Une enquête sur la généalogie d'une (non) réception de Gramsci en France après-guerre. Comment un des auteurs majeurs de la philosophie et de la science politique mondiale a pu subir réticences, méfiances, blocages voire censures de la part d'une dizaine d'éditeurs français, pourtant séduits initialement par cette oeuvre sans égal ? Comment il n'a pu trouver qu'un compromis franco-suisse en 1959 qui loin de permettre sa diffusion de masse l'a réduit à la "nuit du silence" pendant deux décennies ? C'est l'objet de cette enquête philologique et historique, documents d'archives (et entretiens) inédits à l'appui. L'article attend encore une revue en mesure de l'accueillir, six ans après sa rédaction, si une publication est intéressée. -- An investigation into the genealogy of a (non) reception of Gramsci in post-war France. How could one of the major authors of philosophy and world political science have suffered reluctance, distrust, blockages or even censorship from a dozen French publishers, who were initially seduced by this unequaled work? How could he only find a Franco-Swiss compromise in 1959 which, far from allowing its mass distribution, reduced it to the "night of silence" for two decades? This is the subject of this philological and historical investigation, supported by unpublished archival documents (and interviews). The article is still waiting for a journal able to publish it, six years after it was written, if a review is interested.

Pour certains penseurs critiques, la culture de masse - qu'il s'agisse de chansons, de films, ou de romans - serait un instrument de domination sociale. Antonio Gramsci semble faire un pas de côté par rapport à cette approche. Dans ses Cahiers de prison, il s'intéresse au succès de la littérature commerciale, qu'il décrit certes comme un « opium » du peuple ; mais il reconnaît qu'elle est bien plus que cela. (Entretien donné à la revue "L'ouvroir")

Antonio Gramsci (1891-1937) reste l’un des penseurs majeurs du marxisme, et l’un des plus convoqués. L’Œuvre-vie aborde les différentes phases de son action et de sa pensée – des années de formation à Turin jusqu’à sa mort à Rome, en passant par ses activités de militant communiste et ses années d’incarcération – en restituant leurs liens avec les grands événements de son temps : la révolution russe, les prises de position de l’Internationale communiste, la montée au pouvoir du fascisme en Italie, la situation européenne et mondiale de l’entre- deux-guerres. Grâce aux apports de la recherche italienne la plus actuelle, cette démarche historique s’ancre dans une lecture précise des textes – pour partie inédits en France –, qui permet de saisir le sens profond de ses écrits et toute l’originalité de son approche. Analysant en détail la correspondance, les articles militants, puis les Cahiers de prison du révolutionnaire, cette biographie intellectuelle rend ainsi compte du processus d’élaboration de sa réflexion politique et philosophique, en soulignant les leitmotive et en restituant «le rythme de la pensée en développement». Au fil de l’écriture des Cahiers, Gramsci comprend que la «philosophie de la praxis» a besoin d’outils conceptuels nouveaux, et les invente : «hégémonie», «guerre de position», «révolution passive», «subalternes», etc. Autant de concepts qui demeurent utiles pour penser notre propre «monde grand et terrible ».

FR: Il est difficile de dégager une problématique sur la modernité et l'antimodernisme dans la pensée de Gramsci. Néanmoins, plusieurs éléments épars dans ses écrits, qu'il s'agisse de "Je hais les indifférents" ou ses fameux "Cahiers de prison" en passant pour son admiration pour Charles Péguy, socialiste antimoderne, peuvent alimenter le. Cet article tente de regrouper la critique que Gramsci put formuler occasionnellement à ce que justement Péguy appellerait "le grand cadavre mort du monde moderne", et le lecteur avertis ne sera guère surpris d'y retrouver un paradigme semblable. La vision comptable du temps dénoncée dans "Je hais le nouvel an", l'instinct troglodyte qui s'épanouit dans la modernité ou encore son fameux quolibet au sujet des "gorilles apprivoisés" du taylorisme, ajoutés au contexte de l'époque qui vit l'émergence de mouvements politiques et artistiques radicalement modernes comme le futurisme et, naturellement, le fascisme, nous a poussé à nous interroger sur l'idée que Gramsci fut possiblement antimoderne. Mots-clefs : Gramsci, Péguy, modernité, antimoderne, Italie, marxisme, taylorisme IT : È difficile identificare un problema di modernità e anti-modernismo nel pensiero di Gramsci. Tuttavia, diversi elementi sparsi nei suoi scritti, che si tratti di "Odio gli indifferenti" o dei suoi famosi "quaderni di prigione" che passano per la sua ammirazione per Charles Péguy, socialista anti-moderno, possono alimentare il dibattito. Questo articolo tenta di mettere insieme le critiche che Gramsci potrebbe occasionalmente formulare quello che Péguy chiamerebbe giustamente "il grande cadavere morto del mondo moderno", e il lettore informato non sarà sorpreso di trovare un paradigma simile. La visione contabile del tempo denunciata in "Odio il capodanno", l'istinto trogloditico che fiorisce nella modernità o il suo famoso frizzo sui "gorilla ammaestrati", aggiunti al contesto dell'epoca che ha vissuto l'apparizione di movimenti politici e artistici radicalmente moderni come il futurismo e, naturalmente, il fascismo, ci ha spinto a considerare l'idea che Gramsci fosse probabilmente anti-moderno. Parole chiave: Gramsci, Péguy, modernità, antimoderno, Italia, Marxismo, taylorismo

Antonio Gramsci est l’auteur italien le plus prisé de la pensée critique. Ses concepts, désormais appliqués à toutes sortes d’époques et de continent, peuvent nous aider à comprendre les soubresauts politiques de son pays natal, piégé dans un «équilibre catastrophique des forces».

Cet article propose une étude synthétique des usages de la pensée de Gramsci (en premier lieu les notions d’hégémonie et d’État intégral) par Althusser et par des philosophes et théoriciens de l’État fortement influencés par lui (Étienne Balibar, Nicos Poulantzas, Christine Buci-Glucksmann, Perry Anderson) dans la deuxième moitié des années 1970 (période de l’eurocommunisme). Il s’agit ici de restituer le dialogue entre ces différentes pensées où la place de Gramsci est déterminante, et d’examiner comment elles s’inscrivent d’une manière complexe dans les débats de cette période, qui portent notamment sur les rapports entre socialisme et démocratie.