contre 30,5 % parmi les garçons.
Source : EGT 2010 Stif-Omnil-Driea, calcul des auteurs.
Cet
a t d’a ti it s
alis es à p o i it du do i ile e t e filles et ga ço s de at go ies populai es
est transversal à leur territoire de résidence. Les garçons de Zus ont plus recours à la marche que les
aut es adoles e ts, e
aiso
d’u e fo te p se e da s l’espa e pu li , li e à l’i te sit
sociabilités juvéniles dans ces quartiers (Lepoutre, 2001),
l’a se e d’
des
ais aussi à l’e igüit du loge e t et à
uipe e ts de loisi s au do i ile. Mais, à l’i e se, les filles de Zus ’o t pas
oi s
d’a tivités dans leur commune que les autres adolescentes de catégories populaires. Cette
transversalité des écarts entre filles et garçons de catégories populaires, quel que soit leur territoire
de
side e, uestio
e les th ses d’u e s g gatio des ge es da s l’espa e pu li sp ifi ue au
Zus (Clair, 2008 ; Lapeyronnie, 2008). Le contexte urbain spécifique des Zus contribue certes à faire
du ua tie u espa e sous o t ôle, ota
e t elui des ga ço s ui statio
public. La présence des filles da s l’espa e pu li est pe çue o
genre », c'est-à-di e à l’i jo tio de se o fo
plei e e t se ualis
u’ap s le
e t da s l’espa e
e u e attei te à l’« ordre du
e à l’i age d’u e fille e pou a t de e i u
a iage et de a t do
fai e p eu e de
te
se e dans son
comportement. Les filles doivent avoir une bonne raison pour se déplacer dans le quartier, elles ne
doivent pas y stationner ou être seules au milieu de garçons. En contrevenant à ces règles
d’o upatio de l’espa e pu li , elles so t
N a
e a es d’avoir mauvaise réputation (Clair, 2008).
oi s, l’o upatio diff e i e de l’espa e pu li de
side e, a e u e
oi d e isi ilit des
filles, est avant tout liée à des variables sociales et non territoriales. Deux éléments expliquent plus
particulièrement la moindre présence des filles de catégories populaires dans leur quartier. Les
espa es pu li s o t tout d’a o d toujou s t des espa es se u s Lie e , 2008). Ils sont socialement
construits comme des espaces dangereux pour les femmes, plus vulnérables que les hommes, car
elles se aie t
oi s apa les de se d fe d e fa e au ag essio s. Ils s’oppose t à l’espa e i t ieu
du logement, socialement construit comme protégé et lieu de prédilection des femmes. Cette
division traditionnelle des espaces structure les stratégies éducatives des parents, mais aussi les
régulations informelles des adolescents eux-mêmes. On retrouve par exemple dans les territoires
u au le o t ôle e e
pa les pai s su les p ati ues de l’espa e pu li
side tiel et les relations
amoureuses entre adolescents (Clair, 2012). Or, cette appropriation sexuée des espaces est
5
renforcée parmi les adolescents de catégories populaires (Zaffran, 2010), les filles étant plus enclines
à rester au domicile, alors que les garçons investisse t plus p
o e e t l’espa e pu li à p o i it
du domicile. Le cas des adolescents de Bresson (cf. encadré méthodologique) illustre bien cette
appropriation sexuée : d s le d
ut de l’adoles e e, les ga ço s affi he t u e assez fo te p se e
au sei
u’il s’agisse de l’espa e de la « rue » ou encore des quelques
des espa es pu li s,
équipements sportifs de la commune – notamment le terrain de football municipal. En revanche, les
filles se caractérisent surtout par un fort usage des espaces domestiques, en particulier de la
chambre, mais aussi du jardin familial. Ces espaces sont souvent investis en compagnie des pairs,
notamment du « groupe de copines ».
La se o de e pli atio à la
oi d e p se e des filles de at go ies populai es da s l’espa e pu li
side tiel est ue l’off e d’a ti it s de loisi s g atuites ou peu o
ga ço s u’au filles, uel ue soit leu te itoi e de
side e, o
euses
e le
est plus adapt e aux
o t e l’i po ta e des
city-stades dans la sociabilité juvénile en Zus, ou celui du club de football local dans le milieu rural.
Les filles de catégories populaires pratiquent eau oup
asso iati es ue les ga ço s, e
oi s d’a ti it s spo ti es, ultu elles ou
aiso d’u fi a e e t pu li p i ipale e t o ie t
e s les
activités prisées par les garçons, de stéréotypes de genre conduisant les acteurs des politiques de
jeunesse à naturaliser la moindre présence des filles dans les associations (Raibaud, 2014), ou du
se ti e t d’i puissa e des p ofessio
els de te ai pou i te e i
is-à-vis des rapports sociaux
de sexe, auxquels ils ne sont ni sensibilisés ni formés (Danic, 2016).
