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Israël en guerre - Jour 59

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Le Dr. Micah Goodman, philosophe israélien, sur les terres de la Midrasha Ein Prat. (Crédit : Capture d'écran YouTube)
Le Dr. Micah Goodman, philosophe israélien, sur les terres de la Midrasha Ein Prat. (Crédit : Capture d'écran YouTube)

Ce qui compte pour le philosophe Micah Goodman : Stopper « l’Intifada interne »

La « mauvaise décision » de Netanyahu, les conséquences involontaires du refus des réservistes et la manière de comprendre le conflit judiciaire à travers trois différents prismes

Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »

Bienvenue à « What Matters Now » [Ce qui compte maintenant], un podcast hebdomadaire qui examine un sujet déterminant façonnant Israël et le monde juif – aujourd’hui.

Cette semaine, la Knesset a adopté la première mesure de son paquet de réformes radicales, malgré près de 30 semaines de manifestations de masse dans les rues d’Israël. Six mois après avoir entendu le point de vue du philosophe Micah Goodman dans notre premier épisode de « What Matters Now« , j’y suis retournée pour en savoir un peu plus.

« Deux instincts constitutionnels ont été libérés et s’affrontent : les Israéliens qui veulent avoir le pouvoir – par le biais du gouvernement – contre les Israéliens qui veulent être protégés du gouvernement. Je pense que c’est ce qui se passe dans les rues de Jérusalem, de Tel Aviv et de tout Israël au moment où nous parlons », a déclaré Goodman, l’auteur des best-sellers Catch-67 : The Left, the Right, and the Legacy of the Six-Day War, ainsi que de The Wondering Jew: Israel and the Search for Jewish Identity. En juin, son livre The Last Words of Moses a été publié en anglais.

Au cours des six derniers mois, Goodman a effectué un « devoir de réserve » unique : il s’est entretenu avec des personnes de tous les bords du conflit sur la refonte du système judiciaire, qu’il s’agisse d’équipes de politiciens lors des négociations à la résidence présidentielle – à la demande du président Isaac Herzog – ou d’escadrons de pilotes qui sont sur le point de refuser de servir, une fois de plus – à la demande de Tsahal.

Conformément au jeûne de Tisha BeAv qui a eu lieu cette semaine, il s’agit d’une conversation approfondie et assez sobre. Mais, comme vous l’entendrez, Goodman est, comme toujours, un optimiste convaincu.

« Je pense que les cyniques détermineront ce qui se passera demain et la semaine prochaine, mais je pense que ce sont les optimistes qui détermineront ce qui se passera l’année prochaine et dans deux ans », a-t-il déclaré.

Cette semaine, nous avons donc demandé au philosophe Micah Goodman : « Qu’est-ce qui compte maintenant ? »

Notre entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.

Le Times of Israel : Micah, merci beaucoup de m’avoir rejoint aujourd’hui.

Micah Goodman : C’est un plaisir d’être ici, Amanda.

En cette semaine très mouvementée, lors de laquelle la Knesset a adopté la première loi de refonte judiciaire et où des dizaines de milliers de soldats refusent de servir – ou du moins déclarent qu’ils refusent de servir – je vous le demande donc : Qu’est-ce qui compte maintenant ?

Éviter qu’Israël ne sombre dans la guerre civile et le chaos.

La guerre civile est souvent ou principalement liée, bien sûr, à la prise d’armes. Je sais que vous avez parlé à des soldats qui sont sur le point de refuser de servir. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette initiative ? Qu’avez-vous fait ?

Depuis le début, ma position est la suivante : je suis contre la refonte judiciaire, si elle se fait sans une large majorité et un large consentement. Dans le même temps, je suis contre l’utilisation de l’armée comme une arme ou un outil pour obtenir des gains politiques. Je pense d’ailleurs que c’est la position de la plupart des Israéliens.

La majorité des Israéliens sont opposés à cette refonte tant qu’elle n’est pas portée par une large majorité, et la majorité des Israéliens pense que nous devrions laisser l’armée en dehors de ce débat. Aujourd’hui, cette position de la majorité des Israéliens ne se matérialise pas et ne devient pas une réalité parce que, contre la volonté de la plupart des Israéliens, la première étape de la refonte a été franchie. Et contre la volonté de la majorité des Israéliens, les pilotes, les soldats et les réservistes ont déclaré que si la refonte était adoptée, ils ne se présenteraient plus. Ainsi, à l’heure actuelle, la majorité des Israéliens n’a qu’une minorité du pouvoir, du moins sur ces questions.

Les pilotes de l’armée de l’air israélienne se dirigeant vers leur avion lors de l’exercice international « Blue Flag » sur la base aérienne d’Ovda dans le sud d’Israël, le 24 octobre 2021. (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

Vous êtes allé à la rencontre de pilotes – et d’autres soldats. Avant tout, que vous disent-ils ?

Ils expriment énormément de douleur, énormément d’anxiété, une énorme angoisse. Ils craignent vraiment que ce qui s’est passé cette semaine ne soit que la première étape d’une pente glissante et que, de l’autre côté, Israël ne dispose plus d’un système judiciaire autonome et indépendant, et ne soit plus une démocratie libérale. Et ce n’est pas l’Israël pour lequel ils sont prêts à se battre. Et c’est là que réside l’anxiété. C’est à ce niveau d’angoisse, de rage, que je me heurte en parlant à ces pilotes, à ces soldats, à ces – je dois le dire – héros israéliens – qui, je pense, commettent une grosse, grosse erreur – et j’ai toujours énormément de respect pour eux.

Pensez-vous qu’ils commettent une grave erreur en militarisant leur position dans l’armée ?

Oui, je pense que l’une des plus grandes réussites de ce mouvement de protestation est qu’il a réussi à être contre le gouvernement et pour le pays. Il est très patriotique, très passionné contre ce gouvernement extrémiste et radical, et en même temps il exprime passionnément son amour pour notre nation.

Cette action par laquelle ils disent « eh bien, nous ne nous présentons pas à notre service, nous ne nous présentons pas à l’armée de l’air, nous ne nous présentons pas à la réserve ». Cette action pourrait être interprétée par de nombreux Israéliens comme un acte par lequel ils ne s’opposent plus seulement au gouvernement, mais aussi à Israël. Ce n’est pas leur discours. Ce n’est pas leur intention. Ils ont de bonnes intentions. Ils le vivent comme un acte de patriotisme et se battent pour leur pays.

Mais l’une de ses plus grandes réussites est qu’il a permis à environ 50 % des électeurs du Likud de sympathiser avec le mouvement de protestation. Et je crains que cette réussite massive de la protestation ne soit engloutie par ce mouvement très radical.

