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Hydrogéochimie régionale des trois bassins versants de la région de la Montérégie Est, Québec, Canada Châtelaine Beaudry1, René Lefebvre1, Christine Rivard2, Xavier Malet1 Institut national de la recherché scientifique – Centre Eau Terre Environnement (INRS-ETE), Québec, Québec, Canada 2 Commission géologique du Canada, Québec, Québec, Canada 1 ABSTRACT The groundwater geochemistry of the Monterégie Est region, Quebec, was studied as part of a regional groundwater resources assessment project supported by the Quebec government. The study covers a 9000 km² area and three major watersheds. Groundwater from 225 wells was sampled and analyzed for physicochemical parameters, metals, anions and nutriments. Isotopic analyses were also made on selected samples: stable isotopes (δ2H, δ18O, δ13C and δ15N) and 14 3 radioactive isotopes C and H for groundwater dating purposes. The interpretation of results provides an initial assessment of regional water quality. RÉSUMÉ La géochimie des eaux souterraines de la Montérégie Est, Québec, a été étudiée dans le cadre d’un projet de caractérisation hydrogéologique régionale supporté par le gouvernement du Québec. L’étude couvre 9000 km² et trois bassins versants majeurs. L’eau souterraine de 225 puits a été échantillonnée et analysée pour les paramètres physicochimiques, les métaux, les anions et les nutriments. Des analyses isotopiques ont également été réalisées sur une sélection d’échantillons : isotopes stables (δ2H, δ18O, δ13C et δ15N) et radioactifs (14C et 3H) pour fins de datation de l’eau souterraine. L’interprétation des résultats fournit un portrait initial de la qualité régionale des eaux. 1 INTRODUCTION La présente étude porte sur la géochimie des eaux souterraines de la région de la Montérégie Est située au sud de la province de Québec, Canada (figure 1). Ces travaux font partie d’un vaste projet multidisciplinaire visant à dresser le portrait régional de la ressource en eau souterraine de cette région. Ce projet est supporté par le Programme d’acquisition des connaissances sur les eaux souterraines (PACES) du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec (MDDEP). La région d’étude couvre une superficie de 9000 km² et comprend les bassins versants des rivières Richelieu, Yamaska et de la Baie-Missisquoi, ce qui correspond aussi au territoire de la Conférence régionale des élus (CRÉ) Montérégie Est. L’extrémité ouest de la région est résidentielle dû à sa proximité avec la ville de Montréal, mais le reste du territoire est principalement agricole. La région est bordée au nord-ouest par le fleuve St-Laurent et au sud par la frontière américaine. La population totale est d’environ 655 000 habitants; dont près de 30% utilise l’eau souterraine pour son approvisionnement en eau. La présente étude a pour objectifs de dresser un portrait de la qualité des eaux souterraines, tout en identifiant les différents types d’eau et les processus géochimiques contrôlant la qualité de l’eau souterraine, et en définissant l’influence des contextes géologiques et hydrogéologiques sur l’hydrogéochimie. L’influence des processus naturels et anthropiques sur la qualité des eaux souterraines sera aussi évaluée. L’étude sur la géochimie de l’eau souterraine va aussi avoir des incidences sur d’autres aspects du projet régional, notamment la définition des conditions d’écoulement et l’identification des zones de recharge. Puisque cette étude est actuellement en voie de réalisation, les résultats et l’interprétation présentés dans cet article sont partiels et préliminaires. Figure 1. Région d’étude en Montérégie Est Tel qu’illustré à la figure 1, la région d’étude comprend quatre contextes physiographiques qui définissent aussi des contextes hydrogéologiques distincts : les Bassesterres du St-Laurent, la chaîne Appalachienne, le Piémont appalachien et les collines Montérégiennes. La géologie des dépôts meubles à la surface du territoire a été grandement influencée par la dernière glaciation (il y a ≈12000 ans), puis par la présence de la Mer Champlain (≈10000 ans) qui a laissé d’importants dépôts argileux ainsi que de l’eau salée dans les aquifères rocheux. La figure 1 montre la