U e diversité d’a rage réside tiel des filles de atégories populaires
La
oi d e p se e des filles de at go ies populai es da s l’espa e pu li
e doit pas
as ue la
diversité de leur ancrage résidentiel, ainsi que celui des garçons, selon leur territoire de résidence.
Au-delà du genre, de nombreuses variables influencent l’a
age
side tiel des adoles e ts, e
particulier la catégorie sociale et la trajectoire résidentielle de leurs parents.
En Zus, u e pa tie des filles ejette leu
ua tie et e f
ue te ja ais l’espa e pu li de
Ces adolescentes repren e t deu st at gies lassi ues d’autop ote tio s
oli ue des ha ita ts
de quartiers ségrégués stigmatisés (Wacquant, 2011) : d’u e pa t, la dista iatio
l’ la o atio de
i odiff e es a e les aut es ha ita ts ; d’aut e pa t, le d
o siste à ep e d e à so
side e.
utuelle et
ig e ent latéral qui
o pte les ep se tatio s stig atisa tes issues de l’e t ieu pou les
appliquer à une partie des habitants. Elles se désolidarisent des autres jeunes de leur ville,
ota
de
e t eu
side e, e
u’elles o
e t « a ailles ». Elles
i i ise t leu p se e da s l’espa e pu li
aiso de la peu d’ag essio s ph si ues ou e ales et du poids des u eu s. Leu
réseau amical dans le quartier se limite à une amitié forte avec une ou deux personnes. Elles passent
beaucoup de temps au domicile de leurs amis, et privilégient également la fréquentation dans leur
6
ua tie de lieu fe
f
s u’elles sa e t su eill s pa des adultes, o
e les i lioth
ues. Elles
ue te t aussi des lieu e plei ai , lo s u’elles so t certaines de ne pas y croiser des jeunes du
quartier.
À l’i e se, e tai es filles de Zus se caractérisent par une forte identité territoriale. Le rôle
déterminant du quartier dans la définition de soi de certains adolescents ne concerne ainsi pas que
les ga ço s. L’a
age
side tiel de es filles de Zus fortement attachées à leur quartier prend
néanmoins différentes formes, étroitement liées à leur positionnement vis-à-vis des stéréotypes de
ge e Oppe hai ,
. U e pa tie d’e t e elles t ou e leu pla e da s l’espa e pu li de
side e g â e à leu a
age fa ilial et à l’e t etie d’u e
putatio de fille « sérieuse ». De
nombreux membres de leur famille résident dans leur commune, les parents leur laissent une grande
liberté de déplacement da s l’espa e lo al, où elles poss de t la
ajo it de leu
seau a i al,
constitué exclusivement de filles. Ces adolescentes sont cependant moins visibles que les garçons
da s l’espa e pu li , elles
e d oits ui e so t f
lieu
ite t de statio
e t op lo gte ps da s le ua tie , si e ’est da s des
ue t s ue pa des filles de leu âge. Á l’i e se, elles e f
ui so t app op i s pa les ga ço s, ota
ue te t pas les
e t e soi e. U e fois la uit to
e, lo s u’elles
ne sont pas chez elles, elles restent dans les escaliers ou le porche de leur bâtiment, à portée de vue
de leurs parents.
Je me vois pas rester avec une foule de garçons autour de nous. Bon, y a quand même des lieux où on peut
alle , o s’ loig e u petit peu, o
’est pas o lig es d’ t e à ôt des ga ço s. O ai e ie alle
stade parce que là- as o est à l’aise, a pe so
e et o peut pa le
o
eo
eut, o peut fai e e u’o
eut, o est à l’aise [...] Ap s, e s i gt heu es, il est ho s de uestio d’alle da s
uestio . C’est pas ue ’est da ge eu ,
gens là- as, ils so t pas o
ais oilà, ça fe ait u peu
e… Ils so t o
au , ils so t ge tils,
au aise
pas de p o l
e pa appo t à ça, ’est pas ça le p o l
e,
a it , ’est ho s de
putatio . O
a pas de p o l
’est juste ue oilà, leu attitude, tout ça… J’ai toujou s app is u’il fallait
e s le
ite ,
e pa
a di e ue les
appo t à ça,
ais je passe o
ais ’est juste ue je fais atte tio
al,
a
lycéenne
de Zus, 17 ans).
D’aut es adoles e tes de )us trouvent leur place de manière différente dans leur quartier. Elles
adopte t les p i ipau
odes de o po te e t des ga ço s ui statio
e t da s l’espa e pu li :
elles jaugent les autres filles qui sont présentes dans ces espaces, elles ne baissent pas les yeux
lo s u’elles
oise t u g oupe u’elles e o
pas se laisse fai e e
aisse t pas et elles affi he t leu d te
as de p o o atio , e haussa t le to et e
i atio à e
o t a t u’elles ’o t pas peu
de se battre ; il leur arrive également de p o o ue d’aut es filles. La ep ise de es odes de
o po te e t s’effe tue plus f
ue
e t à l’e t ieu du ua tie , a elle est plus diffi ile à
ett e e œu e da s u espa e lo al do i
passer du te ps da s leu
pa des ga ço s plus âg s. Ces adoles e tes ai e t
ua tie , do t elles app
ie t l’a
ia e. Elles statio
e tf
ue
e t
7
da s des lieu f
ue t s pa des ga ço s. Si elles e so t a ies u’a e
uel ues filles, elles
développent également des liens amicaux ou amoureux avec des garçons plus âgés du quartier.