Il est certain que l’une des principales forces des manifestations contre la refonte judiciaire est constituée par le groupe Frères d’armes, ces réservistes qui refusent d’accomplir leur devoir. Ce que vous dites sur le patriotisme des manifestants est fascinant. Bien sûr, ils ont adopté le drapeau (national), et à chaque manifestation on entend l’hymne national « Hatikva ». Mais ce recours aux réservistes crée un précédent, n’est-ce pas ?

Tout à fait. Quand je dis aux réservistes et aux pilotes, qui sont d’ailleurs des gens extraordinaires – je les salue et je les admire. Mais je pense qu’ils commettent une erreur qui aura des conséquences déroutantes. L’une des conséquences involontaires serait la suivante : cela n’a jamais été fait auparavant.

Nous avons vu des grèves en Israël. Les enseignants ont fait grève, les syndicats ont fait grève, les pilotes civils ont fait grève. Mais les militaires n’ont jamais fait grève. Cela ne s’est jamais produit. C’est donc sans précédent. Je veux dire, regardez autour de vous. Regardez le [groupe terroriste chiite libanais du] Hezbollah. Regardez le [groupe terroriste palestinien du] Hamas. Regardez l’Iran. Ce n’est pas quelque chose que les Israéliens font.

« Israël aura désormais quatre pouvoirs, et non plus trois : le gouvernement, la Knesset, la Cour suprême et l’armée »

Mais une fois que cela aura été fait, il y aura un précédent. Il sera très intéressant de reproduire ce précédent à l’avenir parce que cette action, cette action très extrême, est en train de se normaliser en Israël. Les grands médias sympathisent avec cette mesure. Trois anciens chefs d’état-major l’approuvent. Cette mesure radicale est donc vécue comme quelque chose de très peu extrême, de très normal et de légitimé, et elle est également très efficace. Et cette combinaison, Amanda, d’une mesure vécue comme légitime et efficace, je pense qu’elle changera Israël pour les années à venir.

Je vais vous donner un exemple. Disons que dans deux ou trois ans, si Dieu le veut, nous aurons un gouvernement d’unité nationale avec le Likud, [le chef du parti Kahol Lavan Benny] Gantz, [le chef de Yesh Atid Yaïr] Lapid, et [le chef du parti Yisrael Beytenu Avigdor] Liberman – un gouvernement d’unité nationale, voila ce qu’il nous faut. Et ce gouvernement décidera que nous devons prendre des mesures concrètes pour réduire le conflit avec les Palestiniens. Et cela signifie créer, sans paix sur le terrain, une contiguïté territoriale pour les Palestiniens. Et pour cela, nous devrions déraciner des résidents d’implantations de 20 avant-postes illégaux en Cisjordanie, voire 35.

Quelles sont les chances que les soldats religieux de droite disent « nous refusons de faire cela, nous nous mettons nous-mêmes en grève » ? Quelles sont les chances qu’ils le fassent ? Je pense que la meilleure question est de savoir quelles sont les chances qu’ils ne le fassent pas. Parce qu’il y a maintenant un précédent, légitime et efficace, et cela signifierait que nous ne pourrons pas créer de contiguïté territoriale pour les Palestiniens, ce qui signifie que nous ne pourrons pas réduire le degré de contrôle, le degré d’occupation dont souffrent les Palestiniens.

Et ne serait-ce pas bizarre, Amanda, que dans cinq ans, les gens se demandent : « Pourquoi rien ne change à Yehuda et Shomron ?  » – ou en Cisjordanie si vous préférez. Choisissez votre terminologie. « Pourquoi rien ne change là-bas ? »

Et la raison sera : « Ô, à cause de la grève des pilotes en 2023. »

Le groupe de protestation Frères et sœurs en armes accrochant une banderole sous une statue de Theordor Herzl avec l’inscription « Ce n’est pas ce que je voulais dire », le 18 juillet 2023. (Crédit : Tali Melamed)

C’est la loi des conséquences involontaires. Une fois que l’armée a le pouvoir d’opposer son veto aux décisions du gouvernement – et ce n’est pas l’armée officiellement, ce sont juste des groupes importants au sein de l’armée – une fois qu’elle a ce pouvoir, je pense qu’il est juste de dire que les gouvernements israéliens ne pourront pas prendre de décisions controversées parce que chaque camp y opposera son veto en utilisant ses réserves et l’armée, son personnel militaire.

Et comme les grandes décisions sont presque toujours controversées par définition, je pense que cela signifiera probablement que les gouvernements israéliens ne pourront plus prendre de grandes décisions. Israël est en train de devenir un pays qui ne pourra plus faire de grandes choses. C’est la loi des conséquences involontaires. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer à ces patriotes israéliens. Et parce qu’en essayant d’empêcher un changement de régime, ils créent involontairement un changement de régime.

C’est comme si Israël avait désormais quatre branches de pouvoir, et non plus trois : le gouvernement, la Knesset, la Cour suprême et l’armée. Et chaque décision doit passer par le gouvernement, être légiférée par la Knesset, et ne pas être invalidée par la Cour suprême. Et à partir de maintenant, elle ne devra pas non plus être annulée par différents groupes au sein de l’armée.

Je dis donc à ces pilotes « Écoutez, vous essayez d’empêcher un changement de régime et vous créez involontairement un changement de régime. Ce n’est peut-être pas une bonne idée, du moins pour l’instant. »

Cela étant dit, toutes mes tentatives d’explication ont échoué, j’ai échoué, nous avons tous échoué. C’est arrivé, et maintenant nous devons d’une manière ou d’une autre atténuer les répercussions de ce qui s’est passé cette semaine.

Parlons de comment nous en sommes arrivés là. Il est évident que nous parlions des élites de l’armée, mais de nombreux partisans de la refonte judiciaire considèrent les opposants à cette dernière comme des élitistes, comme des personnes déconnectées de la réalité, en décalage avec le commun des mortels. Comment en est-on arrivé là ?

« Israël est divisé en deux camps. Chaque camp a un instinct constitutionnel différent »

Je pense que nous vivons un moment historique extraordinaire en Israël. Et d’ailleurs, cela pourrait avoir de grandes conséquences en fin de compte – j’essaierai de l’expliquer plus tard. Je pense que certains espèrent qu’Israël s’effondre maintenant, que nos ennemis attendent que nous nous détruisions vraiment les uns les autres au lieu d’eux, et que nous soyons suffisamment faibles pour qu’ils puissent nous attaquer. D’ailleurs, Amanda, si j’avais de l’argent, j’investirais dans le shekel ces jours-ci et j’investirais dans le marché boursier de Tel Aviv parce qu’Israël va rebondir. Je vais essayer d’expliquer pourquoi, mais ça va être long.

