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Crises négligées et records de déplacés, le monde dans « une course vers le fond »

Les guerres à Gaza et en Ukraine accaparent l’attention internationale, mais ce ne sont pas les seules régions du monde qui ont besoin d’aide humanitaire, rappelle le Conseil norvégien pour les réfugiés.

Des enfants près d'un abri de fortune, dans une zone désertique.

Des réfugiés soudanais nouvellement arrivés à Adré, au Tchad, le 21 avril 2024.

Photo : Getty Images / Dan Kitwood

Pays du Sahel, Tchad, Honduras... Le Conseil norvégien pour les réfugiés (CNR) a rendu public lundi son rapport annuel recensant les 10 crises de déplacement les plus négligées au monde en 2023.

Négligées parce qu’on sait qu’elles existent, mais qu’on choisit de ne pas s’en occuper, parce que les médias en parlent peu ou pas du tout, et parce que la réponse politique et le financement sont loin d’être à la hauteur des besoins.

Parmi les dix pays mis en avant, neuf sont situés en Afrique et un, le Honduras, en Amérique centrale.

Le CNR analyse une quarantaine de situations ayant généré le déplacement d’au moins 200 000 personnes. Les critères pris en compte pour classer un pays sur la liste sont la volonté de la communauté internationale de contribuer à des solutions politiques, la couverture médiatique en lien avec le nombre de déplacés et le niveau du financement humanitaire.

La baisse du financement humanitaire et de l’attention internationale, une tendance forte de cette année, est aggravée par une liberté des médias réduite dans de nombreux pays de la liste.

Besoins pressants au Sahel

Cette année, l’accent est mis sur le Sahel, où se situent quatre pays de la liste, cinq si on y ajoute le Cameroun, qui se trouve à sa lisière.

Pour la deuxième année consécutive, le Burkina Faso est le premier sur la liste. Le pays a atteint en 2023 les pires niveaux de violence depuis le début du conflit qui y sévit, en 2019, avec un nombre record de civils tués ou forcés de fuir. Des milliers d’écoles ont également dû fermer leurs portes à la suite d’attaques.

Au Mali et au Niger, les problèmes sont semblables, avec une situation sécuritaire qui s'est dégradée à cause des attaques des groupes armés qui s’en prennent aux civils. Fuyant la violence, les déplacés arrivent dans des villages où les infrastructures sont déjà défaillantes, créant ainsi une pression supplémentaire.

Sans moyens de subsistance, ils souffrent d’insécurité alimentaire et de malnutrition.

Deux enfants marchent devant des tentes de fortune dans un paysage aride.

Un camp de déplacés dans la ville de Gorouol, dans le sud-ouest du Niger, près du Burkina Faso, le 9 juin 2022.

Photo : Getty Images / BOUREIMA HAMA

On a une explosion des besoins, observe Christelle Huré, chargée de plaidoyer pour la région Afrique de l'Ouest et Afrique centrale pour le CNR. Il y a eu une aggravation de la situation ces derniers mois et une diminution des financements humanitaires.

Cette baisse du financement est liée, note-t-elle, aux récents coups d’État militaires. L’aide au développement a immédiatement subi les contrecoups des changements politiques, les grands bailleurs de fonds ayant décidé de se retirer.

En conséquence, des services, comme la santé ou l’éducation, qui étaient auparavant assurés par l’État grâce à un appui budgétaire externe, ont disparu. Les personnes qui en bénéficiaient doivent se tourner carrément vers l’assistance humanitaire, qui encaisse donc une pression supplémentaire.

Cela montre bien que, même si l'assistance humanitaire doit être normalement neutre et basée sur les besoins, malheureusement on fait face à une politisation, c'est-à-dire des financements humanitaires qui vont vers des crises avec lesquelles potentiellement il n’y a pas de conflit au niveau politique.

Une citation de Christelle Huré, du Conseil norvégien pour les réfugiés

Mme Huré s’inquiète d’autant plus pour la région alors que le financement des ONG qui mettaient en place des projets de développement à plus long terme est également suspendu. Cela pourrait donc avoir des répercussions pendant plusieurs années.

De jeunes enfants.

Ces enfants déplacés, qui ont fui les attaques des djihadistes dans le nord et l'est du Burkina Faso, ont trouvé refuge à Gampela, près de Ouagadougou, le 6 octobre 2022.

Photo : Getty Images / ISSOUF SANOGO

Il y a bien une attention médiatique sur le Sahel, mais elle est concentrée sur l'angle sécuritaire. On a l'impression que les populations sont un peu abandonnées, déplore Mme Huré.

Tout est masqué par les enjeux géopolitiques. On ne parle plus que de ça, et on ne mentionne jamais le fait qu'il y a des millions de personnes qui sont en train de souffrir de faim dans cette région.

Une citation de Christelle Huré, du Conseil norvégien pour les réfugiés

Des crises négligées et oubliées

Parmi les nouveaux venus sur ce triste palmarès, outre le Niger, on trouve la République centrafricaine, le Soudan du Sud et le Tchad.

Il s’agit pourtant de crises en cours depuis des années, parfois même des décennies, note le CNR.

