Justice : "Nous faisons une musique d’anticipation"

Justice, 2024. © Jérémie Beylard / Vincent Luc

Après huit ans d'absence discographique, le duo français Justice est de retour avec un nouvel album, Hyperdrama. Rencontre avec Xavier de Rosnay et Gaspard Augé.

RFI Musique : Pourquoi avoir nommé votre 4e album Hyperdrama ?
Xavier de Rosnay :  "Hyperdrama", c'est presque un mot valise parce qu'on a toujours revendiqué le côté dramatique de notre musique. Puis, il y a un côté un peu théâtral dans ce qu'on fait. C'était aussi quelque chose qui nous évoquait l’avenir. Enfin, en tout cas, le préfixe hyper. Et on s'est rendu compte par la suite que c'était aussi une forme de drame écrit en hypertexte. Et donc ça nous semblait faire sens avec la musique qui est assez futuriste. 

Résonne-t-il avec notre époque ?
Gaspard Augé : Non, pas du tout. On essaie de faire de la musique le moins liée possible à notre époque. Elle est complètement détachée de la société et du monde d’aujourd’hui. C'est une autre petite bulle qui sert justement à échapper un peu à la dure réalité de nos jours.

S’agit-il plutôt d’une musique d'anticipation ?
Xavier de Rosnay : Oui, oui, oui, on fait une musique d’anticipation. On a grandi en fait avec les films de science-fiction, des choses comme Alien ou 2001, Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, ce sont des images et des sonorités qui nous ont marqué à vie.
Gaspard Augé : Parce qu'on fait aussi de la musique qui est générée principalement par les machines. On ne peut pas s'empêcher d'avoir cette envie de trouver des nouvelles façons de faire de la musique.

Vous êtes en symbiose tous les deux depuis plus de 20 ans. Vous avez remporté deux Grammy Awards, des Victoires de la Musique et joué dans les plus prestigieux festivals du monde. Qu’avez-vous encore à prouver en allant chercher la collaboration d’artistes plutôt célèbres pour ce disque ?
Xavier de Rosnay : On a toujours eu des voix invitées sur nos albums. C'est vrai que c'est la première fois qu'il y a des gens plus connus comme le chanteur de Tame Impala, Kevin Parker ou Connan Mockasin. Mais c'était uniquement dicté par nos choix musicaux en fait. Ce n’est pas du tout lié à leur popularité. En revanche, sur cet album, il y a aussi des musiciens qu’on apprécie qui n'ont même pas encore sorti d'album. Je pense à The Flints ou Rimone par exemple. On adore leurs univers. Il y a également Thundercat qu’on adore. C’est un bassiste qui fait du free jazz, mais aussi du punk et en même temps, il chante comme Michael McDonald. Il a cette espèce de voix très douce en plus de son talent pour écrire des tubes très exigeants. Tous participent à notre album avec un objectif commun :  faire tomber les barrières entre les genres…
Gaspard Augé : Avec ou sans voix, collaborations ou pas, la base, c'est quand même tous les deux. Puis, on sait ce qui nous intéresse. Et ce qui nous amuse, c'est d’envoyer des fichiers au bout du monde de manière un peu impersonnelle à des artistes complets dont la plupart travaillent avec des home studios et font tout de A à Z. C’était important d'intégrer ces éléments honorifiques à Justice pour un morceau donné. 
Xavier de Rosnay : En fait, c'est un peu le prolongement de faire de la musique à deux. Puis, ce n’est pas parce qu'on utilise des chanteurs qu'on part dans une perspective chanson (rires). Car la plupart des nouveaux titres ont quand même une structure de base qui se rapproche plus de la musique électronique répétitive même si, bien entendu, ça sonne très pop. 
Gaspard Augé : On n’avait pas besoin encore de rayonnement, on vous rassure !

 

Huit ans séparent l’album précèdent de celui-ci…
Gaspard Augé : C’est une chance et un luxe de pouvoir faire des albums à un rythme tout sauf effréné…
Xavier de Rosnay : Et il y a un public qui nous attend malgré huit ans d’absence discographique. Pas besoin ni l’envie de faire des compromis, pour avoir une plus grande carrière ou toucher plus de gens. En fait, on est très bien dans cette zone ou on évolue depuis des années. Ce qui est important, c’est que Hyperdrama excite le public. 
Gaspard Augé : C'est-à-dire qu’on n’a pas vraiment fait une parenthèse puisqu’on a bossé sur d’autres choses et affiné nos idées pour cet album qui nous a pris trois ans de travail, mais de manière plutôt fluide, sans stress, ni aucun blocage. Trois ans au cours desquels chaque détail musical a compté et on a même enregistré un titre avec un vrai orchestre. Alors qu’avec les machines, le résultat serait identique. Mais là, par exemple, il y a plein de parties de batterie qu’on pouvait programmer et qu'on a fait rejouer même si elles ne durent que 5 secondes dans un morceau. Cinq secondes, ça demande de prendre une journée en studio. Avoir du temps, permet de faire les choses différemment et de manière plus approfondie. 
Xavier de Rosnay : C’est une écriture musicale d’orfèvre, à l'ancienne, comme on a pu le faire par le passé, avec un couplet, un pré-refrain et un refrain. L’idée nous est venue en écoutant par exemple le rap d'aujourd'hui qui va dans ce sens, celui de la déconstruction. C'est beaucoup plus iconoclaste et brutal, ça nous intéressait pour Hyperdrama

Et comment classifiez-vous votre son ?
Xavier de Rosnay : Sur ces dernières années, on s’est beaucoup penché sur la recherche sonore pure et à essayer de trouver de nouvelles manières de faire sonner les choses. On a vraiment passé du temps à fouiller dans les tréfonds de certains plugins de la manipulation digitale. C'est effectivement une cuisine très longue, mais ça nous paraissait essentiel d’avoir une vraie texture musicale pour créer l’environnement adéquat d’Hyperdrama. C’est comme un voyage dans le futur. 

Justice Hyperdrama (Ed Bangers / Because Music) 2024
 

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