Les grands textes sacrés – selon la tradition juive – ont des niveaux. Il y a le peshat [l’outil] – c’est la couche la plus évidente du texte. Puis, il y a des couches plus profondes, comme le drash [la requête], et la couche la plus profonde, le sod [le secret]. Je pense donc que tout comme les grands textes ont des couches, les grands événements ont aussi des couches. Et je pense qu’il sera intéressant pour nous d’essayer d’éplucher ces couches. Je pense que ces événements ont trois niveaux.

La première couche est la suivante : Israël est divisé en deux camps. Chaque camp a un instinct constitutionnel différent. Je veux essayer d’écouter la droite avec sympathie, d’accord ? Puis nous écouterons la gauche avec sympathie et empathie. Mais je tiens à souligner que ce n’est pas la droite contre la gauche, car dans le camp anti-refonte, il n’y a pas que des partisans de la gauche, il y a des gens de gauche, des centristes, des gens de droite. C’est un camp très diversifié. Mais les partisans de la refonte ne représentent que la droite.

Une photo aérienne du rassemblement pour la réforme du système judiciaire, à Jérusalem, le 27 avril 2023. (Crédit : Flash90)

Chacun de ces camps a donc un instinct constitutionnel différent. Et l’instinct de la droite est le suivant : lorsque le pouvoir politique se déplace, se relocalise et passe de la branche politique du gouvernement à des branches du gouvernement qui ne sont pas politiques dans le sens où elles ne sont pas élues. Il s’agit donc d’un processus qu’Israël connaît depuis le début des années 1980. Il ne s’agit pas seulement d’une initiative d’Aharon Barak [ancien président de la Cour suprême] dans les années 90. C’est un processus qui a commencé au début des années 1980, et je pense que nous en avons un peu discuté lors de notre dernière rencontre, il y a six mois je crois.

C’est exact, c’était bien il y a six mois.

Il y a six mois. Et comment le pouvoir est passé de la branche politique du gouvernement à une branche non-élue du gouvernement. Pour de nombreux Israéliens, c’est ainsi qu’ils ont vécu ce changement de pouvoir. Ils se sont réveillés et ont réalisé que lorsqu’une grande partie du pouvoir se trouve dans des branches non-élues du gouvernement, comme la Cour suprême, ils vivent cela comme un problème, car lorsqu’une branche non-élue du gouvernement a beaucoup d’influence sur ma vie, c’est un problème parce que « je n’ai pas d’influence sur cette institution ». Et lorsque qu’un citoyen ne peut pas influencer l’institution qui peut influencer sa vie, il se sent désarmé.

D’un autre côté, lorsque les hommes politiques ont beaucoup de pouvoir et qu’ils influencent notre vie, on se sent plus fort parce qu’on peut influencer les hommes politiques. Parce que nous sommes une démocratie, nous pouvons les renvoyer, nous pouvons les embaucher. Le moment de licencier et d’embaucher nos patrons, nos politiciens, est le jour des élections. Ainsi, lorsque les hommes politiques ont le pouvoir entre leurs mains, l’institution qui influence notre vie est une institution que nous pouvons influencer. Par conséquent, nous avons l’impression d’avoir un certain contrôle sur notre vie.

Par conséquent, le transfert du pouvoir de la branche politique du gouvernement à la branche non-élue du gouvernement est vécu comme un sentiment de déresponsabilisation. Le pouvoir se trouve maintenant là où nous n’avons aucune influence.

Quel est l’objet de cette refonte ? Nous voulons que le pouvoir revienne du système judiciaire à la branche politique du gouvernement. Nous voulons que le pouvoir se trouve là où nous pouvons l’influencer. En d’autres termes, nous voulons être maîtres de nos vies. Nous voulons être responsabilisés par le pouvoir du gouvernement.

C’est ce qui explique l’importance accordée à la commission de sélection des juges, ce qui explique en fait chaque part du gâteau.

Chaque part de ce gâteau concerne les Israéliens qui veulent reprendre le pouvoir, et de l’autre côté, qui s’oppose passionnément à cette refonte judiciaire. Il y a un instinct constitutionnel différent, et il est très particulier à Israël.

Israël souffre d’un déficit démocratique intrinsèque. Israël souffre d’un déficit d’équilibre des pouvoirs, pour de nombreuses raisons. Je pense que nous les avons évoquées la dernière fois. Israël a été créé très, très rapidement, et nous n’avons pas beaucoup réfléchi à la question, et nous n’avons pas créé un système solide et intense de freins et de contrepoids. Par conséquent, nous n’avons pas de système de contrôle et d’équilibre vertical.

La présidente de la Cour suprême, la juge Esther Hayut, présidant une audience sur la décision de la commission centrale électorale de disqualifier le parti Balad pour les prochaines élections législatives, à la Knesset, le 6 octobre 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Par exemple, il n’y a pas d’institution plus grande qu’Israël qui puisse annuler les décisions du gouvernement israélien, comme l’Union européenne. Et nous n’avons pas d’institutions autonomes plus petites que les gouvernements israéliens, comme le Texas, qui dispose d’une autonomie, et la Maison Blanche ne peut pas contrôler complètement ce qui se passe au Texas parce que le Texas a un gouverneur et sa propre législature.

En Israël, nous n’avons pas d’organes politiques autonomes plus petits que le gouvernement, ni d’organes politiques plus grands que le gouvernement. Il n’y a donc pas de contrôle et d’équilibre verticaux.

Nous parlons à présent de contrôles et de contrepoids horizontaux. Ils n’existent pratiquement pas en Israël, car je suis sûr que nos auditeurs savent que la Knesset, notre Parlement, n’est pas un frein, qu’elle ne bloque pas le pouvoir du gouvernement. C’est en quelque sorte le prolongement du gouvernement, car tout gouvernement, par définition, dispose automatiquement d’une majorité à la Knesset, car il n’existerait pas s’il ne disposait pas d’une majorité à la Knesset. Et la Knesset elle-même, il n’y a rien pour l’équilibrer. Nous n’avons pas de Chambre des Lords ni de Sénat.

Le seul organe, la seule branche du gouvernement qui puisse bloquer le pouvoir de notre gouvernement est donc la Cour suprême. Et si cette refonte ou ce remaniement judiciaire était adopté, il n’y aurait plus rien pour protéger les Israéliens du pouvoir d’un gouvernement qui déciderait d’utiliser son pouvoir contre ses citoyens, contre les minorités, contre les individus. Il n’y aurait rien pour les arrêter, à part la bonne volonté des membres du gouvernement.

« Le seul organe, la seule branche du gouvernement qui pourrait bloquer le pouvoir de notre gouvernement est la Cour suprême »

Je pense qu’il est très important de le souligner. Pensons aux fondateurs de notre nation qui se connaissaient tous très bien, se sont battus les uns aux côtés des autres, peut-être aussi les uns avec les autres, mais ils se faisaient confiance pour la plupart, et cela semble être le vrai problème.

