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Balengou : autour des mines

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La réputation du village est clairement établie autour de l’exploitation presque exclusive de cette denrée dans la région de l’Ouest.Le marché de Balengou. Sans cette localité entre Bangangté et Bazou dans le département du Ndé.

Rien de ce qu’on a devant soi n’indique un village. Des maisons modernes, des boutiques, peu nombreuses certes, sont alignées de part et d’autre de la route. Même si des étals se retrouvent à même le sol, dans des conditions à la fois surprenantes et gaies. A «Balengou centre», ainsi qu’il a été convenu, se tient le marché périodique de ce groupement. Depuis très longtemps. Et contrairement à la tradition qui veut dans la région des grassfields que le marché périodique se tienne aux confins de la chefferie, les échanges se font sur le bitume, parfois dans une langue autre que celle du village. Des conversations entre négociants, il apparaît que certains sont venus de loin et ne comprennent d’ailleurs pas la langue locale.

Il faut s’y prendre par deux fois pour comprendre qu’à l’entrée du marché, le plus grand, vous apprendra-t-on par la suite, se trouve un autre, plus important par sa charge symbolique. Marché spécifique, ou plutôt spécial, où on ne vend que le kaolin, le «mbouop». Un espace spécialement réservé à la commercialisation le kaolin. Des corbeilles et de vieilles cuvettes contiennent des variétés de «mbouop» calibrées selon la grosseur. Et surtout la couleur. Car il en existe au moins deux : la teinture plus éclatante fait la qualité du produit. Ce samedi 28 novembre 2009, la cuvette s’achète 600 à 800F la cuvette, selon les talents du négociateur. C’est le marché des amis. «En bonne saison pour les vendeuses, la même quantité vaut parfois 1500F», confie-t-on. Le négoce commence ici tôt le matin, au chant du coq. Lorsque les vendeuses, toutes d’âge avancé (la plus jeune a environ 50 ans), débarquent avec leurs cargaisons de Mbankep, une localité du village située à plus de 6km du marché.

Des fois, ces sacs pleins de kaolin arrivent la veille, grâce aux mototaxis, à qui on confie les colis. Ou sur la tête de jeunes filles, dont le rôle essentiel autour des mines est de transporter le produit des fouilles vers les lieux de stockage ou de vente. «Le mbouop pèse beaucoup. Quand nous ne vendons pas, nous emballons le reste des produits et nous le déposons autour des maisons voisines, en attendant le prochain marché. L’essentiel est de les protéger contre la pluie», témoigne une vendeuse. Des traces d’argile mouillée sont d’ailleurs visibles autour de quelques unes d’elles, preuve que c’est ce matin qu’on a enlevé les produits. «Il arrive qu’on vole certains de nos sac,s mais ce sont des étranger,s car on ne peut pas vendre du kaolin volé dans ce marché», confie Za’Martha, apparemment la doyenne du marché.

Femmes rurales
Le vol de kaolin est par ailleurs récent, le marché où il se vend faisant l’objet d’une réglementation assez spéciale. Les services communaux n’y ont pas accès. Le fisc non plus. Inutile de chercher des statistiques sur cette activité dans les services techniques du ministère des mines. Les quantités, l’exploitation, la toxicité du produit, les risques … sont une affaire de femmes du village. Combien ce commerce rapporte-t’il à la fin de la journée ? La réponse est la même d’une vendeuse à l’autre : «je ne sais pas. Quand je vends, j’achète mon huile et mon savon. Avec le reste, je fais ma réunion à la chefferie».

Selon les témoignages de toutes les vendeuses, la seule loi à laquelle obéit leur activité est celle de la «réunion des creuseuses» et parfois les injonctions du chef de groupement, S.M. Happi Tchienkoua Marcellin, chargé, de par la tradition, de veiller à la paix entre les femmes et à la sécurité dans les mines. «Nous ne payons pas le ticket de marché. Le chef nous a demandé de sortir du marché commun pour avoir un coin à nous. Le gouvernement ne nous commande pas ici». La conduite des opérations de vente est vraiment exceptionnelle. Rien à voir avec les folles spéculations observées dans les autres secteurs du marché. On ne se dispute pas les clients.

L’entraide est de mise. «Tiens, remplis bien cette cuvette. Tu nous gâtes le marché avec tes demi corbeilles», lance amicalement une vendeuse à une autre, qui s’exécute. «Prends son argent comme ça, le marché ne se porte pas bien», conseille une autre, en indiquant à sa voisine qu’à 11h30, il n’est plus temps d’attendre un bon acheteur. De vraies misanthropes ! La présence des hommes dans cet espace est une curiosité. Les acheteurs sont généralement les mêmes, des revendeuses exclusivement, qui connaissent bien les vendeuses. Malgré la barrière de la langue entre ces femmes, dont beaucoup n’ont jamais connu le chemin de l’école, les affaires se font dans les multiples langues bamiléké. On se bat pour comprendre. Sauf cas de maladie ou de vieillesse invalidante, elles vendent le kaolin qu’elles ont elles-mêmes creusé.