limite marine, qui donne une idée de l’étendue du territoire affecté par la présence de la Mer Champlain, soit jusqu’à la base des Appalaches, au sud-est de la région d’étude. Les Basses-terres du Saint-Laurent, occupant la moitié ouest de la région d’étude, portent la signature de la Mer Champlain. Elles sont caractérisées par une plaine argileuse, laissant supposer a priori une faible recharge et un écoulement limité dans les formations rocheuses à cause de l’absence de topographie. Les plus importants dépôts d’argile sont situés au nord, entre St-Hyacinthe et Sorel-Tracy. Ce secteur est également caractérisé par une assez forte salinité des eaux souterraines, ce qui la rend généralement impropre à la consommation. Ceci a nécessité le développement d’un réseau d’aqueduc il y a plus de 40 ans, ce qui a favorisé le développement économique de la région (section 4). La chaîne Appalachienne, à l’est de la région, est constituée de collines aux sommets arrondis et de vallées glaciaires, ce qui en fait un territoire hétérogène au niveau hydrogéologique. La ville de Granby se trouve en bordure des Appalaches. On y retrouve des activités agricoles par endroit, mais également des zones forestières et de villégiature. Le Piémont appalachien constitue la transition entre les Basses-terres et la chaîne des Appalaches. Les villes de Farnham et Cowansville y sont situées. L’activité agricole domine et la contamination potentielle de l’eau souterraine par les nitrates constitue une préoccupation. Ce secteur est présumé être une zone de recharge régionale pour les eaux souterraines à cause de l’absence de couvert argileux et d’un relief limité. Les collines Montérégiennes sont des massifs intrusifs d’âge Crétacé, mis à nu par l’érosion. Sept de ces collines sont alignés dans la région d’étude, soit, d’ouest en est, les monts : St-Bruno, St-Hilaire, St-Grégoire, Rougemont, Yamaska, Shefford et Brome. De la culture maraîchère ainsi que des zones de villégiature y sont associées. Des sédiments granulaires grossiers peuvent être présents au pourtour de ces collines, constituant ainsi des zones de recharge et des aquifères potentiels. 2 MÉTHODOLOGIE L’eau de surface des rivières Yamaska et Richelieu est reconnue pour être de mauvaise qualité, notamment pour leurs concentrations élevées en nitrates. La grande majorité des puits de cette région exploite l’eau souterraine dans les formations rocheuses. Certaines municipalités cherchent à augmenter leur volume d’eau pompé ou à s’approvisionner en eau souterraine. Les principales données géochimiques utilisées par cette étude ont été obtenues par l’échantillonnage de 225 puits en 2010, soit 187 puits privés et 38 puits d’observation aménagés dans le cadre du projet. Les procédures d’échantillonnage ainsi que le programme analytique sont décrits dans la présence section. 2.1 Échantillonnage de puits privés Au cours de l’été 2010, l’eau de 187 puits privés a été échantillonnée de façon à couvrir la région d’étude avec un échantillon tous les 7 km². Pour ce faire, le Système d’information hydrogéologique (SIH) du MDDEP a permis de cibler les puits privés ayant été forés depuis les 40 dernières années, leur emplacement approximatif, ainsi que leurs caractéristiques de construction. La densité d’échantillonnage n’a toutefois par été atteinte dans les secteurs où très peu de puits ont été construits, soit dans la partie nord-ouest de la région où l’eau souterraine est non potable et des réseaux d’aqueduc sont présents. Chaque échantillon était prélevé à même la robinetterie des résidences, tout en s’assurant qu’aucun système de traitement n’était présent. Chacun des puits a été localisé par GPS et le niveau d’eau statique a été mesuré lorsque possible. Un questionnaire était également complété par le propriétaire afin de tenter de connaître les détails de la construction du puits, la qualité de l’eau perçue ainsi que toute information pertinente. Les résultats analytiques issus de chacun des puits ont été transmis à leur propriétaire respectif au cours de l’hiver suivant l’échantillonnage. Les puits privés échantillonnés sont en grande majorité aménagés au roc. Seulement 8 de ces puits exploitaient un aquifère granulaire. 