Si vous voulez comprendre la crise de panique collective en Israël, c’est le double problème, n’est-ce pas ? Un problème en matière de contrôle et d’équilibre, puis un problème en matière de confiance qui crée la crise de panique. Pourquoi ? Parce qu’une fois que cette réforme a été adoptée et que la Cour suprême ne peut plus me protéger du pouvoir du gouvernement, il ne me reste plus qu’à faire confiance aux personnes qui siègent au gouvernement.

Regardons de plus près, je vois qui est assis au gouvernement et qui vois-je ? Itamar Ben Gvir [le ministre de la Sécurité nationale], Bezalel Smotrich [le ministre des Finances]. Et cette combinaison, Amanda, où il n’y a aucune institution pour me protéger en dehors de ces ministres, me crée une crise de panique.

Et ils sont dans les rues en train de se battre – et d’ailleurs, je les soutiens dans leur lutte contre cette refonte judiciaire. Voici ce qui se passe, et c’est très important : je veux éprouver de l’empathie pendant une minute avec les deux camps, parce que les gens de droite, leur instinct constitutionnel est qu’ils veulent être responsabilisés par le gouvernement. Les opposants à la refonte veulent être protégés du gouvernement, du pouvoir du gouvernement. Je pense que c’est ainsi. Je pense que c’est le peshat. C’est la première couche.

Deux instincts constitutionnels ont été libérés et s’affrontent. Les Israéliens qui veulent avoir le pouvoir par le biais du gouvernement contre les Israéliens qui veulent être protégés du gouvernement. Je pense que c’est ce qui se passe dans les rues de Jérusalem, de Tel Aviv et de tout Israël pendant que nous parlons. C’est le peshat. C’est le choc constitutionnel qui se produit en Israël.

Des milliers d’Israéliens manifestant contre les plans du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu visant à réformer le système judiciaire, à Jérusalem, le 22 juillet 2023. (Crédit : Ohad Zwigenberg/AP Photo)

Mais je pense qu’il y a une couche plus profonde ici. Il y a une couche plus profonde parce que j’ai eu des conversations avec des Israéliens des deux bords au cours des six derniers mois. Et si nous commençons par les Israéliens de droite, voici à quoi ressemble une conversation. Dans les premières minutes, ils parleront des excès de la Cour suprême, de son caractère trop activiste, du fait qu’elle annule les décisions du gouvernement et de la Knesset et qu’elle retire le pouvoir des mains du peuple. Tout ce jargon constitutionnel. Mais il faudra attendre trois ou quatre minutes pour que la rhétorique cesse et que l’on passe aux choses sérieuses.

Ils mentionneront le désengagement de Gaza en 2005, le jour de Tisha BeAv. Puis quelqu’un mentionnera Oslo. Et puis beaucoup évoqueront les maabarot [camps de tentes] des années 1950, lorsque les Juifs d’Afrique du Nord sont venus en Israël, lorsque les Juifs séfarades sont venus en Israël, et leur expérience, leur récit, qui n’est pas déconnecté de la réalité. Ils étaient traités comme des citoyens de seconde zone, jetés dans des camps de réfugiés, vivant dans des tentes dans des maabarot, et tout à coup, ça recommence. Et certains parleront de l’Altalena. L’Altalena, lorsque Begin a acheté des armes à la France pour Israël, au milieu de la Guerre d’Indépendance. C’est une histoire très, très compliquée, mais la fin de l’histoire est que David Ben Gurion a donné l’ordre d’arrêter ce bateau à tout prix, y compris en tirant sur le bateau, et le bateau a été coulé, et 16 personnes du camp de Begin sont mortes. Soudain, l’Altalena est de retour.

On se gratte alors la tête et on se demande pourquoi on ramène l’Altalena à la vie. Et les maabarot des années 50 ? Pourquoi toutes nos cicatrices se rouvrent-elles maintenant ? Et je me suis rendu compte que c’est ce qui se passe actuellement : l’accumulation de frustrations. Des frustrations accumulées pendant 75 ans se libèrent maintenant, à l’heure où nous parlons. Et c’est, je dirais, ce qui est en train de se passer.

Par exemple, on raconte que pendant que les gens de droite luttaient contre le désengagement en 2005, des adolescentes de 14 ans manifestaient. Je crois qu’elles essayaient de bloquer des routes. Cela vous rappelle quelque chose ?

Tout à fait.

Et elles ont été jetées en prison pendant des semaines. Et comme l’a dit un de mes amis, un journaliste israélien, Amit Segal : « Lorsque des filles de 14 ans étaient en prison, nous avons appelé Bagatz, la Haute Cour. Nous avons appelé Bagatz sur nos téléphones. Personne ne répondait. Il n’y avait personne à la maison. » Cela traduit le sentiment de la droite selon lequel, pendant 75 ans : « Nous avons été maltraités. »

À gauche, il se passe autre chose. Et encore une fois, ce n’est pas la gauche. C’est la gauche, le centre et la droite, et d’autres personnes qui s’opposent à la refonte judiciaire. Et là, c’est une autre histoire. Cela ressemble à ceci : nous nous penchons sur l’avenir d’Israël, et si la démographie influence notre destin, à quoi ressemblera la démographie d’Israël en 2040 ? Très ultra-orthodoxe, très à droite, très messianique. En 2050, 2060, la communauté laïque libérale sera une très, très faible minorité. Et puis nous regardons ce gouvernement, et nous avons un aperçu de l’avenir sombre qui nous attend, et c’est la panique. Cette crise de panique n’a pas été créée par la refonte judiciaire. Elle a été déclenchée par la refonte judiciaire.

« Nous regardons ce gouvernement, et nous avons un aperçu de l’avenir sombre qui nous attend, et c’est une crise de panique »

La couche la plus profonde est, je pense, la couche émotionnelle. Ce ne sont pas les instincts constitutionnels qui s’affrontent, mais quelque chose de plus profond. À droite, nous avons la frustration. À gauche, nous avons l’anxiété. 2023 a été l’année où la frustration de la droite a commencé à se heurter à l’anxiété accumulée par la gauche.

Mais c’est plus que cela et plus profond, car la frustration de la droite, d’où vient-elle ? Elle s’est accumulée depuis 1948. C’est une frustration qui s’accumule depuis 75 ans. C’est une frustration issue de notre passé. L’anxiété de l’autre camp n’est pas une anxiété qui résulte de notre passé. Elle est dirigée vers notre avenir.

C’est quand l’anxiété se heurte à la frustration, et quand l’avenir se heurte au passé. Je pense que ce sont là les véritables matériaux émotionnels bruts qui se libèrent lors de nos discussions dans les rues d’Israël. Mais je pense qu’il y a aussi une couche plus profonde, si nous creusons encore un peu.