A a t, j’ tais al e, o
a di e, ’est pas ue j’ tais bolos, pa e ue j’allais pa le
ua d
e, j’a ais u
fort caractère et fallait pas me chercher. Mais là, même si tu me cherches pas, ben tu me trouves. Je suis
toujours sur la défensive, je suis dure. Aux Beaudottes, je parle pas aux filles. Là-bas, les filles elles me
ega de t et je les ega de aussi. Co
e o est su u
he i oppos , ta t u’elle est pas de i e
oi, je
continue à la regarder. Mais elles font ça avec tout le monde, tout le monde fait ça avec tout le monde,
do
’est pas g a e. Bo
a juste les bolos, eux, ils regardent par terre généralement (lycéenne de Zus,
17 ans).
O
et ou e ette di e sit d’a
e
o te te u al. U e
ages
side tiels pa
i les filles de at go ies populaires résidant
ajeu e pa tie d’e t e elles, à l’i sta des filles de Zus, ont un faible usage,
surtout fonctionnel, des espaces publics. Elles se représentent ces espaces comme étant
essentiellement dévolus aux garçons de la commune et particulièrement inadaptés à leurs besoins.
Elles ont en retour un usage intense des espaces domestiques durant leur temps libre. Elles
iti ue t le
a
ue d’
uipe e ts d di s au filles da s la o
u e, ua d les ga ço s dispose t
de « leur » terrain de foot, et reprennent à bon compte le fameux « ennui » du jeune en milieu rural.
E
alit , pou u e pa tie d’e t e elles, ui dispose t d’u
seau elatio
el lo al i po ta t et
parviennent ainsi à multiplier les pratiques de sociabilité domestiques entre « groupes de copines »,
le rapport à leur territoire de résidence apparaît quelque peu ambivalent, entre ressources (sociales)
et o t ai tes spatiales . Á l’i e se, d’aut es adoles e tes, le plus sou e t
e
e t i stall es
dans la commune, ont des représentations particulièrement péjoratives des territoires ruraux,
s o
es d’isole e t à la fois spatial et so ial. S’ajoute, pou u e pa tie d’e t e elles, ota
e t
celles issues de catégories populaires « établies », l’effet des st at gies ducatives parentales qui ont
tendance à limiter davantage encore leurs pratiques locales : aux habituelles mises en garde contre
les da ge s des espa es pu li s s’ajoute la t a s issio
de ep se tatio s pa ti uli e e t
gati es de l’usage de la « rue » des jeunes, naturellement associé à la déviance (Vulbeau, 2014).
Cette transmission passe en particulier par la dénonciation de la frange de la jeunesse locale qui
« traîne ».
Toutefois, une partie des adolescentes résidant en milieu rural se caractérise par un assez fort
ancrage résidentiel. Issues de familles populaires « marginalisées », elles o
aisse t, à l’i sta des
garçons, une assez grande liberté dans leurs sorties et ont un usage relativement intense des espaces
publics. Si, au cours de la préadolescence (11-
a s , elles o t te da e à s’i s e da s e tai s
groupes de garçons de la commune, dans la continuité des relations nouées dans les associations
locales, ces pratiques deviennent par la suite essentiellement féminines. En opposition à la forte
mobilité locale des garçons, symbolisée par les virées en scooter réalisées en groupe dans les rues de
8
la commune, les adolescentes se cantonnent alors essentiellement à des pratiques de stationnement
en groupe dans les espaces centraux de la commune de résidence – la pla e de l’ glise, de a t
l’ ole – da s le ad e des uelles les usages u
i ues pa tage du
o ile,
oute de
usi ue…
occupent une place centrale.
De toute façon, ici, on a plutôt tendance à rester entre filles et les garçons vont de leur côté. Ça veut pas
di e u’o
e se pa le pas
ais les ga ço s o t plutôt ouge
e s le te ai de foot ou alo s ils t aî e t e
vélo, par là-bas [ndrl : en désignant une rue qui mène à la sortie du village]. Nous la plupart du temps, quand
on so t a e Cassa d a et Ma gau , ’est pas pou alle t s loi , o
l’ glise ou alo s o
a s’asseoi su le a
de a t l’ ole. O
a se pose su la pla e, juste de a t
este da s la ue p i ipale uoi. O dis ute
entre nous, ou alors tout simplement on est avec nos portables, on écoute de la musique, mais on va jamais
plus loin. Des fois
e, o
este de a t hez
oi, assises su l’es alie , ’est juste histoi e de so ti
uoi
(collégienne du rural, 14 ans).