2.2 Échantillonnage de puits d’observation À l’automne 2010, 38 puits d’observation aménagés dans le cadre du PACES ont été échantillonnés, soit 24 puits aménagés au roc et 14 puits dans les sédiments. Tous ces puits ont été purgés et échantillonnés à l’aide de pompes submersibles portatives. 2.3 Mesures in situ Les propriétés physico-chimiques de l’eau étaient mesurées in situ lors des prélèvements à l’aide d’une sonde multi-paramètres (marque YSI). La température, le pH, l’oxygène dissous, la conductivité électrique, le potentiel d’oxydo-réduction ainsi que la concentration en matière dissoute totale (MDT) ont ainsi été mesurés. L’échantillon était prélevé suite à une purge d’environ trois fois le volume du puits, ainsi qu’à l’obtention d’une stabilité des paramètres physico-chimiques pour des lectures relevées à toutes les 5 minutes. 2.4 Programme analytique Chacun des échantillons a été analysé par un laboratoire accrédité pour les paramètres suivants : • Alcalinité totale • Anions majeurs (Br-, Cl-, F-, NO 2 --NO 3 -, SO 4 ) • Nutriments (NH 4 , P) • Métaux (30 métaux) • Sulfures totaux • Carbone organique dissous (COD) • Carbone inorganique dissous (CID) • Azote total Kjeldahl (NTK) Suite à la réception et l’interprétation préliminaire des résultats pour ces paramètres, une sélection a été réalisée sur les échantillons pour l’analyse de l’un ou de plusieurs des isotopes suivants : • δ2H et δ18O (résultats à venir) 15 • δ N (résultats à venir) • Tritium (3H) 14 • Carbone 14 ( C) 2 18 Les isotopes stables (δ H et δ O) serviront à établir la courbe météorique des précipitations et à donner des indications sur la température de recharge, l’isotope 15 nitrate (δ N) permettra de déterminer les types de sources des nitrates dans les secteurs agricoles. Les analyses isotopiques de tritium et 14C ont été réalisées pour estimer l’âge de l’eau souterraine. 2.5 Données externes Au début du projet, l’ensemble des municipalités, MRC et partenaires ont été mis à contribution afin de rassembler une grande variété d’études hydrogéologiques ou géologiques existantes. Des centaines de rapports d’intérêt produits par des consultants ou par le gouvernement du Québec (dont le Système d’information hydrogéologique, SIH, du MDDEP) ont été archivés. Des résultats géochimiques ont ainsi été compilés dans une base de données. Conséquemment, en plus des résultats analytiques issus de la campagne d’échantillonnage de l’eau souterraine de 2010, une grande variété de données est disponible pour valider ou préciser certaines interprétations géochimiques. Il est toutefois à considérer que le niveau de fiabilité des données historiques est variable puisque celles-ci sont d’origines diverses et que certaines d’entre elles datent de plus de 40 ans. 3 PORTRAIT DE LA GÉOCHIMIE RÉGIONALE Cet article présente une description initiale du portrait de la géochimie régionale de l’eau souterraine en Montérégie Est sur la base des données disponibles lors de sa 2 18 rédaction. Ainsi, les analyses isotopiques en δ H, δ O et 15 δ N ne peuvent pas être discutées puisqu’elles étaient toujours en voie d’être complétées. L’analyse des résultats actuellement disponibles a tout de même permis de dresser un portrait général de la qualité des eaux et de déterminer les différents types d’eau, selon les cations et les anions majeurs dominants. Une datation préliminaire a également pu être réalisée sur l’eau souterraine. 3.1 gouvernement du Québec ainsi qu’aux objectifs d’ordre esthétique des Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada proposées par Santé Canada (2010). La figure 2 illustre la distribution spatiale des 225 puits et le niveau de potabilité des eaux échantillonnées. Qualité des eaux pour fins de consommation En guise d’évaluation de la qualité des eaux pour fin de consommation, les résultats analytiques ont été comparés aux valeurs maximales acceptables définies par le Règlement sur la qualité de l’eau potable (c. Q-2, r.40) du Figure 2. Potabilité et qualité des eaux souterraines par rapport à la réglementation québécoise et aux recommandations canadiennes. De façon plus détaillée, le tableau 1 présente les paramètres analysés pour lesquels un ou plusieurs dépassements ont été observés par rapport à une concentration maximale réglementaire ou une recommandation d’ordre esthétique. Le nombre de dépassement total correspond au nombre d’échantillons dépassant le critère sur un total de 225 échantillons. Tableau 1. Qualité de l’eau souterraine pour 225 analyses Paramètre Concentration maximale 1 acceptable (mg/L) 0,025 1 -0,05 -1,5 -10 Objectif esthétique2 (mg/L) --250 -0,3 -0,05 -- Nombre de dépassements As 2 Ba 16 Cl 17 Cr 1 Fe 50 F 19 Mn 91 NO 2 – 3 NO 3 Na -200 29 SO 4 -500 6 S -0,05 23 U 0,02 -2 1 Règlement sur la qualité de l’eau potable (c. Q-2, r.40). 