Pour se rendre dans ces mines, il faut prendre un mototaxi. Sinon marcher. 6km plus loin, entre Tchila, le quartier qui abrite la chefferie de ce groupement et Ndiop, il faut aller à pied sur près d’un 1,5km. Sur cette piste qui serpente dans les champs, être petit de taille est un atout. En effet, toute personne de grande taille se fraye son chemin entre de hautes herbes qui se croisent. La route glisse et il faut esquiver les ronces sur la tête… Avec un peu de courage, on arrive sur une colline broussailleuse. Mbankep. La colline du kaolin. C’est ici que, depuis des décennies, les femmes Balengou ont bâti leur réputation de «creuseuses de kaolin». Ou plutôt de « preneuses de  mbouop ». «Prendre» car malgré le fait qu’on creuse, on considère cette colline comme la réserve villageoise. L’exploitation obéit à des normes sécularisées. On observe qu’il y a de nombreux trous dans le sol non signalisé. Il suffit d’être distrait pour se retrouver au fond de l’un d’eux. Des traces d’un éboulement récent sont visibles à plusieurs endroits. Des tas de kaolin récemment creusés sont séchés, étalés sur du papier plastique ou des morceaux de carton.

Fossoyeuses

Ce jour, il n’y a personne à la mine. C’est jour sacré. Interdit, pas de travail. Deux femmes que nous croisons et qui refusent d’être filmées, affirment que pendant trois jours (Nguedjou, Ndinkap et Nzedjio) sur les huit du calendrier traditionnel, il n’est pas permis de creuser les collines pour chercher le kaolin. Tout comme la saison des pluies est une période morte. «La terre est molle et peut s’affaisser facilement». Le chef décide chaque année de la date à partir de laquelle les fouilles sont suspendues. Quotidiennement, rapportent-elles, «c’est avec uniquement des houes et des plantoirs que nous creusons des trous dans le sol pour chercher le kaolin». C’est parfois après plus de 10m, dans ces fosses sinueuses que le kaolin est trouvé. Les éboulements sont alors à redouter. Les mines de cette montagne tout à fait ordinaire sont suspectées de velléités «anthropophages». Plusieurs fois, elles ont enterré ces femmes, transformées en taupes, qui y étaient entrées pour prendre le kaolin. Seules les femmes âgées entrent dans les mines. Attitude paradoxale des gens qui ont perdu l’essentiel de leurs forces. On explique que les plus jeunes, suspectées de distraction, veillent sur les signes annonciateurs d’un éventuel glissement de terrain et assurent la manutention de la récolte. Un progrès certain, comparé à une autre époque où seules les femmes ménopausées étaient admises dans le trou.

L’activité reste artisanale. Chaque femme creuse pour elle-même. Mais il est souhaitable d’aider et de se faire aider. De creuser le tour de l’une avant celui de l’autre. «Je suis encore jeune. J’aide les anciennes, et en fin de journée, elles donnent ma part», assure N.G., l’une des femmes. Elle travaille pour l’instant comme assistante de sa marraine dans « la réunion du mbouop », une assemblée de femmes qui se tient à la chefferie. Pour être autorisée à entrer dans les mines, les femmes doivent siéger dans cette association dont le chef supervise les résolutions. Les jeunes sont cooptées par des marraines qui se portent caution de leur moralité et assurent leur formation technique. «Si on ne te forme pas, tu peux passer ton temps à creuser sur la colline, sans jamais trouver le kaolin».

Aussi émouvante que soit l’activité, elle n’attire pas les foules. De nombreux résidents avouent, avec sérieux, avoir grandi à moins de 2km d’une source de richesse réputée, sans jamais y mettre les pieds. Une indifférence pour l’exploitation du kaolin qui n’est rompue que lorsque les mines enterrent des personnes connues. « Nous n’allons pas là-bas», explique B. N., une jeune fille de 20 ans rencontrée sur le chemin aller et qui affirme être née à cet endroit. Identique pour deux jeunes lycéens trouvés dans un trou en train de faire des briques pour une maison, à moins d’un kilomètre des mines. Pour eux, c’est une affaire de vieilles femmes.


En aparté : Za’ Martha, 20 ans à fouiner dans les mines

La sexagénaire raconte quelques séquences de sa vie au contact des mines de kaolin.