Une domination plus sociale que genrée dans les territoires populaires ?
Les ga ço s de at go ies populai es so t plus p se ts da s l’espa e pu li de
filles de ette at go ie,
side e ue les
ais u e pa tie d’e t e elles i estisse t gale e t e tai s lieu de leu
territoire de résidence. Dans les territoires peuplés majoritairement de catégories populaires, en Zus
ou e
u al, les diff e es d’i estisse e t de l’espa e pu li
epose t auta t su des logi ues de
différenciation sociale que de genre. Ces deux logiques sont de fait intimement liées dans nos
te ai s de e he he. La fo te p se e de ga ço s de at go ies populai es da s l’espa e pu li
entraîne un virilisme exacerbé de ces derniers et un contrôle des filles, mais aussi des
garçons, auto is s à i esti l’espa e pu lic sans être importunés. En contexte rural, une partie des
filles de catégories populaires est par exemple beaucoup plus visible que les garçons issus des
at go ies sup ieu es et
o e
es, g
ale e t a se ts de l’espa e lo al, et qui préfèrent
investir des lieux de so ia ilit s e t ieu s à leu
o
u e. De
e, ous a o s u u’e Zus
e tai es filles l giti e t leu pla e da s l’espa e pu li g â e à leu a
age fa ilial elles so t
généralement issues des catégories populaires intégrées) ou en reprenant en partie les codes de
comportement des garçons (plutôt issues de catégories populaires fragilisées). Ces différenciations
sociales expliquent également en partie les divers ancrages résidentiels des garçons de Zus : une
pa tie d’e t e eu , issus g
éralement des catégories populaires fragilisées, passent la majorité de
leu te ps li e da s l’espa e pu li de
side e, où ils f
ue te t des jeu es plus âg s, et se
distinguent par une très forte identité territoriale ; d’aut es, le plus sou e t issus des catégories
populaires intégrées, se caractérisent par leur forte inscription dans le tissu associatif local, avec un
réseau amical centré sur des garçons de leur âge et un rôle moins important du quartier dans leur
construction identitaire ; enfin, u e pa tie i po ta te t
oig e d’u e lassitude
oissa te is-à-vis
9
des o s
ue es
gati es de la s g gatio
side tielle, e pa ti ulie de l’a se e de
i it et
du contrôle social qui rend difficile la construction de relations intimes. Ces adolescents passent
désormais la plus grande partie de leur temps libre en dehors de leur quartier. Leurs expériences de
o ilit , et la o f o tatio
ali e te t leu
aut e
ilieu so ial et
side tiel,
oi d e i estisse e t de l’espace public résidentiel. Ce dernier exemple montre la
essit d’a ti ule a
o
ussie a e des itadi s d’u
age
side tiel et p ati ues de
e t le ge e, l’appa te a e so iale et
o ilit des adoles e ts afi de o p e d e
side tielle i duise t des
a i es d’ha ite
différenciées.
Des pratiques de mobilité fortement genrées, mais différentes selon les milieux sociaux et
résidentiels
Un moindre accompagnement des filles de catégories populaires
Les rapports de genre influencent fortement les pratiques de mobilité des adolescents en dehors de
leur commune. Ils se traduisent notamment par un nombre plus faible de sorties en soirée des filles
et un accompagnement plus important par les parents, notamment en voiture. Ces écarts de
pratiques entre filles et garçons sont restés stables ces dix dernières années (Devaux et al., 2016),
mais cette stabilité masque des évolutions très différentes selon la classe sociale des adolescents :
’est pa
i les at go ies populai es ue les
plus p o o
Cette
a ts de p ati ues e t e les filles et les ga ço s so t les
s, eau oup plus aujou d’hui u’il a di a s.
olutio s’e pli ue p i ipale e t pa u
o t ôle diff e i des
ais a e des possi ilit s diff e tes d’a o pag e e t selo les
o ilit s selo le se e,
ilieu so iau . Les p atiques de
mobilité adolescentes sont encadrées différemment en fonction du genre (Rivière, 2012). Si les filles
o t plus d’auto o ie ue les ga ço s à l’e fa e, à partir de la puberté, leur vulnérabilité supposée
au sein des espaces publics urbains conduit à un encadrement plus strict de leurs déplacements du
poi t de ue de l’ha ille e t, de l’heu e de so tie ou des lieu f
ue t s. E
etou , es o
es
sont intériorisées par les adolescentes et contribuent à forger une expérience spécifique des espaces
pu li s, faite d’ajuste e ts à l’aut e se e et d’a ti ipatio s des situatio s
e aça tes. Elles
apprennent à éviter certains lieux jugés trop dangereux ou à favoriser les pratiques de mobilité en
groupes.