2 Recommandations de Santé Canada (2010). Le fluor et le baryum sont les sources naturelles de non potabilité les plus communes, avec 19 et 16 résultats excédant les concentrations maximales acceptables. Les échantillons présentant les plus fortes concentrations ont, pour la plupart, été prélevés dans des puits localisés dans la région physiographique des Basses-terres. Les puits concernés puisent leur eau dans des shales, ardoises ou mudstones, mais principalement dans les shales et grès de la formation de Nicolet (groupe de Loraine). Le manganèse présente le plus de dépassements des critères d’ordre esthétique, et ce de façon uniforme sur le territoire avec 91 échantillons ayant un dépassement. Le fer se retrouve également souvent en forte concentration dans l’eau avec 50 résultats au-delà de l’objectif esthétique. Il est toutefois moins abondant dans les Appalaches. Les dépassements esthétiques en sodium et en chlorures se retrouvent principalement dans les Basses-terres, dans la zone ayant des eaux saumâtres ou encore le long de la rivière Richelieu. Bien que dans les normes, une dureté élevée et la présence de soufre affectent assez souvent la qualité de l’eau. 3.2 Validité des résultats analytiques Pour fins d’interprétation et de modélisation géochimique, la validité des résultats a été vérifiée par le calcul de la G G1 G2 G3 G4 G5 Type d’eau Ca2+- HCO3Mg2+- HCO3Alk- HCO3Na+- HCO3Mixte- HCO3Na+- ClNa+- SO42Ca2+- SO42Ca2+- ClCa2+-Mixte N 95 4 1 70 13 15 4 1 3 1 Ca 64 46 45 44 13 151 158 190 73 160 Concentration moyenne (mg/L) Mg Na K HCO Cl 16 19 2,7 244 30 29 22 5,6 305 9 34 23 4,0 293 22 23 53 4,9 317 31 6 131 3,1 344 41 43 1004 16,7 581 1326 47 354 9,0 384 173 82 60 3,9 244 10 16 14 2,5 118 112 31 72 3,0 244 160 + + balance ionique. Le bilan des cations majeurs (Na , K , 2+ 2+ 2Mg , Ca ) et anions majeurs (Cl , HCO 3 , SO 4 ) en meq/L a été calculé. Bien qu’en théorie le bilan des charges doit être nul, une tolérance de ±15% a été appliquée. 153 échantillons présentent un bilan de charge situé dans l’intervalle de ±5%, 42 entre ±5% et ±10%, 12 entre ±10% et ±15% et 18 présentaient un bilan au-delà de ±15%. Les derniers 18 échantillons ont été rejetés et se sont vus attribués la mention « électronégativité (EN) non respectée ». Ainsi, 207 échantillons constituent la base de données hydrogéochimiques préliminaire pour fins d’interprétation. 3.3 Types d’eau La figure 3 illustre la composition et la distribution spatiale des différents types d’eau présents dans la région d’étude. Pour chacun des 207 échantillons, ces types d’eau ont été déterminés à partir des concentrations en cations majeurs (Na+, K+, Mg2+, Ca2+) et en anions 2majeurs (Cl , HCO 3 , SO 4 ). Les cations majeurs dominants sont principalement Ca2+ (48%) et Na+ (43%). L’anion le plus commun est HCO 3 (88%). Dix types d’eau ont ainsi été définis, dans 5 groupes distincts (G1 à G5), tel que présenté au tableau de la figure 3. Les 5 groupes sont ceux définis par Cloutier (2004) dans le cadre d’une étude dans les Basses-Laurentides, Québec. SO4 41 46 65 41 26 376 778 630 33 110 Figure 3. Composition et répartition spatiale des types d’eau. Le diagramme de Piper (à gauche) montre les plages de variation relative des ions majeurs avec les types d’eau et groupes. La carte (à droite) montre la répartition spatiale des types d’eau ainsi que l’étendue de la zone d’eaux saumâtres. Le tableau présente les statistiques des différents types d’eau (G représente le groupe de types d’eau et N indique le nombre d’échantillons appartenant à ce type d’eau). Le tableau de la figure 3 montre les concentrations moyennes des ions majeurs pour chaque type d’eau. Pour