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    Interview

    Philippe Reigné : «La mention du sexe, quel qu’il soit, n’a plus sa place»

    Par Virginie Ballet

    Spécialiste des questions de genre, Philippe Reigné déroule les possibles répercussions d’une décision de justice qui autoriserait la création d’une case «sexe neutre» à l’état civil.

    Que se passera-t-il si la Cour de cassation dit oui à la création d’un «sexe neutre» à l’état civil ? Quel impact sur les lois actuelles reposant sur un système binaire ? A l’inverse, qu’est-ce qui pourrait bloquer les juges ? La France est-elle vraiment en retard sur ces questions ? Décryptage avec Philippe Reigné, professeur du Conservatoire national des arts et métiers, spécialiste des questions de genre (1).

    Le terme «sexe neutre» a-t-il déjà été évoqué en droit auparavant ?

    Le monde juridique, jusqu’à une date récente, utilisait surtout le terme «hermaphrodite», emprunté à l’ancien vocabulaire médical. Dans les années 80, la juriste Michèle-Laure Rassat avait proposé la création d’une troisième catégorie (2), qui ne serait ni masculine ni féminine mais regrouperait en quelque sorte les personnes difficiles à classifier. C’est-à-dire, selon elle, à la fois les personnes transgenres et intersexes («tous ceux dont le sexe n’est pas homogène», selon ses termes). Sauf qu’elle ne l’envisageait pas sous la forme d’une démarche volontaire des intéressés. Il s’agissait d’une position très isolée, à laquelle les spécialistes du droit sont généralement hostiles, car elle présente un risque de discrimination : s’il est inscrit «sexe neutre» ou «intersexe» sur l’acte de naissance, cette mention sera aussi présente via le numéro de Sécurité sociale et apparaîtra sur les papiers d’identité. Et donc il y a un risque de stigmatisation. C’est en tout cas ce que mettent en avant ceux qui s’opposent à la création d’une troisième catégorie. Cette hostilité est encore présente chez les auteurs modernes, car elle pose bien des questions. Par exemple, si l’on décide que la démarche de se faire reconnaître comme appartenant au «sexe neutre» est volontaire et que la mention ne peut être imposée, alors pourquoi le masculin et le féminin le seraient-ils ?

    Quels sont les autres points de blocage qui pourraient s’opposer à la création de cette nouvelle catégorie ?

    Le «sexe neutre» aurait un impact indéniable sur la filiation. Une évolution a été amorcée avec la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. En somme, le législateur a décidé que la filiation établie par l’adoption est désexuée. Dans ce cas-là, la reconnaissance du «sexe neutre» n’aurait aucun impact. A l’inverse, les autres modes de filiation, qui reposent sur une vraisemblance biologique, sont, eux, sexués : on parle de présomption de paternité pour le mari de la mère, de reconnaissance de paternité, de reconnaissance de maternité… Il faudrait revoir cette partie de nos textes en cas de reconnaissance du «sexe neutre», et désexuer tous les modes de filiation, ce qui serait à la fois lourd symboliquement et sensible politiquement, mais c’est la meilleure solution.

    Concrètement, que se passerait-il si la Cour de cassation disait oui ?

    Il y a deux cas de figure. Soit une solution générale : la Cour renoncerait au système binaire, au profit d’une classification tripartite (masculin, féminin et sexe neutre). Mais dans ce cas se poserait la question de savoir qui a le pouvoir de mettre les gens dans telle ou telle case : les médecins, des juristes, la société, un choix personnel ? Soit une solution particulière : la Cour pourrait décider qu’en l’espèce, sur ce cas particulier seulement, il n’y a pas d’obstacle à accéder à la demande du requérant, mais cela susciterait probablement d’autres demandes similaires. En fait, toute l’idée sous-jacente est de savoir s’il faut assouplir notre système actuel en matière de mention du sexe à l’état civil. Même si le législateur est récemment intervenu en simplifiant quelque peu les démarches des personnes trans, la binarité reste de mise.

    Comment expliquer que d’autres pays aient avancé là-dessus ?

    Il est vrai qu’il y a un mouvement important de remise en cause de la binarité. Mais à y regarder de plus près, ce bouleversement peut prendre plusieurs formes. Certains pays [Malaisie, Népal, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, ndlr] permettent un troisième sexe administratif mais qui n’implique pas forcément une mention à l’état civil. La différence avec la France, c’est que chez nous, tout est connecté : pour que la mention «neutre» apparaisse sur les papiers d’identité, il faut qu’elle soit inscrite à l’état civil. Par ailleurs, il faut prendre garde à ne pas tout mélanger, notamment en ce qui concerne le cas de l’Inde, qui n’a rien à voir avec la France. Le troisième genre y correspond à une caste, celle des hijras, qui est à la fois associée à l’hindouisme et à des traditions ancestrales. C’est une autre représentation du monde.

    Mais alors, est-ce que tout cela est inextricable ?

    Pour ce qui est d’accorder une reconnaissance sociale aux personnes intersexes, ma position personnelle serait de dire que la mention du sexe, quel qu’il soit, n’a plus sa place à l’état civil. Cette mention ne crée certes pas les discriminations, qui sont le produit de faits sociaux plus que juridiques, mais elle les accentue.

    (1) Auteur notamment du «Droit des enfants intersexués à l’intégrité physique», dans la Semaine juridique, édition générale, 2013.

    (2) «Sexe, médecine et droit», Mélanges offerts à Pierre Raynaud, Dalloz, 1985.

    Virginie Ballet
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