Cet encadrement genré des pratiques de mobilité est transversal aux différents territoires (Rivière,
2012). En Zus, une partie des adolescents évolue dans un milieu familial encadrant très fortement les
d pla e e ts e
deho s du
ua tie , e
aiso
de
ai tes d’ag essio s. Ces
ai tes,
ui se
focalisent en grande partie sur les trajets en transports en commun, concernent en proportion
beaucoup plus les filles que les garçons. Elles ne diminuent pas avec la montée en âge, et sont parfois
e fo
es pa u e olo t de o t ôle des elatio s a ou euses Buffet,
. C’est le plus sou e t
10
la mère de ces adolescents qui est porteuse de ces craintes, qui se transforment parfois en véritable
phobie. Celle- i i te dit à ses e fa ts d’e p u te les t a spo ts e
deho s de la o
u e lo s u’ils e so t pas a o pag
o te te u al, les pa e ts d’o igi e populai e, ota
o
s pa u
e
e t pa
i eu
u ou de se d pla e e
e de la fa ille plus âgé. En
ui o t toujou s
u e
campagne, encadrent aussi plus fortement les filles que les garçons dans leurs mobilités, notamment
celles réalisées en milieu urbain. Cet encadrement différencié repose sur des représentations
particulièrement péjoratives de la ville et des espaces publics urbains, naturellement associés à
l’i s u it .
Le o
e d’a ti it s
alis es pa
es adoles e ts, e Zus comme en milieu rural, dépend alors très
fortement de la disponibilité de leurs parents pour les accompagner, notamment en voiture. Or, alors
que dans les autres catégories sociales, les filles sont plus accompagnées que les garçons pour
réaliser des activités extrascolaires, elles ne le sont pas parmi les catégories populaires.
Tableau 3 : Adolescents ayant été accompagnés pour réaliser une activité extrascolaire un jour de
week-end en 2010
Catégories
Catégories
Catégories
Total
populaires
moyennes
supérieures
Garçons
28,3 %
28,7 %
47,1 %
35,7 %
Filles
21,6 %
40,2 %
54,1 %
40,1 %
Lecture : 40,1 % des adolescentes franciliennes ont été accompagnées par leurs parents pour réaliser une activité
extrascolaire.
Source : EGT 2010 Stif-Omnil-Driea, calcul des auteurs
La sta ilit
e
di
a s du
o
e d’adoles e ts a o pag
s
l’a o pag e e t hez les at go ies populai es, sous l’effet ota
as ue ai si la
aisse de
e t de l’aug e tatio des
familles monoparentales. Cette baisse est plus forte chez les filles : 37 % avaient réalisé une activité
extrascolaire en étant accompagnées en 2001, 22 % dix ans plus tard. Sur la même période, le
nombre de filles de catégories moyennes accompagnées est resté stable, celui des filles de catégories
supérieures a fortement augmenté.
Cette i flue e de l’o igi e so iale su l’a o pag e e t diff e i des filles et des ga ço s
s’e pli ue e g a de pa tie pa la
oi d e dispo i ilit e a ge t, e
oitu e et e te ps des
parents de catégories populaires. Ceux-ci ont plus souvent que les aut es des ho ai es d’e ploi
at pi ues et ils so t plus f
ue
e t à la t te d’u e fa ille
o opa e tale ou o
euse. Cette
moindre disponibilité est particulièrement prononcée en milieu rural, où émerge la figure de la mère
11
de famille dans la réalisation des nombreux accompagnements automobiles, souvent contraignants
ais o ditio
essai e de l’a
s à l’off e de loisi s situ s la plupa t du te ps e
ille. O , et
accompagnement concerne bien plus les adolescents de catégories moyennes ou supérieures. Parmi
les catégories populaires rurales, les garçons sont souvent plus accompagnés que les filles,
notamment pour réaliser des loisirs populaires dans les communes proches, et ils accèdent plus
fréquemment aux deux-roues motorisés. Ces moyens de transport leur permettent de diversifier
leurs réseaux de sociabilité et les territoires pratiqués durant le temps libre, de la commune de
side e au
illages a oisi a ts. Á l’i e se, si les filles de at go ies populai es u ales s’appuie t
tout autant que leurs homologues masculins sur leurs ressources relationnelles locales et en
particulier sur le groupe de copines de la commune, leurs pratiques de mobilité sont davantage
o t ai tes, e
aiso d’u
oi d e a
s à la oitu e ou aux deux- oues, et d’u
seau a i al plus
éclaté spatialement.
Des différe es e tre territoires et à l’i térieur des territoires
Ce de ie e e ple
o t e ie l’i po ta e de
oise l’effet du ge e et de l’appa te a e so iale
sur les pratiques de mobilité des adolescents avec celui du territoire de résidence. Les adolescents de
Zus franciliennes, qui habitent plus fréquemment que les autres adolescents de la région dans des
quartiers bien desservis en transports en commun, mais qui ont conscience de vivre dans des
quartiers ségrégués, grandissent dans un contexte radicalement différent de celui des adolescents de
zones rurales, très éloignés des axes lourds de transports. Si les adolescentes de catégories
populaires de Zus font face à une moindre offre de loisirs à destination des filles dans leur quartier
ai si u’au fai les possi ilit s d’a o pag e e t de leu s pa e ts, elles peu e t plus fa ile e t
utiliser les transports en commun. Elles se déplacent autant que les garçons de leur quartier en
dehors de leur commune sans leurs parents.