la définition des types d’eau, un ion est dit dominant lorsqu’il est présent en proportion excédant 20% (en meq/L). Lorsque 2 ou 3 ions sont présents en proportions variant de 10 à 20%, le type d’eau mixte s’applique. La désignation « Alkali » s’applique à un type mixte dominé + + 2+ par Na et K . Les types calcium-bicarbonate (Ca + HCO 3 ) et sodium-bicarbonate (Na -HCO 3 ) sont les plus abondants. Le diagramme de Piper de la figure 3 montre les plages de variation des proportions des ions majeurs pour les différents types d’eau. La carte de la figure 3 montre la répartition spatiale des différents types d’eau sur l’ensemble de la Montérégie Est. La zone d’eaux saumâtres présente dans la partie nord des Basses-terres du St-Laurent y est également localisée (en quadrillé), elle sera traitée à la section 4. Le type d’eau Ca-HCO 3 domine largement dans les Appalaches, à l’extérieur de la limite marine de la Mer Champlain, ainsi qu’à l’extrémité sud des Basses-terres où la couverture argileuse est mince ou absente. Ce type d’eau est aussi assez abondant dans le Piémont appalachien. Ce type d’eau est présumé indiquer des zones de recharge et des eaux relativement jeunes (Cloutier, 2004). Les eaux de type Na-HCO 3 sont dominantes à l’intérieur de la limite marine mais à l’extérieur de la zone d’eaux saumâtres. Ce type d’eau représenterait un niveau d’évolution plus important de l’eau souterraine, affecté soit par le mélange avec de l’eau de mer ou l’échange ionique. Enfin, les eaux de type Na-Cl se retrouvent surtout à l’intérieur ou à proximité de la zone d’eaux saumâtres. Ces eaux sont présumées représenter le lessivage partiel des eaux de la Mer Champlain qui avaient envahi les aquifères. Des travaux additionnels sont requis pour faire une interprétation plus détaillée de l’évolution de l’eau souterraine dans la région d’étude, notamment grâce aux analyses isotopiques. 3.4 principe les eaux plus anciennes que 50-60 ans ne devraient pas contenir de tritium, les eaux souterraines sont souvent constituées de mélanges d’eaux jeunes et anciennes, ce qui fait que du tritium est présent dans des 14 eaux datées de plusieurs milliers d’années par C. Le tableau 2 et la figure 4 présentent les résultats de datation par tritium et 14C en fonction des types d’eau. Les eaux les plus jeunes sont de type G1, particulièrement Ca-HCO 3 , tandis que les eaux les plus anciennes sont de type G2 (Na ou Mixte-HCO 3 ) ou G3 (Na-Cl). Ces âges sont cohérents avec les niveaux présumés d’évolution géochimique de ces types d’eau. Tableau 2. Datation isotopique selon les types d’eau (Nombre d’échantillon (N) et valeurs minimale (Min), moyenne (Moy) et maximale (Max)) Type d’eau N Ca-HCO3 Mg-HCO3 Na-HCO3 Mixte-HCO3 Na-Cl Na-SO4 Ca-Cl Non-classé 14 2 16 2 2 1 1 3 Tritium Min Moy (UT) (UT) 8.9 11.2 6.5 7.0 0.4 3.9 1 2.6 0.4 2.4 6.6 6.6 4.0 4.0 0.4 6.7 14 Max (UT) 14.3 7.4 9.6 3.1 3.9 6.6 4.0 10.4 N 7 1 15 3 8 2 1 2 Min (an) 60 10 120 2 260 4 020 290 2 140 9 320 8 440 C Moy (an) 3 126 10 120 8 438 6 950 10 909 8 264 9 320 13 600 Max (an) 5 020 10 120 15 520 11 460 16 580 14 390 9 320 18 760 Résultats isotopiques pour la datation Lors de la rédaction de l’article, les analyses isotopiques disponibles étaient celles du tritium et du 14C qui ont été faites pour évaluer l’âge (ou temps de résidence) de l’eau souterraine. 41 échantillons ont été analysés pour le 14 tritium et 39 pour le C. Les résultats en tritium sont présentés en unités tritium (UT). Une UT équivaut à 10-18 -18 mol mol de tritium par mol d’hydrogène (1UT = 10 3 14 H/mol H). Les résultats en C sont en années « avant le présent » (BP), l’année de référence étant 1950. La datation à l’aide du tritium et du 14C constitue un outil aidant à évaluer le temps de résidence des eaux souterraines dans les aquifères. Ces isotopes radioactifs donnent des indications de l’âge de l’eau parce que leur désintégration fait en sorte que leurs concentrations diminuent avec le temps de résidence de l’eau souterraine. Le tritium a une demi-vie de 12,3 années, il n’est plus détecté dans les eaux souterraines ayant plus de 60 ans. Le tritium est donc un indicateur de la présence d’eau relativement jeune, ou au moins d’une proportion d’eau jeune. Le 