Olivia Ruiz, libération féminine

Olivia Ruiz lors du Téléthon en décembre 2023. © RFI/Edmond Sadaka

La chanteuse, qui s’était surtout consacrée ces dernières années à l’écriture de deux romans à succès, revient avec La réplique. Un sixième album au mélange fécond de transe électro et de rythmes latins et dans lequel elle incite la femme à être combative. Rencontre lors de son concert au dernier Printemps de Bourges. 

RFI Musique : Huit ans séparent votre précédent album A nos corps aimants et celui-ci. Est-ce en partie par lassitude de la musique, ce laps de temps ?
Olivia Ruiz : Pas du tout. Une envie de profiter de mon petit garçon. Et cette envie-là s’est transformée en travail de romancière finalement qui est une discipline davantage sédentaire que celui de chanteuse. Le succès des livres (La commode aux tiroirs de couleurs et Ecoute la pluie tomber, respectivement en 2020 et 2022, NDLR) étant tel que les deux se sont enchainés dans la foulée. Puis il y a eu aussi Bouches cousues, un spectacle musical autour de mes chansons, de chants révolutionnaires espagnols et avec des projections de films. Trente dates au départ, quatre-vingt-dix finalement. Je n’ai même pas eu le temps de me dire que ça fait un bout de temps que je n’avais pas fait un disque.

Vous considérez-vous comme une artiste multidisciplinaire ?
Je crois que c’est comme ça que cela s’appelle, effectivement (rires). Relever des challenges, ça fait partie de moi. Les livres, c’était une idée de Mathias Malzieu et de mon amie et agente Olivia de Dieuleveult. Pendant quinze ans, elle et lui n’ont pas cessé de me répéter que je suis une romancière et qu’il fallait que je fasse le grand saut. Je leur ai fait confiance et je me suis laissé prendre au jeu. La danse, c’est autant une passion qu’une libération.

Le morceau La réplique s’ouvre par cette première phrase "J’aime te surprendre". Quel est le destinataire de cette adresse ? L’auditeur ? Les femmes ?
Avant tout les femmes pour les inciter à prendre possession de leur liberté et à ne pas oublier que la vie est un jeu. C’est une chanson qui évoque aussi toutes les injonctions qui leur sont faites. Beaucoup de mes chansons s’adressent aux femmes ou mettent en scène des femmes. A l’évidence, c’est quelque chose de viscéral chez moi.

Quelle était l’intention sonore de ce disque ?
Minimaliste avec des sons électroniques pour aller titiller le ventre, des rythmiques latines, chaloupées. D’autres moments plus doux et acoustiques. Tous les gens qui me suivent ne sont pas surpris et affirment que c’est dans la continuité de mon travail. Déjà sur Mon corps, mon amour, chanson de mon précédent album, il y avait un gros synthé électro.

Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler avec le prolifique Vincha et Nino Vella, moitié du duo Rouquine ?
Une idée de mon manager. Je connais Vincha depuis quinze ans puisqu’il compose et produit les morceaux de mon petit frère, le rappeur Toan. Ça me paraissait peut-être trop évident pour que j’y pense moi-même. Je les ai briefés tous les deux, on a commencé à poser les bases avec des ateliers dans plusieurs coins de la maison. Chacun travaillait, je passais de l’un à l’autre, je validais ou pas, j’écrivais mon texte et ma petite mélodie. Tout s’est fait rapidement, deux sessions de trois jours et quelques après-midis à Paris.

 

La thématique de l’exil, à nouveau présente ici avec A toi, traverse toute votre discographie…
Je ne me dis pas que je vais en parler à chaque fois, mais cela relève de l’ordre de la spontanéité. Avec la montée du Rassemblement National, c’est normal lorsqu’on est issu de l’immigration de dire à ceux qui n’ont pas un accueil digne de ce nom qu’on sera là pour eux. Cette chanson ne parle pas que des migrants, mais de tous les gens qui ont une différence et qui peuvent être stigmatisés. Ils ont un travail doublement titanesque pour accéder à un beau destin.

La fièvre tire son essence du livre Se perdre d’Annie Ernaux. Une autrice inspirante ?
Tout Annie Ernaux me transperce. Mais cette façon dans ce livre de décrire l’attente amoureuse, qui est à la fois un miracle et un poison, me bouleverse. Elle rend palpable la situation et donne l’impression qu’on est dans la pièce avec les protagonistes. C’est quelque chose que tout le monde a vécu.

Dans quel contexte est né le titre Je danse, hommage à Nadia Guillemin tuée par son compagnon en 2022 à Pithiviers ?
C’est dans le cadre d’un recueil de textes piloté par Sarah Baruck, une romancière qui a échappé au féminicide. Elle est allée voir les 125 familles des 125 victimes au cours d’une année, les a interviewées et a fait parvenir les enregistrements à 125 autrices. Par rapport à Nadia, qui était une femme colorée, Sarah a eu l’idée de m’attribuer cet enregistrement avec le témoignage de ses deux filles. Ça ne laisse pas indemne d’entendre ça, surtout quand on est soi-même maman. Elle était encore présente dans mon esprit et dans mon cœur. C’est de cette manière que la chanson, qui était initialement destinée à ma maman, a été volée – c’est une image bien sûr – par Nadia.

Olivia Ruiz, La réplique (Glory Box Music) 2024

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