Au-delà de l’i flue e du lieu de
side e, les p ati ues de
populai es d pe de t fo te e t de leu a
age
side tiel, o
o ilit
des filles de at go ies
e le
o t e l’e e ple des
adolescentes de Zus caracté is es pa u e fo te ide tit te ito iale, et do , ous l’a o s u, pa
différents positionnements vis-à-vis des stéréotypes de genre. Celles qui trouvent leur place dans le
quartier grâce à leur ancrage familial se déplacent majoritairement dans des galeries marchandes
situées à proximité de leur quartier, dans lesquelles elles aiment se retrouver entre amies. Elles se
e de t eau oup
oi s f
ue
e t à Pa is, où elles e e he he t i l’a o
at u ai
i les
possibilités de rencontres. Elles se déplacent occasionnellement aux Champs-Él s es, u lieu u’elles
associent au luxe et à la réussite sociale. Elles développent une perception ambivalente de ces
mobilités, mêlant une fascination pour le mode de vie des Parisiens, mais également le sentiment de
e pas t e à leu pla e da s la apitale. Elles o t l’i p essio de s’a e tu e da s u
o de
12
étranger dont elles ne maîtrisent pas totalement les codes et où elles doivent se mettre en scène. Les
déplacements à Paris sont vécus comme une expédition « dans un autre pays », d’auta t plus
u’elles e s’ so t ja ais e dues plus jeu es a e leu s pa e ts. Malg
le sou i u’elles a o de t
à leu allu e e t ieu e, elles o t l’i p essio d’atti e l’atte tio des aut es itadi s e
aiso de
leur origine réside tielle et so iale. À l’i e se, les filles de Zus qui trouvent leur place dans le
quartier en reprenant en partie les codes de comportement des garçons se déplacent beaucoup plus
fréquemment en dehors de leur commune, le plus souvent avec quelques amies. Elles cherchent à
s dui e des ga ço s de at go ies populai es et à s’a use e
d’i te a tio , o
t a sg essa t e tai es
gles
e l’« inattention civile » consistant par exemple à ne pas dévisager les autres
personnes (Goffman, 1973), et en se moquant du st le esti e tai e de itadi s u’elles juge t
idi ules. Ces p o o atio s et e efus de sau ega de la oop atio i te a tio
plus t a sg essifs u’ils o t e ie
e t, selo
elle so t d’auta t
es adoles e tes, au i ages ha ituelle e t asso i es
aux filles. Cette transgression prolonge en quelque sorte la manière dont elles ont trouvé leur place
dans leur quartier. Elle porte la trace de leur détermination à ne pas se laisser faire et de la reprise
des codes de comportement des garçons qui station e t da s l’espa e pu li de
side e. Cette
transgression est plus ou moins ludique selon les situations ; elle débouche parfois sur des situations
plus o fli tuelles lo s ue les adoles e tes juge t u’elles o t t p o o u es ou u’elles se se te t
agressées. Les lieux fréquentés deviennent aussi régulièrement le théâtre de provocations et
d’aff o te e ts e au a e d’aut es filles,
pas l’o je tif p e ie
f
ue
e t les o
e si la e he he de ette a i atio
e o stitue
des d pla e e ts. Ces adoles e tes t a sg esse t d’ailleu s
oi s
es d’i te a tio lo s u’elles ieillisse t et elles p i il gie t alo s da s leu s
o ilit s la s du tio d’aut es ga ço s.
Y a toujours des petits regards entre filles en fait, y a toujou s des… oilà uoi. U peu comme les mecs
e t e eu , o se ega de, o se fi e. Je la fi e pa e u’elle a o
e
à
e fi e . C’est elle ui o
e e
à me fixer, je sais pas pourquoi. Mais ça part pas en embrouilles, ça fait « psit ». Ou genre elle parle, mais
j’e te ds pas, ’est de loin. On dit bien « chien méchant qui aboie, dents en plastique ». Je fais « psit »,
pa e u’elle a o
e
, elle
ua d elle est pa tie ’est te
e
i
. … Qua d je suis a e
au ge s. Alo s ue ua d je suis a e
me disent « ega de o
et au d fi. Bie sû , su le
o e t j’ai le sa g ui
o te,
ais ap s
a sœu , je suis plus al e, je fais pas atte tio
es opi es je fais plus atte tio au ge s, pa e ue ’est elles ui
e t elle est,
a i a a… », « regarde ci, regarde ça », et après je regarde
(lycéenne de Zus, 17 ans).