14C a une demi-vie de 5 568 ans (évaluation de 1951), ce qui permet son utilisation pour dater des eaux entre 2k et 30k ans. Même si en Figure 4. Tritium et 14C selon les types d’eau 3.5 Caractéristiques générales de l’eau souterraine Bien que les résultats présentés dans cet article ne soient que préliminaires, certaines conditions géochimiques se démarquent régionalement : • Les eaux saumâtres localisées au nord-ouest; • Les dépassements de normes pour le fluor et le baryum dans le secteur ouest; • La problématique du fer et du manganèse sur l’ensemble du territoire; • Les faibles concentrations en nitrites et nitrates; • Une grande variabilité au niveau des âges isotopiques avec un mélange d’âges d’eau; • Une grande variété de types d’eaux. 4 ÉTENDUE DES EAUX SAUMÂTRES La problématique des eaux souterraines saumâtres dans les aquifères rocheux au nord de la région a été étudiée plus en détails afin de mieux délimiter cette zone et aussi mieux comprendre les processus impliqués dans la présence de ces eaux. À cette fin, 2489 analyses provenant de la campagne d’échantillonnage de 2010 et de données historiques compilées ont été utilisées. Les paramètres disponibles qui ont été jugés d’intérêt pour la délimitation des eaux saumâtres sont les suivants : • Chlorures (Cl-); • Bromures (Br-); • Matières dissoutes totales (MDT); • Conductivité électrique de l’eau. Des plages de niveau de salinité (eaux douces, saumâtres et salines) ont été définies sur la base de ces paramètres. L’eau est considérée saumâtre à partir de 250 mg/l de chlorures (critère esthétique de potabilité) et 1000 mg/l en MDT (Hem, 1985). L’eau est dite saline à partir de 5000 mg/l en MDT. Des limites cohérentes entre ces catégories d’eau pour les paramètres géochimiques disponibles ont été déterminées par corrélation entre ces paramètres. La figure 5 est un exemple de relation entre les MDT et les chlorures, montrant les limites entre les valeurs de ces paramètres géochimiques qui ont été utilisées pour définir les catégories de salinité. Le tableau 3 présente les critères de salinités (eau douce, saumâtre et salée) utilisés pour les 4 paramètres géochimiques. Les plages de valeur des paramètres géochimiques correspondant aux types de salinité ont été cartographiées et superposées à la carte des puits répertoriés dans le SIH. En effet, la densité des puits sur le territoire donne un indice important de l’utilisation de l’eau souterraine et, donc, de la qualité de cette eau. Il a été observé que les paramètres géochimiques typiques des eaux saumâtres ou salées se trouvent directement dans des zones de faible densité de puits (moins de 10 puits tous les 9 km²). À l’aide des paramètres géochimiques et de la densité de puits, une zone d’eaux saumâtres a ainsi pu être clairement délimitée (figure 6). Cette zone occupe une superficie de 2200 km². La zone d’eaux saumâtres est superposée à une carte d’épaisseurs d’argile sur la figure 6. Seules les concentrations en chlorures ont été illustrées pour alléger la représentation. Les grandes épaisseurs d’argile, qui limitent la recharge, semblent contribuer à la présence d’eaux saumâtres. D’autres conditions sont aussi investiguées, mais elles ne sont pas discutées ici. En plus de la zone d’eaux saumâtres, des zones secondaires où l’eau est douce, mais présente des concentrations significatives en chlorures, ont été identifiées au pourtour de la zone d’eaux saumâtres. Ces zones secondaires résulteraient d’un lessivage des eaux anciennement saumâtres ou salées par des eaux douces, qui aurait été plus important par rapport à ce qui se serait produit dans la zone d’eaux saumâtres. Figure 5. Exemple de définition des zones d’eau douce, saumâtre et salée à l’aide des concentrations en chlorures et matière dissoute totale (MDT) Tableau 3. Critères définissant la salinité de l’eau Eau Douce Saumâtre Salée - [Cl-] (mg/L) [Br ] (mg/L) < 250 250 2000 > 2000 < 1,0 1,0 - 7,0 > 7,0 MDT calculée (mg/L) < 1000 1000 5000 > 5000 Conductivité (µS/cm) < 1,0 1,0 - 8,0 > 8,0 Figure 6. Zones d’eaux saumâtres et lessivées et épaisseur d’argile (les ronds jaunes montrent les puits avec de fortes concentrations en chlorures et les points, tous les puits répertoriés dans le SIH du