Des résidents d’implantations de l’implantation de Kfar Maimon protestant contre le plan de désengagement, à Gaza, le 22 juillet 2005. (Crédit : Flash90)

Nous regardons les sondages et nous regardons les sondages sérieux, comme ceux réalisés par un nouveau groupe de réflexion très impressionnant en Israël appelé Tachlit.

Et quand on regarde les sondages, on voit quelque chose de très surprenant. La plupart des Israéliens sont d’accord entre eux. C’est choquant, non ? Alors que nous nous détestons plus que jamais, simplement pour des raisons politiques, il existe encore une quantité suffisante d’opinions favorables. C’est donc le paradoxe de ce moment : les Israéliens se détestent, émotionnellement parlant, et sont d’accord les uns avec les autres, politiquement parlant.

Et c’est ce que montrent les sondages, alors que je viens de vous donner une image binaire d’Israël, n’est-ce pas ? Les gens qui sont pour la refonte, les gens qui sont contre, les gens qui ressentent une frustration du passé accumulée, les gens qui sont inquiets pour l’avenir. Et d’ailleurs, nous pourrions ajouter d’autres stéréotypes à cette description binaire d’Israël. Nous pourrions dire que les gens qui sont pour la refonte sont aussi pour Bibi, que les gens qui sont contre détestent aussi Bibi, que les gens qui sont pour la refonte sont aussi conservateurs. Ceux qui sont contre sont libéraux. Ceux qui sont pour Jérusalem, ceux qui sont contre Tel Aviv. Les gens qui sont pour sont religieux, les gens qui sont contre sont laïcs – et tous nos stéréotypes d’Israël pourraient être déversés dans ce pêle-mêle binaire très net d’Israël.

Nous avons donc cet Israël qui est un pêle-mêle binaire très net. Premier Israël contre Second Israël. Israël ashkénaze contre Israël séfarade. Tous ces stéréotypes se retrouvent dans cette tentative d’organiser Israël à l’aide de cette dichotomie. Mais nous regardons les sondages et nous nous rendons compte qu’il s’agit d’une fausse dichotomie. En effet, selon les sondages, nous ne sommes pas divisés en deux parties. Nous sommes en fait divisés en trois parties.

« D’après les sondages, nous ne sommes pas divisés en deux parties. Nous sommes en fait divisés en trois parties »

Voici à quoi cela ressemble : essayez d’imaginer qu’il y a un petit groupe à gauche. Leur position est la suivante : pas une once, pas un changement, pas de réforme, quoi qu’il arrive. Nous ne changerons pas le statu quo constitutionnel d’Israël. Nous sommes des conservateurs. C’est la gauche. Nous voulons conserver le statu quo. À droite, et ce n’est pas un petit groupe, mais ce n’est pas un très grand groupe, c’est un groupe qui dit que nous voulons une refonte radicale et que nous la voulons maintenant. Et nous pensons avoir la légitimité pour le faire avec la majorité que nous avons reçue lors des dernières élections, avec la majorité accidentelle que nous avons eue. Donc, à gauche, pas de refonte ; au centre, à l’extrême-droite, une refonte radicale maintenant avec une majorité régulière.

Mais au centre, vous avez un groupe de 60 à 70 % des Israéliens. Voici ce qu’ils disent : « Nous voulons une refonte, nous devons réparer le système judiciaire, mais pas cette refonte ». Le remaniement dont nous avons besoin doit avoir deux composantes, si j’interprète correctement les sondages. Premièrement, il doit s’agir d’une réforme équilibrée. Qu’est-ce qu’une réforme équilibrée ? Nous n’adhérons pas à cette idée binaire. Nous ne disons pas que soit le gouvernement me donne des pouvoirs, soit il me protège. Nous voulons les deux. Nous voulons que nos hommes politiques aient du pouvoir. Les décisions en matière de politique publique devraient être prises par le public et la Cour suprême ne devrait pas les annuler.

En même temps, nous devons être protégés et avoir la garantie que le gouvernement ne peut pas utiliser ce pouvoir contre nous, contre les minorités, contre les individus, contre la population. Et cela est réalisable en dehors des débats politiques passionnés. Les universitaires – c’est quelque chose qui est largement connu à droite et à gauche – les constitutionnalistes d’Israël ont réussi, dans différents contextes, à trouver un compromis équilibré. Ce compromis existe. Nous savons tous de quoi il s’agit, et nous voulons qu’il soit équilibré et non radical. C’est la première chose.

Deuxièmement, et c’est plus important, tout changement dans le système judiciaire doit se faire à une large majorité. Qu’est-ce qu’une large majorité ? Une majorité plus large que celle qu’un gouvernement a obtenue lors des élections législatives. Voilà donc le consensus israélien invisible. Une minorité souhaite une refonte radicale. Il y a une minorité qui ne veut pas de refonte. Et la plupart des Israéliens veulent une réforme équilibrée qui soit adoptée à une large majorité. C’est nous. C’est 60 à 70 % des Israéliens.

Oded Megiddo manifestant contre la refonte judiciaire, à Jérusalem, le 24 juillet 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/Times of Israel)

D’ailleurs, il y a quelque chose de très intéressant. Vous savez comment les expressions « à droite » et « à gauche » ont été créées à l’époque de la Révolution française et de l’Assemblée nationale ? Les gens assis « à droite » étaient pour le statu quo et contre le changement. Ceux qui étaient assis « à gauche » étaient pour le changement. Qu’est-ce que le « radical » ? Le mot « radical » vient du latin radix qui signifie « racine ». Le changement radical consiste donc à changer quelque chose à partir de sa racine. Il est donc très intéressant de constater qu’en Israël, la gauche est pour le statu quo et la droite pour le changement radical.

On peut donc se demander ce qui se passe lorsque les gens de droite commencent à penser comme des gens de gauche et que les gens de gauche pensent comme des gens de droite. Que se passe-t-il ? Eh bien, ce qui se passe, c’est l’Israël d’aujourd’hui : bienvenue en Israël.

Mais la plupart des Israéliens, environ 60 % d’entre eux, veulent un changement, pas un changement radical, un changement équilibré et un changement qui sera adopté par une véritable majorité. Tel est le consensus israélien.

Ainsi, si nous essayons de dresser la carte de ces trois couches de ce qui se passe réellement en Israël, nous voyons deux instincts constitutionnels s’opposer. Nous voyons deux séries d’émotions s’affronter : la frustration et l’anxiété, le passé et l’avenir. Et puis, en dessous, nous nous rendons compte que la plupart d’entre nous sont d’accord, donc nous nous détestons en même temps que nous sommes d’accord les uns avec les autres. Et nous ne sommes pas conscients de ce paradoxe. Cela signifie, Amanda, que si Israël entre en guerre civile, ce sera la guerre civile la plus bizarre de l’histoire des guerres civiles. Il s’agira d’une guerre civile entre des civils qui sont d’accord entre eux. C’est bizarre, non ?