Di e s fa teu s e pli ue t ette a ti ulatio diff e te e t e l’a
age
side tiel et la
ces adolescentes de Zus a a t is es pa u e fo te ide tit te ito iale, ota
l’a essi ilit au e t e de l’agglo
atio ,
o ilit
hez
e t l’o igi e so iale,
ais gale e t les dispositio s is-à-vis de la mobilité
héritées dans la sphère familiale, la trajectoire résidentielle ou scolaire (Oppenchaim, 2016).
13
Les pratiques de mobilité des filles de catégories populaires résidant en milieu rural sont également
fortement influencées par ces facteurs, en particulier par les ressources sociales familiales, les
stratégies éducatives parentales et la trajectoire scolaire. La possibilité de réaliser des mobilités en
contexte urbain est fortement fonction de la disponibilité et de la bonne volonté des parents à
réaliser les accompagnements automobiles nécessaires. Pour une partie de ces filles, notamment
celles issues de ménages modestes ou de familles monoparentales, la moindre disponibilité de leur
mère ainsi que le coût financier que représentent ces déplacements ont tendance à limiter fortement
leurs pratiques urbaines durant les week-ends et les vacances. Les seules mobilités en dehors de leur
territoire de résidence, au cours des premie s âges de l’adoles e e, consistent le plus souvent en la
fréquentation de centres commerciaux voisins en compagnie de leurs parents ; elles parviennent
parfois plus tard à faire jouer leurs nombreuses ressources relationnelles locales (en se faisant
ac o pag e pa des a i e s ou u g a d f
e pou
alise des
o stitue à l’i e se u e essou e pou es adoles e tes, puis u’u e
o ilit s auto o es. L’ ole
ajo it pa ie t à
alise des
mobilités urbaines à partir de leur lieu de scolarisation en semaine, dès lors que le temps scolaire se
elâ he et u’elles pa ie
e t à o pose a e les ho ai es du us s olai e. Les statio
de a t l’ ta lisse e t s olai e se t a sfo
e e ts
e t apide e t en flâneries urbaines en compagnie des
amies. Néanmoins, pour certaines adolescentes issues de catégories traditionnelles du rural
(agriculteurs, artisans), ces mobilités en contexte urbain représentent une véritable épreuve en
aiso
de l’app e tissage des
o p te es de
o ilit
gles sp ifi ues au
espa es pu li s u ai s et de
ouvelles
u’elles suppose t, ai si ue des ep se tatio s p jo ati es de la ille
u’elles o t peu à peu i t io is es :
Moi j’a oue, la ille ’est pas fait pou
ou de Ne ou s pa e e ple. M
u’il e a plei
oi. J’ai ja ais
is les pieds da s les e t es-villes de Fontainebleau
e ua d j’ai u e heu e de li e le soi , je p f e este e pe
’ alo s
ui e p ofite t pou so ti et alle se alade . D jà, faut alle p e d e le us de ille. Pou
oi ’est i possi le, j’au ais t op de mal à me repérer et à comprendre comment ça marche [rires]. Puis
e, ua d tu ois tous les p o l
il passe p s d’u
o
ais tout le
ua tie
es u’il a, il peut toujou s t’a i e u p o l
e, su tout ue le us,
haud. Tu sais pas à ui tu peu a oi à fai e e fait alo s u’i i, au
oi s, tu
o de, ’est plus assu a t collégienne du rural, 15 ans).
L’effet de la t aje toi e s olai e se fait su tout esse ti au
o e t de la t a sitio e t e oll ge et le
lycée : le hoi de s ola isatio pou u e pa tie d’e t e elles e se o de g
ale, da s des l
es de
centre-ville, leur permet de multiplier au fil du temps ces pratiques de mobilités urbaines, au
contraire de la poursuite en lycée professionnel, la plupart du temps dans des établissements
périphériques, qui impose un repli sur le territoire de résidence.
Des difficultés différentes à trouver sa place dans le domaine public
14
La
o ilit o upe u e pla e fo da e tale à l’adoles e e, a elle est le suppo t du passage des
espa es fa ilie s le do i ile, le ja di , le hall d’i
eu le… à la f
ue tatio des espa es pu li s.
Les adolescents apprennent peu à peu à trouver leur place dans ces espaces, où ils interagissent avec
des i o
us
e pa tagea t pas
essai e e t les
es ha itudes d’a tio
u’eu . Les
adolescents de catégories populaires ne sont pas confrontés aux mêmes difficultés pour y trouver
leur place, selon leur sexe mais aussi leur territoire de résidence.