MDDEP) La figure 6 montre la zone d’eaux saumâtres définie par les paramètres géochimiques et la densité des puits. Un aspect remarquable est qu’il n’y a pratiquement pas de transition entre la zone d’eaux saumâtres et les eaux souterraines qui l’entourent, où l’eau est douce avec peu d’indications géochimiques d’une salinité antérieure. Cette zone d’eaux saumâtres est bordée par les mont St-Bruno, St-Hilaire et Rougemont au sud, par la rivière Yamaska à l’est, et par le fleuve St-Laurent au Nord. La présence d’eau douce entourant les Montérégiennes confirme que ce sont des zones de recharge. Soulignons que notre interprétation se limite à la région de la Montétégie Est. Il est possible que la zone d’eaux saumâtres se prolonge vers le nord-est, tel que documenté par d’anciens travaux hydrogéologiques (MRN, 1972). Les caractéristiques des eaux souterraines dans la zone d’eaux saumâtres semblent indiquer que la salinité serait reliée à la présence initiale d’eau salée d’origine marine dans les aquifères rocheux. Cette eau proviendrait de la Mer Champlain, qui avait envahi le territoire suite à la dernière glaciation. Cette mer a aussi déposé les argiles qui recouvrent les Basses-terres. La faible perméabilité de l’argile sus-jacente et la faible topographie des Basses-terres contribueraient à limiter l’écoulement des eaux souterraines dans la zone d’eaux saumâtres, limitant ainsi le lessivage de cette eau. Il est aussi possible que la faible conductivité hydraulique de la principale unité rocheuse sous la zone d’eaux saumâtres, le shale de Queenston, ainsi que l’émergence dans la rivière Yamaska de l’eau souterraine provenant de la recharge dans le Piémont appalachien contribuent aussi à la présence de la zone d’eaux saumâtres. Cloutier et al. (2010) ont montré que le processus de lessivage d’eau de la Mer Champlain dans des aquifères rocheux fracturés comme ceux de la Montérégie Est peut exiger des milliers d’années pour réduire la salinité. Katz et al. (2011) utilisent, entre autres, le rapport massique Cl/Br afin d’interpréter l’origine des chlorures dans l’eau souterraine. La figure 7 montre la position de pôles d’eaux d’origines diverses sur un graphique du rapport Cl/Br en fonction de la concentration en chlorures. Ce graphique permet de distinguer les pôles de l’eau souterraine typique, du lixiviat de fosse septique, de l’eau marine et de l’halite (dissolution minérale provenant du lessivage de sel déglaçant ou encore de la présence d’une contamination anthropique). Les courbes joignant ces pôles représentent les compositions d’eau qui résulteraient du mélange entre ces pôles. Sur la figure 7, les résultats de l’échantillonnage de 2010 en Montérégie Est sont montrés en distinguant les types d’eau. Les échantillons avec des concentrations en bromures inférieures aux limites analytiques de détection n’ont pas été considérés. À peu d’exception près, les résultats semblent suivre la courbe typique du mélange entre l’eau souterraine et l’eau de mer, appuyant ainsi l’origine probable de la salinité en lien avec la Mer Champlain. Il est toutefois nécessaire de faire une étude plus détaillée de l’ensemble des données géochimiques, notamment des analyses isotopiques, pour mieux évaluer l’ensemble des processus géochimiques contribuant à l’origine et à la préservation des eaux saumâtres. Figure 7. Résultats analytiques de la Montérégie Est, distingués par types d’eau, comparés aux courbes d’évolution du rapport massique Cl/Br lors du mélange d’eaux de sources diverses (d’après Katz et al., 2011) 5 CONCLUSIONS La géochimie des eaux souterraines de la Montérégie Est, couvrant 9000 km² et trois bassins versants majeurs, a été étudiée grâce à l’échantillonnage de 225 puits, presque tous dans l’aquifère rocheux régional. Ces échantillons ont tous été analysés en laboratoire pour leurs concentrations en métaux, anions, nutriments et isotopes et in situ pour les paramètres physicochimiques. Ces travaux ont permis de dresser un portrait initial de la qualité de l’eau souterraine dans la région d’étude. Sauf pour une zone où l’eau souterraine est saumâtre et impropre à la consommation, les résultats montrent que l’eau souterraine est d’assez bonne qualité, les principaux