Voici d’ailleurs comment l’une de mes amies, ma collègue, Efrat Shapira Rosenberg, avec qui je partage le podcast Mifleget HaMachshavot, voici comment elle le dit : « Émotionnellement, nous sommes divisés en deux. Intellectuellement, nous sommes divisés en trois, n’est-ce pas ? Notre division émotionnelle, c’est la frustration contre l’anxiété. Ce sont deux camps israéliens. Mais intellectuellement, en ce qui concerne nos opinions sur les politiques, nous sommes divisés en trois. Et au milieu, il y a la plus grande partie d’Israël. »

« Allons-nous nous haïr et nous battre les uns contre les autres ou allons-nous puiser dans le large consensus israélien invisible et commencer à combler le fossé ? »

Voici donc la grande question : d’où viendra la synergie ? De l’illusion que nous sommes divisés en deux ou de la réalité que nous sommes divisés en trois ? De ces émotions binaires ou de notre opinion ? Et là, il y a en fait une quantité considérable de points d’accord. Et c’est la question la plus importante qui définira l’avenir d’Israël. Serons-nous divisés en deux ou en trois ? Allons-nous nous haïr et nous battre les uns contre les autres ou allons-nous puiser dans le large consensus israélien invisible pour commencer à combler le fossé, à réorganiser le système judiciaire et à résoudre d’autres problèmes en Israël ?

Micah, ne pensez-vous pas qu’il y a « une personne » dont vous ne parlez pas ici, peut-être autant qu’il le mérite : le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui pourrait sans doute arrêter les roues qui sont en mouvement, qui pourrait changer de direction.

Il le pourrait. Malheureusement, cette semaine, Netanyahu a pris une très, très mauvaise décision. Voici mon analyse de la décision de Bibi de soutenir cette première étape de la refonte judiciaire et de ne pas faire de compromis. Il a été confronté au dilemme suivant : si la loi est adoptée, Israël, en tant que pays, court trois risques différents. Un risque économique. Il y a un risque que les investisseurs quittent Israël, il y a un risque que la cote de crédit baisse. Je ne sais pas si ce risque se matérialisera, mais il existe. Le deuxième risque est un risque de sécurité. Que les pilotes ne se présentent pas, que notre armée commence à s’effondrer. Je ne sais pas si ce risque se concrétisera. Mais le risque existe. Le troisième risque est un risque diplomatique avec le président Biden, avec la Maison Blanche, avec le monde, que nous puissions entrer dans une crise diplomatique. Le président Biden a demandé à Bibi de ne pas faire cela, et il l’a fait quand même. En permettant l’adoption de cette mesure, il était donc prêt à accepter un triple risque pour son pays.

Alors pourquoi l’a-t-il laissé passer ? Parce que s’il avait arrêté la législation ou accepté un compromis de l’opposition, son gouvernement aurait été mis sur la sellette.

Je ne sais pas si ce risque se serait matérialisé, et je suppose que son gouvernement y aurait survécu. Mais il a eu peur parce que [le ministre de la Justice] Yariv Levin aurait démissionné. Il est possible que Ben Gvir aurait quitté le gouvernement, que celui-ci se serait effondré et qu’il aurait perdu son mandat.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à droite, s’entretenant avec le ministre de la Défense Yoav Gallant lors d’un vote sur le projet de loi du « caractère raisonnable » à la Knesset, le 24 juillet 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Bibi s’est donc retrouvé face à un dilemme étonnant. Il y aura un risque. La question est de savoir où sera placé le risque. Allez-vous faire peser le risque sur votre pays en adoptant la loi ou allez-vous retirer le risque au pays et le faire peser sur votre gouvernement ? Qu’êtes-vous prêt à risquer, Bibi, votre pays ou votre gouvernement ?

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un vrai dilemme. Je pense que pour les vrais dirigeants, il n’y a pas de dilemme. Il n’y en a absolument aucun. Il n’y a qu’une seule bonne décision. Si vous devez choisir où placer le risque, vous risquez votre gouvernement et non votre pays. La vie de votre carrière politique, et non la vie du sionisme, non la vie de votre pays. Et malheureusement, il a pris la mauvaise décision.

Maintenant que notre pays est en danger sur le plan économique, militaire et diplomatique, j’espère que ces risques ne se concrétiseront pas. J’apprécie profondément Netanyahu. Donc je le dis, malheureusement, je dis qu’il a pris une mauvaise décision. Il a choisi de mettre son pays en danger. Et je pourrais partager avec vous quelque chose que j’ai dit à la radio israélienne ce jour-là : Yoni Netanyahu, le héros israélien, était prêt à risquer sa vie au service de notre pays. On a demandé à son frère de risquer sa vie politique au service de notre pays. À ce moment-là, Bibi a tourné le dos à Yoni. Je crois toujours que Bibi pourrait revenir, Bibi, le frère de Yoni, pourrait revenir et prendre des risques politiques pour sauver notre pays, comme il l’avait fait en 2003, lorsqu’il avait pris des risques politiques pour sauver notre économie, alors qu’il était ministre des Finances. Mais ce n’est pas le Bibi que nous voyons en ce moment. J’espère qu’il réapparaîtra. Je crois qu’il peut réapparaître, mais nous ne pouvons pas compter là-dessus.

Vous et moi avons perdu des frères très jeunes, beaucoup trop jeunes, tout comme Netanyahu. Si quelqu’un vous avait dit cela à propos de votre frère, il est évident que vous auriez agi. Mais je pense que nous sommes en présence d’un Netanyahu qui n’a plus rien à voir avec le Netanyahu pensant et ressentant que nous avons connu par le passé, et qui est au contraire entouré de cette chambre d’écho extrémiste. La question est donc de savoir, dans la réalité actuelle, et non dans ce monde hypothétique et merveilleux qui, je l’espère, se matérialisera à l’avenir – et dont vous nous parlerez dans une seconde – comment nous pouvons contourner le Netanyahu qui a créé la tempête dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Je ne sais donc pas vraiment comment aller de l’avant [sur le court-terme], mais je pense avoir quelques idées sur la façon dont cela fonctionnera dans un an. Tout ce qui se passe maintenant est trop proche, trop douloureux pour être compris. Je n’ai pas assez de recul pour comprendre ce qui se passera demain. Et je pense que les cyniques détermineront ce qui se passera demain et la semaine prochaine. Mais je pense que ce sont les optimistes qui détermineront ce qui se passera l’année prochaine et dans deux ans.

