Emel donne la voix aux femmes avec "MRA"

Emel, 2024. © Amber Gray

"Je suis une guerrière, une sorcière, une super-héroïne", affirme Emel dans Nar, extrait de son nouvel album, MRA. Un disque hybride et fiévreux, puissamment féministe, écrit à New York et conçu exclusivement par 24 femmes.

Ce n’est pas un hasard si Nar ("feu" en arabe), l’un des extraits les plus électro et orientaux du nouvel album d’Emel (Mathlouthi), est sorti le 8 mars. Date qui coïncide avec la Journée internationale des droits de la femme dans le monde. Ce morceau, qu’elle interprète en duo avec la rappeuse malienne Ami Yerewolo, annonçait la couleur de MRA ("femme", en arabe tunisien). De la lumière et de la chaleur, du féminisme, du rap et bien sûr de la sororité, en lettres capitales.

Lorsqu’on demande à la chanteuse et autrice-compositrice tunisienne comment ce titre s’est imposé, elle éclate de rire "C’était la moindre des choses !", s’exclame-t-elle, au téléphone, depuis New York où elle vit depuis sept ans. Avant de poursuivre. "Ce disque a été fait avec et par des femmes, il était indispensable de leur rendre hommage, avec un grand H".

Une grande première

Constitué de douze morceaux fiévreux, même quand le rythme suggère l’accalmie, MRA fait donc la part belle aux femmes. Aucun homme ne figure sur le disque. Aussi bien du côté technique que du côté artistique. À la connaissance d’Emel, il s’agit d’une première dans l’histoire de la musique.

Pour autant, cette idée n’était pas préméditée. Elle s’est imposée lorsque son label lui a proposé un producteur. "On désigne toujours UN producteur aux artistes. Je trouve cela révoltant. C’est un cercle vicieux. Les artistes et les labels se tournent toujours vers les mêmes personnes. En conséquence, les femmes, notamment productrices et techniciennes, manquent énormément d’opportunité. En tant que femmes, nous avons le devoir de tendre le flambeau à d’autres femmes" explique-t-elle avec ferveur. Emel nous raconte s’être tacitement sentie "épaulée", "soutenue" en travaillant en studio avec ces femmes, loin des clichés selon lesquels la gent féminine est encline à la rivalité.

Au service des minorités

Les femmes sont aussi derrière le micro sur ce quatrième album, pop et hip hop aux sonorités parfois reggaeton et futuristes. La chanteuse française Camélia Jordana (Mazel sur le viol), l’Irako-Suédoise Nayomi (Lose My Mind), l’Iranienne Justina (L’Amour) ou encore l’institutrice ukrainienne devenue rappeuse, Alyona Alyona, (Maurice sur un immigré licencié pour avoir pris une pause) chantent et rappent avec Emel. "Jusqu’à présent mon féminisme se résumait à me mettre en scène moi-même. Ce n’est pas suffisant. Il faut que je l’applique à ma propre cuisine, que je partage la scène et les opportunités avec les autres femmes. On en a grandement besoin", affirme Emel avant de nous expliquer pourquoi MRA est un tournant musical.

"L’un des artistes qui m’inspirent le plus, c’est Kenny West. C’est une direction artistique très dynamique dans laquelle je me retrouve. J’ai réalisé que je voulais faire un album qui mêlerait pop et hip hop. Et j’ai pensé aux rappeuses. Elles sont une minorité au sein d’une minorité dans laquelle il y a aussi des minorités !", nous raconte celle qui assume avec joie son virage musical.

Dans MRA, réalisé dans sa cabane dans les montagnes au nord de New York, mais aussi à Paris et à Londres, Emel aborde des faits divers graves, souvent passés sous silence. Comme dans Mazel où il est question du viol d’une jeune transsexuelle dans un village tunisien. Une chanson aérienne interprétée en arabe par Camélia Jordana qu’elle estime beaucoup. "Nous partageons beaucoup de combats. On a souvent essayé de la façonner et elle y a toujours résisté en clamant ses différentes identités. Comme moi, elle a de multiples facettes", souligne Amel.   

Mélange de couleurs

Ses multiples facettes, Emel les nourrit donc dans l’effervescence de New York, où celle qui se voit plus comme une "designeuse de son" que comme une "song writeuse" aime se sentir "bousculée" et découvrir, en permanence, de nouvelles musiques. "Je me suis toujours fait plaisir sur mes disques sans me soucier des chiffres, des mouvements. Je m’étais préparé une playlist des chansons mainstream que j’aime : Kenny West, Aya Nakamura, Rosalia, Billie Eilish, etc. Tout ce qui passe dans mes oreilles, je voulais le reprendre à ma propre sauce".

Mais qu’on se rassure, si MRA fait la part belle aux influences diverses, c’est bien un disque d’Emel. Singulier, engagé et vibrant. Son duo avec la rappeuse nigériane Eva Alordiah, Idha, sur lequel revient à de nombreuses reprises "houria" (liberté) en est un magnifique exemple.

Emel MRA (Yotanka) 2024

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