problèmes de non potabilité étant reliés à la présence naturelle de Ba et de F dans des secteurs spécifiques. Certains désagréments liés à la dureté (Ca, Mg) et à la présence de fer et de manganèse, ainsi qu’aux odeurs de soufre, sont toutefois assez répandus. Même si l’agriculture est l’activité la plus importante dans la région d’étude, très peu de dépassements ont été observés pour les nitrates. Ceci pourrait être dû aux temps de résidence généralement longs des eaux souterraines, donc prédatant l’usage moderne des fertilisants. Au niveau des types d’eau et de l’âge isotopique 14 tritium et C, l’eau souterraine de la région d’étude présente beaucoup de variabilité, mais des types d’eau spécifiques dominent dans les différents contextes hydrogéologiques. Le type d’eau Ca-HCO 3 domine dans les Appalaches, à l’extérieur de la limite marine de la Mer Champlain. Ce type d’eau est présumé être une indication des zones de recharge et d’eaux relativement jeunes, ce qui est confirmé par les analyses de tritium et de 14C. Les eaux plus évoluées de type Na-HCO 3 sont dominantes à l’intérieur de la limite marine mais à l’extérieur de la zone d’eaux saumâtres. Enfin, les eaux de type Na-Cl se retrouvent surtout à l’intérieur ou à proximité de la zone d’eaux saumâtres. La zone contenant des eaux saumâtres a été délimitée grâce à des indicateurs géochimiques et à la densité des puits. Cette zone couvre 2200 km2 et sa présence semble résulter du lessivage partiel des eaux de la Mer Champlain qui avait envahi les aquifères rocheux. Des travaux additionnels sont requis pour faire une interprétation plus détaillée de l’évolution de l’eau souterraine dans la région d’étude, notamment grâce aux analyses isotopiques. L’objectif du projet dans le cadre duquel s’intègre l’étude géochimique est d’utiliser la géochimie pour mieux comprendre la dynamique d’écoulement et évaluer l’influence de l’historique géologique sur le système aquifère, soit la succession de la fonte des glaciers, de la Mer Champlain et du régime d’écoulement moderne de l’eau souterraine. REMERCIEMENTS Les travaux présentés dans cet article ont été supportés financièrement par le Programme d’acquisition des connaissances sur les eaux souterraines (PACES) du Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) du Québec, par les partenaires régionaux du projet, notamment la Conférence régionale des élus (CRÉ) de la Montérégie Est, ainsi que par la Commission Géologique du Canada. Ces travaux ont été réalisés par l’INRS-ETE, la Commission Géologique du Canada, l’Institut de recherche et développement en agroenvironnement (IRDA) et l’OBV Yamaska. La subvention à la découverte du CRSNG de R. Lefebvre a aussi supporté la diffusion des résultats de l’étude. RÉFÉRENCES Appelo, C.A.J., et Postma, D., 2005. Geochemistry, nd groundwater and pollution, 2 edition, CRC Press, Boca Raton, FL, USA. Cloutier, V., Lefebvre, R., Savard, M.M., et Therrien, R., 2010. Desalination of a sedimentary rock aquifer system invaded by Pleistocene Champlain Sea water and processes controlling groundwater geochemistry. Environmental Earth Sciences, 59 (5), 977-994. Cloutier, V. 2004. Origine et évolution géochimique des eaux souterraines du système aquifère des BassesLaurentides dans les roches sédimentaires paléozoïques des Basses-Terres du Saint-Laurent, Québec, Canada, Thèse doctorale, INRS-Eau, Terre et Environnement, Québec, QC, Canada. Katz, B.J., Eberts,S.M., et Kauffman, L.J., 2011. Using Cl/Br ratio and other indicators to access potential impacts on groundwater quality from septic systems: A review and examples from principal aquifers in the United States. J. of Hydrology, 397: 151-166. Kazemi, G.A., Lehr, J.H., et Perrochet, P., 2006. Groundwater Age, John Wiley & Sons, Hoboken, NJ, USA. Ministère des Richesses Naturelles (MRN), 1972. Carte hydrogéologique des basses-terres du Saint-Laurent. MRN, Service de l'hydrogéologie. Santé Canada, 2010. Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada. Comité fédéral-provincialterritorial sur l’eau potable du Comité fédéralprovincial-territorial sur la santé et l’environnement., http://www.hc-sc.gc.ca/ewh-semt/pubs/watereau/2010-sum_guide-res_recom/index-fra.php, accédé en décembre 2010.