Je ne sais pas combien de temps il reste à ce gouvernement, mais je pense qu’il lui reste encore un an ou deux, mais il va disparaître. Et à quoi ressemblera Israël, non pas au lendemain de ces événements, mais au lendemain de ce gouvernement, qui présente deux caractéristiques. Il s’agit d’un gouvernement très radical et très extrémiste. Et il s’avère que cette combinaison est nocive. Ainsi, lorsque nous réfléchissons à l’avenir et à la manière dont le présent façonne l’avenir, je pense que nous devrions penser non pas à une chose, mais à deux choses. Il y a les événements du présent qui façonnent l’avenir, mais ce sont aussi les souvenirs de ces événements qui façonnent l’avenir.

Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir visitant le mont du Temple le jour de Tisha BeAv, le 27 juillet 2023. (Crédit : Administration du mont du Temple)

Qu’est-ce qui a le plus d’influence sur l’avenir ? Ce qui s’est passé, ou les souvenirs de ce qui se passe maintenant ? Bien souvent, ce sont les souvenirs du présent qui façonnent l’avenir plus que le présent lui-même. Et comment se souviendra-t-on de ce présent ?

Je voudrais donc partager avec vous une théorie que je suis en train de développer. Ce gouvernement, ce gouvernement d’extrême-droite, a été pendant de nombreuses années un fantasme en Israël dans les cercles de droite. Ce fantasme porte un nom en hébreu : « memshelet yamin al-male ». En gros, un gouvernement de droite pure. Ce fantasme a été très utile à la droite, car il constituait une excellente réponse à la question suivante : « Vous êtes au pouvoir depuis 40 ans, pourquoi Israël n’est-il pas le paradis que l’on connaît aujourd’hui ? Pourquoi Israël n’est-il pas le paradis que vous nous aviez promis ? Pourquoi y a-t-il toujours un manque de sécurité, des embouteillages ? Des problèmes de sécurité, des problèmes économiques ?  »

Vous savez quelle est la réponse ? Eh bien, nous, la droite, n’avons jamais vraiment été au pouvoir. Il y a toujours eu un centriste ou un libéral pour neutraliser notre pouvoir, pour nous bloquer, pour nous empêcher de faire ce que nous savons, ce que nous pensons devoir faire. Des gens comme Tzipi Livni, Yaïr Lapid, Benny Gantz et Ehud Barak, il y avait toujours un centriste libéral, un gauchiste. Notre gouvernement était taché, et nous n’avions pas un gouvernement de droite pure. Un jour, nous obtiendrons ce que nous voulons. Un jour, nous aurons une large majorité. Nous n’aurons pas besoin de rejoindre un centriste ou une coalition. Nous aurons un gouvernement de droite pure et vous verrez alors à quoi ressemblera Israël. C’est la voie de l’utopie.

Amanda, savez-vous quel est le meilleur moyen de détruire un fantasme ?

En le transformant en réalité.

Le meilleur moyen de détruire un fantasme est de le mettre en œuvre. Et maintenant, nous vivons le fantasme, nous vivons le rêve. Et beaucoup de gens, ce qui est important, y compris à droite, y compris les sionistes religieux, y compris les électeurs du Likud, non pas de petits groupes, mais de grands groupes, regardent autour d’eux. Et cela ne leur semble pas être une utopie. Il s’agit plutôt d’une dystopie. Ce fantasme est en train d’être détruit à l’heure où nous parlons. Le lendemain de la fin de ce gouvernement, Amanda, l’idée d’un gouvernement d’extrême-droite pure ne sera plus un fantasme. Ce ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

Cela signifie que le statut de cette idée est passé d’un fantasme concernant l’avenir à un très mauvais souvenir du passé que nous ne voulons pas reproduire. Le fait que de nombreuses personnes de droite ne veuillent pas reproduire cette expérience, la destruction de ce fantasme, est très important.

« L’idée d’un gouvernement d’extrême-droite pure ne sera pas un fantasme. Ce sera un mauvais souvenir »

Nous savons maintenant à quoi cela ressemble, car les Israéliens ont déjà vécu quelque chose de similaire. Dans les années 90, nous avons eu des gouvernements de gauche qui ont essayé de mettre en œuvre une idéologie de gauche pure. C’est là que réside le problème de l’idéalisme en général. Lorsque vous tombez amoureux d’une idée, vous devenez aveugle à la réalité. On aime l’idéologie. Elle vous impressionne et vous voulez vraiment qu’elle devienne réalité. Vous n’écoutez donc pas la réalité elle-même. Lorsque Barak s’est rendu à Camp David pour mettre en œuvre l’idéologie de gauche parfaite, la solution à deux États, la fin du conflit, la paix, les services de renseignement ont dit : « Écoutez, n’offrez pas tout à [Yasser] Arafat, le chef de l’Autorité palestinienne, car cela ne se terminera pas bien. »

Alors que différents experts tentaient de représenter la réalité, le Premier ministre écoutait l’idéologie, essayant d’imposer l’idéologie à la réalité. Mais la réalité se rebelle contre l’idéologie. La Seconde Intifada a éclaté. Un millier d’Israéliens ont été assassinés. Et la gauche ne s’en est jamais remise. Elle ne s’en est jamais remise depuis. Vous savez pourquoi ? Parce que les Israéliens portent le traumatisme de la gauche.

Voici ma prédiction, Amanda. Et nous sommes enregistrés, donc je vais devoir assumer ce qui suit.

Je vais la mettre dans une bouteille et l’enterrer dans mon jardin.

Voici ma prédiction : ce que nous vivons actuellement en Israël, ce que la Seconde Intifada a fait à la gauche, ces événements auront les mêmes conséquences sur la droite en créant un traumatisme. Mais permettez-moi d’être plus précis : ces événements mèneront à une coalition avec l’extrême-droite. Cela signifie qu’une fois que tout cela sera dit et fait, Israël – les Israéliens – sortira de deux traumatismes. Un traumatisme lié à l’idéologie de gauche pure, à la tentative de mise en œuvre d’une idéologie de gauche pure – et nous sommes traumatisés par cela. Mais nous avons maintenant un autre traumatisme qui s’ajoute à cela, qui s’équilibre. Le traumatisme d’une idéologie de droite pure.

Les chefs des huit partis composant le nouveau potentiel gouvernement. De gauche à droite : Mansour Abbas, chef du parti Raam, Merav Michaeli, chefffe du parti Avoda, Benny Gantz, Yaïr Lapid, chef du parti Yesh Atid, Naftali Bennett, Gideon Saar, chef du parti Yisrael Beytenu, Avigdor Liberman et Nitzan Horowitz, chef du parti Meretz, à la Knesset, le 13 juin 2021. (Crédit : Ariel Zandberg)

Ne pensez-vous pas qu’il existe un troisième traumatisme, celui d’un gouvernement d’union nationale comme celui d’Ariel Sharon lorsqu’il a pu mener à bien le désengagement ?

