Peter Peter, danser sur la mélancolie

Peter Peter, 2023. © Cassandra Jetten

Pour Éther, son cinquième album, très électro, forgé entre Paris, Montréal et Québec, le Canadien Peter Peter a travaillé dans une extrême solitude. Ici, son spleen tenace se danse sur des tempos exaltés, et laisse exploser sa poésie en clair-obscur.

Ses grands yeux bleu-océan, traversés de tempêtes calmes, sa posture d’éternel jeune poète, le rappellent avec insistance : la mélancolie lui colle à la peau, un spleen chevillé au corps, sa marque de fabrique. "Ce sentiment m’habite de façon irrépressible. C’est ma vision du monde, et c’est comme ça que je l’aime…", confirme le chanteur canadien Peter Peter à l’orée de son cinquième disque, créateur d’un style qu’il qualifie lui-même de "variété maudite" ou de "steam pop", clin d’œil au steampunk

Une pop "vaporeuse", donc ? Jamais son étiquette sur-mesure n’aura été aussi adaptée au titre de son nouvel opus, Éther. "L’éther, c’est ce liquide utilisé en médecine, qui anesthésie la douleur. Pour les poètes, il désigne aussi l’air le plus pur qui soit, les espaces célestes, par-dessus les cimes, précise-t-il. Il s’agit de s’élever au-dessus du sol, du monde de la souffrance." 

Et malgré la noirceur parfois désabusée de ses vers, sa nouvelle collection de chansons s’envole en effet tel un bouquet de ballons aux couleurs vives gonflés d’hélium, vers l’azur, vers l’éther, vitaminées par un up-tempo permanent et des sonorités qui flirtent avec l’EDM (Electronic Dance Music). "La mélancolie ? Oui ! Mais je danse avec…", rigole-t-il – presque. La musique viendrait-elle alors, dans la joie et le rythme, exorciser ses peines ? Une thérapie ? Trop facile ! "Mon art est autant le problème que la solution", devise-t-il.

Au creux de la solitude

Pour ce disque, composé entre divers espaces-temps et à plusieurs endroits – Paris, où il a résidé pendant huit ans et demi, jusqu’en 2021 ; Montréal, où il a posé ses valises, le temps d’un interlude ; et Québec, près de la rivière Saint-Charles, havre de nature et de paix, où il réside désormais dans une immense maison –, il a suivi un fil rouge précis, celui d’une extrême solitude, son alliée, dont il parle dans son titre inaugural (20k heures de solitude). "Je deale beaucoup avec, j’adore sa compagnie, raconte-t-il. On dit souvent qu’il faut 10 000 heures pour maîtriser une discipline. Moi, je maîtrise la solitude deux fois."

Pour sa dernière création, il en a même fait son socle. "Il s’agit du disque que j’ai produit et mené le plus loin seul. Un véritable huis clos auquel ma maison de disques, elle-même, n’avait pas accès. Il n’y avait pas de vrais musiciens, pas de batterie, pas de guitare… Je me suis positionné dans une démarche radicale pour m’extraire de mes automatismes. Je voulais me focaliser sur des textures sonores précises".

Ainsi, dans ses laboratoires successifs, il joue aux apprentis sorciers, avec sa dizaine d’engins – synthétiseurs Sequential Pro 1, Prophet-5… – des séquenceurs, des samplers, souvent old-school. "Par le passé, j’ai beaucoup utilisé de synthés susceptibles de jouer beaucoup d’accords, des voicings…, précise-t-il. Là, je me suis davantage concentré sur les basses, les rythmiques, en mode quasi techno, ma source d’inspiration principale…". Des jeux, des explorations en solo, où il glisse des mémos vocaux cachés – le mantra d’un SDF, des prières géorgiennes…. – jusqu’à l’intervention de Guillaume Guilbault, son copilote pour la dernière ligne droite. 

Fcking poésie

Dans ses sons d’orfèvre, ses trouvailles comme autant de pépites, ses atmosphères bleutées-aquatiques, ses explosions de matière musicale fluo, qui donnent envie de danser fort et de chanter-hurler ses douleurs sur des pistes noyées de lumières stroboscopiques, dans ses bifurcations rythmiques/harmoniques, ses tempos soudainement alanguis ou brutalement accélérés, comme autant de montagnes russes émotionnelles, Peter Peter glisse des textes racés qui, s’ils se fondent dans le paysage musical, scintillent aussi de toute leur élégance, de tout leur charisme.

 

Il y est question d’amour (On a besoin d’amour), ce défi audacieux sans cesse renouvelé de la musique variété ; de ces faisceaux de lumière, de ces états de grâce, de ces nouveaux soleils qui achèvent enfin, en point d’orgue lumineux, une période de dépression (Une journée comme celle-ci) ; de pulsions, de désirs, de quête et de vérité dans Soleil ; d’extase, d’amour émotif et sexuel, dans Ciel ; d’une allégorie de la caverne et de simulations dans les traces de Platon (Se contenter d’un mirage) ; d’une escapade amoureuse dans la capitale portugaise (Lisbonne)...

Et puis, il y a ce titre final, cette chanson-clé en deux mots, Fcking poésie, comme une litanie : "J’en ai lu et écrit énormément dans ma vie. Et la poésie demeure toujours. C’est la grâce, c’est l’émotion… Même quand tout a été tué, quand tout a été détruit, une fleur finit toujours par repousser…" Et voici ces chansons : autant de fleurs, graciles et solaires, qui percent le bitume et portent la mélancolie, la beauté de la vie.

Peter Peter, Éther (Audiogram) 2024

Facebook / Instagram / YouTube