En Zus, es diffi ult s o e e t plus sp ifi ue e t deu
issues g
at go ies d’adoles e ts. Ce tai es filles,
ale e t de at go ies populai es f agilis es et d’u e o igi e ethno-raciale minoritaire
dans le quartier, ne se sentent pas bien dans leur environnement résidentiel, mais en sortent peu,
car elles appréhendent les interactions avec les inconnus sous le registre de la méfiance. Chez les
garçons, une minorité des garçons ou isse t u se ti e t d’oppositio e t e « eux » et « nous »,
e t e les adoles e ts du ua tie et les aut es itadi s. Ce se ti e t se ou it d’u e o s ie e
aiguë de la s g gatio , d’e p ie es s olai es haoti ues ou du
e
u de dis i i atio s par des
es plus âg s de la fa ille. Mais il s’a tualise aussi lo s ue les adoles e ts se d pla e t, e
pa ti ulie lo s u’ils o t l’i p essio
ue les pe so
es u’ils
oise t jugent problématique leur
p se e da s l’espa e pu li . Ils se se te t po teu s da s es i te a tio s d’u stig ate so ial,
eth i ue et d’âge. Ce tai s d’e t e eu se eplie t su le ua tie lo s ue e stig ate de ie t t op
difficile à supporter ; ils
e so te t du
ua tie
u’e
o pag ie d’u
suffisamment impo ta t pou s’app op ie l’espa e des t a spo ts e
o
o
e de jeu es
u et s’a use sa s
s’e pose à la p se e d’aut es itadi s.
La spécificité des territoires ruraux implique des variations dans les difficultés rencontrées par les
adolescents de catégories populaires à trouver leur place dans le domaine public. Une partie des
ga ço s, e pa ti ulie
Reti e,
et l’i te o
eu issus de fa illes
, appa aisse t tout d’a o d
aissa e, p op es au
odestes et d pou ues de apital d’auto hto ie5
a gi alis s su la s
o te tes u au , o
i
e
side tielle. Les fai les densités
es à u jeu de la « proximité spatiale et
de la distance sociale » (Chamboredon et Lemaire, 1970), favorisent les mécanismes de
stigmatisation de ces adolescents. Les ménages « établis » localement dénoncent constamment leurs
usages intenses des espaces publics, jugés comme des terreaux favorables à la déviance et comme
o pa t a e l’ « ordre » résidentiel, et les renvoient symboliquement à la figure de la « racaille ».
Mais, le rapport que ces adolescents entretiennent à leur territoire de résidence est plus ambivalent :
s’ils su isse t ette stig atisatio , leu te itoi e leu off e e
i hesse elatio
5
elle et de
C’est-à-di e d’u e se
o
euses essou es so iales
le de essou es so iales et s
e te ps au
u’ils so t d’ailleu s
uotidie
o
u e
eu à
oli ues lo alis es.
15
o ilise pou s’i s e p ofessio
elle e t à la fi de l’adoles e e, e de e a t pa e e ple
apprentis chez un artisan local.
Á l’i e se, les filles du u al issues de at go ies populai es
développe u se ti e t d’e fe
a gi alis es o t plus te da e à
e e t au sei de l’espa e lo al. Disposa t de
oi s de essou es
relationnelles locales que les garçons et moins disposées aux mobilités urbaines que les autres filles
de leur village, elles sont nombreuses à espérer un départ de l’espa e
l’adoles e e, d’auta t
ue le
a h
side tiel à la fi
de
de l’e ploi lo al leu est, o t ai e e t au ga ço s,
particulièrement défavorable. Le choix de poursuivre des études supérieures courtes et
e d’e t e elles le
professionnalisantes devient alors pour no
d pa t de l’espa e lo al a e leu
olo t de o ti ue à
o e de o ilie leu p ojet de
side e
o te te u al, da s u u i e s
side tiel da s le uel elles o t t so ialis es du a t l’e fa e et l’adoles e e.
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Repères bio-bibliographiques
Julian Devaux est docteur en sociologie et chercheur associé au laboratoire Ville, mobilité, transport
LVMT . Il o sa e ses t a au à l’a al se des lie s e t e p ati ues de
p o essus de so ialisatio à l’adoles e e et s’i t esse plus p
is
o ilit
uotidie
e t au as des jeu es
es et
sida t
en milieu rural. Il a récemment publié « Les t ois âges de la so ialisatio d’adoles e ts u au : une
analyse à partir des mobilités quotidiennes », Agora débats/jeunesses, n° 68, 2014), et
« L’adoles e e à l’ p eu e de la diff e iatio so iale. U e a al se de l’ olutio des
a i es
d’ha ite de jeu es u au a e l’âge », Sociologie, n° 4, 2015).
jln.devaux@gmail.com
Ni olas Oppe hai
est
aît e de o f e es e so iologie à l’U i e sit F a çois Ra elais de Tou s
et chercheur au laboratoire Citeres (UMR 7324). Il a travaillé sur les enfants sans-logement et sur les
p ati ues de
o ilit d’adoles e ts i a t da s des quartiers ségrégués. Il a récemment publié
Adoles e ts de ité. L’épreuve de la mobilité, PUFR (Villes Perspectives et territoires), 2016.
nicolas.oppenchaim@univ-tours.fr
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