En réalité, je pense le contraire. Je pense que l’histoire d’Israël nous montre que les gouvernements d’unité nationale sont des gouvernements qui réussissent très bien. Si nous regardons l’histoire d’Israël, nous voyons que nos plus grands moments ont été menés par des gouvernements d’unité nationale. Je suis sûr que la plupart de nos auditeurs ne le savent pas, mais la Guerre des Six Jours, l’une des plus grandes victoires d’Israël, a été menée par un gouvernement d’unité nationale. Levi Eshkol, le grand Premier ministre que nous avons eu, ne connaît certainement pas son nom, car une partie de sa grandeur a été de ne pas s’attribuer le mérite de la Guerre des Six Jours. Moshe Dayan, qui a rejoint le gouvernement, je crois, cinq jours avant la guerre, s’est attribué tout le mérite de la victoire et Levi Eshkol, qui a réellement mis sur pied l’armée qui a gagné la guerre, n’est pas mentionné dans les mémoires et je pense que c’est en partie la raison pour laquelle il était un grand dirigeant. Il donnait des crédits, il ne les volait pas. Et sa grande âme lui a permis de créer un gouvernement d’unité nationale. En d’autres termes, avant le début de la guerre, il a demandé à Menachem Begin de rejoindre le gouvernement et à Rafi, une certaine branche de la gauche, de rejoindre le gouvernement pour créer un gouvernement d’unité nationale. Et c’est ce gouvernement qui a gagné la guerre.

Entre 1984 et 1988, Israël était en grande difficulté. Plus de 400 % d’inflation par an. Et Israël était plongé dans notre version du Vietnam au Liban. Yitzhak Shamir et Shimon Peres se sont unis dans un gouvernement d’unité nationale très radical et ont réduit l’inflation. Ils l’ont ramenée de 400 % à des chiffres normaux et nous ont sortis du Liban.

Enfin, la Seconde Intifada a éclaté. Un gouvernement d’unité nationale a été créé, dirigé par les deux titans d’Israël : Arik Sharon, le grand Arik Sharon, et Shimon Peres. Sharon et Peres se sont lancés ensemble dans l’opération « Bouclier défensif » et ont anéanti la Seconde Intifada.

C’est une loi de l’histoire israélienne que nous n’avons pas encore remarquée : les gouvernements radicaux ont tendance à échouer. Les gouvernements d’unité nationale ont tendance à réussir. Le gouvernement actuel a deux défauts. Il est très radical et très extrémiste. C’est une combinaison très toxique. Mais je pense que si nous regardons l’histoire d’Israël, nous sortons maintenant de deux traumatismes, et cela nous pousse vers un centre qui pourrait nous pousser vers un gouvernement d’unité nationale. Et si des gouvernements d’unité nationale stables et importants sont créés à l’avenir, nous regarderons en arrière et dirons qu’ils ont été créés non pas à cause d’événements qui se sont produits dans le passé, mais à cause de la façon dont nous nous souvenons du passé, lorsqu’il y avait une idéologie de droite pure, une idéologie de gauche qui a conduit à la Seconde Intifada, une idéologie de droite pure qui conduit à une « Intifada interne ». Je veux dire métaphoriquement, oui, un chaos interne.

Ariel Sharon, deuxième à partir de la droite, commandant d’une division du Corps Blindé Mécanisé, dans le Sinaï pendant la Guerre des Six Jours. (Crédit : Israel Defense Force Archive)

Et je pense que ces deux traumatismes pourraient canaliser l’énergie de l’histoire israélienne vers le centre, vers des gouvernements centristes, des gouvernements modérés qui puisent dans ce consensus invisible qui nous permet de sortir de la fausse dichotomie pro-Bibi, anti-Bibi. Jérusalem, Tel Aviv. Conservateurs, libéraux. Pro-refonte, anti-refonte. Cette fausse dichotomie se transforme en un accord invisible où 60 à 70 % des Israéliens sont d’accord sur presque toutes les questions.

Notre capacité à exploiter le consensus invisible d’Israël dépend de notre capacité à former des gouvernements de large unité nationale. Je pense que le traumatisme de ce gouvernement donnera de l’énergie à l’histoire israélienne pour aller dans cette direction.

Micah, nous avons déjà pris trop de votre temps, mais c’est Tisha BeAv cette semaine et je me demandais si vous pouviez nous donner un petit aperçu de votre nouveau livre, The Last Words of Moses, qui vient de sortir en anglais.

Ce livre est étroitement lié à Tisha BeAv et à ces moments chaotiques que nous vivons en Israël. En effet, son dernier discours, dans le livre du Deutéronome, est le dernier discours de Moïse juste avant que le peuple d’Israël n’entre sur la Terre d’Israël. Il s’agit en fait d’un changement du peuple d’Israël, d’un changement politique. Dans le désert, ils étaient impuissants. Lorsqu’ils entrent en Eretz Canaan – ou Pays de Canaan – ils deviennent puissants. Et son dernier discours porte sur la manière de gérer le plus grand défi de tous les temps – être puissant – et sur la manière dont le pouvoir ne peut pas vous corrompre. Et Moshe (Moïse) leur dit que si le pouvoir les corrompt, leur souveraineté s’effondrera et ils seront exilés du pays.

Ce qui est intéressant dans ce discours, c’est qu’il est hors contexte. Dans ce qui suit, nous devons imaginer que le discours est prononcé devant le peuple d’Israël et qu’il est inquiet. Ils sont sur le point d’entrer en Israël, de conquérir Israël, de construire un royaume, de bâtir une monarchie. Et Moïse ne parle pas des défis de la guerre, de la conquête d’Israël, de la construction d’Israël. Il parle d’un autre défi : comment, une fois que vous avez tout construit, comment le faire perdurer ? « Si vous ne faites pas attention, tout va s’effondrer et vous serez exilés », leur avait-il dit.

C’est étrange, Amanda, comme il est intéressant de constater que ce qui préoccupait Moïse, ce n’était pas le défi d’entrer en Israël et de se battre pour construire Israël, mais le défi de le maintenir en vie et de ne pas perdre Israël. Parce que Moïse pensait que pour les Juifs, il est plus facile de construire le pays, mais qu’il est plus difficile de le maintenir en vie.

Lors de notre première tentative de souveraineté, nous l’avons perdue. Notre royaume a été divisé au cours de notre huitième décennie. C’était à l’époque des rois David et de Salomon. Lors de notre deuxième tentative de souveraineté, à l’époque des Hashmonaïm, le royaume a été divisé puis détruit au cours de la huitième décennie.

Aujourd’hui, nous en sommes à notre troisième tentative. Serons-nous plus malins que nous-mêmes ? C’est, je pense, la question la plus importante. Serons-nous plus malins que nous-mêmes ? Serons-nous capables d’écouter les dernières paroles de Moïse, notre sagesse ancienne, la sagesse de notre passé qui nous guidera pour ne pas reproduire le mal de notre propre passé.

Micah, merci beaucoup.

Merci à Amanda.

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