Le Tchad s’est retrouvé en haut de la liste à la suite de la crise au Soudan. Des milliers de réfugiés affluent de la région soudanaise du Darfour, s’ajoutant aux Tchadiens qui y habitaient et qui veulent maintenant rentrer dans leur pays.

Il y a 600 personnes par jour qui franchissent la frontière, souligne Christelle Huré. Quelque 180 000 personnes sont déjà là et n’ont nulle part où aller, parce que les camps de réfugiés sont pleins. La situation est catastrophique.

Des gens marchent dans le désert en portant des sacs en jute sur la tête.

Des réfugiés fuyant les combats au Darfour arrivent à Adré, à la frontière entre le Soudan et le Tchad, le 22 avril 2024.

Photo : Getty Images / Dan Kitwood

Le Soudan fait partie de la liste depuis plusieurs années, tout comme la République démocratique du Congo et le Cameroun.

Ce dernier a toujours été assez haut dans la liste, précise Christelle Huré. C'est un pays qui ne vit pas seulement une crise négligée, mais également une crise oubliée.

Ce sont, en fait, trois crises en une : il y a, d’une part, les réfugiés originaires de la République centrafricaine installés au Cameroun dans les années 2010, les réfugiés nigérians qui ont fui les exactions commises par Boko Haram dans leur pays ainsi que les déplacés nigérians chassés, eux aussi, par les violences du groupe djihadiste, puis ceux qui s'échappent des griffes des groupes armés indépendantistes anglophones dans l’ouest du pays.

Trois crises qui n'ont rien à voir les unes avec les autres, avec des enjeux très complexes et très peu de financement, remarque Mme Huré.

L’Amérique centrale au cœur de la tourmente

Un manque criant de financement : c’est ce qui arrive également au seul pays non africain sur la liste, le Honduras, qui apparaît dans les dix premières places pour la première fois. Plus de trois millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire, déplacées par la violence des groupes criminels ou par la crise climatique. S’y ajoutent quelque 800 000 migrants venant de partout dans le monde qui transitent par le pays avec l’objectif de se rendre aux États-Unis.

Un enfant et une femme assis sur une chaîne de trottoir tiennent des pancartes.

Des migrants vénézuéliens en route vers les États-Unis demandent de l'argent dans une rue de Tegucigalpa, au Honduras, le 19 septembre 2023.

Photo : Getty Images / ORLANDO SIERRA

Malgré les besoins humanitaires et le nombre très important de personnes touchées, le Honduras était le pays le moins bien financé au monde dans les plans de réponse humanitaire, souligne Ernesto Lorda, responsable du Nord de l'Amérique centrale au CNR.

Le pays fait face à une crise de protection, avec des gens menacés par le crime organisé et qui n’ont d’autre solution que de quitter leur patrie, explique-t-il. C'est le grand changement que nous voyons dans le flux de déplacés : on ne parle pas seulement de jeunes qui partent pour des questions économiques, mais de familles entières, avec des enfants et des personnes âgées, qui fuient la violence.

De plus, on examine cette crise sous la perspective purement migratoire, comme si c’était un problème des Américains. Pourtant, précise M. Lorda, on trouve au Honduras des gens de plus de 110 nationalités différentes.

Le problème dépasse le Honduras, estime-t-il, et même l’Amérique centrale.

Des pays comme le Honduras, le Guatemala et le Mexique subissent les conséquences de crises qui surviennent dans d'autres parties du monde et qui poussent les gens à fuir.

Une citation de Ernesto Lorda, responsable du Nord de l'Amérique centrale au Conseil norvégien des réfugiés

La négligence, « la nouvelle norme »

L’abandon total des personnes déplacées est devenu la nouvelle norme, soutient le secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés, Jan Egeland, cité dans le rapport. Les élites politiques et militaires locales ignorent les souffrances qu’elles causent, et le monde n’est ni choqué ni contraint d’agir par des histoires de désespoir et des statistiques record.

Un homme mesure la circonférence du bras d'un bébé.

Des enfants subissent un test de circonférence du bras pour détecter les signes de malnutrition dans une clinique de Médecins sans frontières (MSF) du camp de réfugiés d'Adré, au Tchad, le 25 avril 2024.

Photo : Getty Images / Dan Kitwood

C’est une course vers le fond, précise Christelle Huré. Quand on regarde le top 20, on se dit que toutes ces crises ont besoin d'attention, mais il y a tellement de compétition dans la misère, malheureusement, qu’on se trouve à ne pouvoir parler que du top 10.

Des scores qui, l’année dernière, auraient placé un pays en troisième position le situent maintenant en dehors du palmarès de cette année. Ce n'est pas que la situation se soit améliorée, c'est plutôt que dans d'autres pays, les choses sont encore pires.

En 2023, l’écart entre les appels humanitaires et l’argent effectivement reçu s’élevait à 32 milliards de dollars, soit 10 milliards de plus qu’en 2022. Ce déficit signifie que 57 % des besoins sont restés insatisfaits.

Il y a beaucoup d'attention médiatique sur Gaza, ce qui est ultra nécessaire. Ce qu'on souhaite, c'est que ça ne vienne pas masquer toutes les autres crises, qui sont tout aussi dramatiques.

Une citation de Christelle Huré, du Conseil norvégien pour les réfugiés

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