Je viens de Tchila, la capitale du village. Je peux très bien parler du kaolin parce que j’ai grandi dedans. Je ne me souviens plus exactement de la date à laquelle je suis entrée dans la mine pour la première fois, mais ça doit faire plus de vingt ans. Je n’accouchais plus. J’ai été introduite à l’association réunion par une maman dont je ne donnerais pas le nom. Elle est aujourd’hui très vieille et ne va plus là-bas. Pour être reçue dans cette association qui siège à la chefferie, une enquête préalable sur ma personne avait été faite : comment je suis, est-ce que je respecte mon mari, comment je vis avec les autres femmes qui sont mes aînées dans le quartier, etc. C’est par ma marraine que j’avais reçu la nouvelle de ma cooptation. Quand l’avis est défavorable, on se contente juste de lui dire qu’il n’y a pas de place pour toi. On ne cherche même pas à te voir. Donc, mon désir d’appartenir à ce cercle fermé a fait que j’étais obligée de bien me comporter vis-à-vis de toutes sortes de gens.

Quand nous sommes allées à la mine pour la première fois, j’étais observatrice. On n’entre pas directement dans la fosse. Les femmes creusaient la terre et derrière, nous, on tirait. Parfois on verse la terre sur des vieux habits qu’on tire pour verser à l’extérieur. A la fin de la récolte, elles nous donnaient un peu. Celles que tu aides te forment et te montrent les secrets qu’il y a dans cette activité. Je crois que c’est une belle expérience que j’ai vécue. Depuis que j’y vais, j’ai déjà introduit de nombreuses femmes dans l’association, même si seuls six noms me reviennent à l’esprit maintenant. Mais je dois reconnaître que nous sommes devenues plus ouvertes, car les conditions pour aller creuser sont moins contraignantes avec la vie que nous menons aujourd’hui.

Je ne sais malheureusement pas combien d’argent j’ai gagné en entrant dans les trous. Ce que je gagne, je le dépense au jour le jour. Il faut survivre. Les choses coûtent cher et nous devons manger. A un certain moment, le revenu de la vente du kaolin ne peut plus nous permettre de manger. Dès le mois de février, nous arrêtons d’aller dans les trous, pour  labourer nos champs. C’est la même chose en saison des pluies, parce qu’il faut entretenir les  champs et récolter. Il faut aussi éviter les accidents, car la terre peut tomber sur nous dans les trous. Beaucoup de femmes sont restées dans les fosses à cause des glissements de terrain. D’ailleurs, le chef y veille particulièrement. C’est bien, parce que nous devons également laisser une partie de cette richesse de Dieu à celles qui viendront après nous.


Clichés : Pour l’appétit des femmes enceintes

Les citadines qui en raffolent ignorent d’où vient ce produit qui les accompagne dans leurs moments de maternité.

Elles sont peu nombreuses, les femmes qui résistent à la tentation de manger du kaolin lorsque au début d’une grossesse. Les avis divergent sur cette sollicitation, qui n’a apparemment pas de fondement médical. A Balengou, les femmes qui creusent le kaolin pensent que, sans les grossesses, leur activité n’aurait presque pas de sens. Elle aurait peut-être même déjà disparu. Pour presque toutes les exploitantes de kaolin que nous avons interrogées, le principal usage certain est la consommation humaine. « Quand une femme est enceinte, la consommation du kaolin améliore l’état du fœtus. Ce produit joue un rôle important dans la consolidation de sa peau », tranche la prénommée Bernadette, pour corriger sa consoeur qui parlait pour sa part des effets correcteurs sur le crâne du bébé. Pour quelques autres, le kaolin serait utilisé dans l’industrie pharmaceutique, notamment dans la fabrication des produits cosmétiques. Les revendeuses interrogées avouent placer leurs marchandises auprès des détaillants qui vendent à des consommateurs. Mais «on utilise le kaolin pour fabriquer les remèdes traditionnels », croit un homme de passage, sans préciser ni sur les maladies qu’on soigne avec, ni sur les quantités qu’on peut utiliser.

Une chose est sûre, à Balengou, l’on attribue des qualités nutritives au kaolin. Plus connu sous le nom populaire de «kalaba», il existe en au moins deux variétés : le collant et le sec granulé. Certains le mangent pour le plaisir ou pour étouffer la faim. «Quand nous allons dans la mine sans repas, c’est le kaolin que nous mangeons et buvons de l’eau. C’est bon et ça rassasie vite», rassure Za’Martha, la doyenne du marché. Pour ceux qui ne comprennent pas à demi-mot, le fait pour ces femmes d’en consommer avant même d’arriver au marché, est la preuve que leur produit n’est point toxique et qu’il ne peut faire que des heureux. Sur la place du marché, acheteurs et vendeurs cassent de temps en temps des morceaux qu’ils mangent, comme s’ils voulaient goûter. Quand par temps de grande production, les cars s’arrêtent pour embarquer de grosses cargaisons, on imagine à distance le bonheur qu’il fera dans quelques gorges nécessiteuses.

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