«Etre reconnu comme sexe neutre, je le fais pour moi et pour les autres»
Elevé comme un garçon, Gaëtan Schmitt a vite remarqué qu’il n’était pas comme ses camarades. Aujourd’hui âgé de 66 ans, il demande à la Cour de cassation de faire évoluer les mentions de sexe à l’état civil.
Un petit air bonhomme. Tout en douceur. En chaleur. Cheveux et barbe d’un blanc qui signent ses bientôt 66 ans. Lunettes en écaille. Voix enveloppante. Le corps emmitouflé dans des vêtements chauds, il a accepté de se montrer, pas en vrai mais via FaceTime seulement. Et surtout de raconter son combat pour enfin être reconnu tel qu’il est : un «sexe neutre». Le combat d’une vie qui, chaque jour qui passe, le renvoie à sa singularité.
«Tous les matins, tous les soirs quand je me déshabille et que je me vois nu, je m’administre la preuve que je suis un intersexe.» Micropénis, vagin rudimentaire, aucune fabrication d’hormones.
Gaëtan Schmitt, comme il souhaite qu’on l’appelle, est ainsi né, convaincu aujourd’hui qu’il est une chimère, le fruit d’une fusion entre un embryon mâle et un embryon femelle. Une douleur ? «Avant l’âge de 12 ans, je ne suis pas posé de questions. Mes parents m’ont déclaré de sexe masculin à l’état civil. Ils m’ont élevé comme un garçon. Et je ne savais pas vraiment ce qu’était une fille. Je vivais avec mes deux frères, mon père et, bien sûr, je ne voyais pas ma mère nue. Mais un jour, mon père m’a parlé. Et m’a dit que j’étais un grave problème pour lui et ma mère.» L’enfance bascule. Pour Gaëtan, le problème de la famille, c’était son petit frère atteint d’un handicap mental. «Mon père m’a dit que je relevais de la tératologie. J’ai cherché le mot dans le dictionnaire et découvert que c’était la science des monstres.»
«Humilié»
Sans «avoir encore pris vraiment conscience» de son état, Gaëtan se confie à un ami de son collège de garçons. «Il m’a fait chanter avec ces confidences. J’ai redoublé ma quatrième.» Il marque un temps d’arrêt. Manifestement, le coup a été rude. «Et puis les corps de mes camarades ont changé. Moi, je n’ai pas bougé. Seulement grandi. Comme je ne fabriquais pas de testostérone, je n’ai développé aucun des caractères sexuels secondaires masculins. Je ne peux pas dire que j’étais déprimé à cette époque. Je me concentrais sur mes études. Et mettais "ça" dans un coin de mon esprit. De fait, quand j’ai eu mon bac à 19 ans, je crois qu’on pouvait encore se dire en me voyant que j’avais simplement un retard de développement.»
L’entrée dans les études supérieures est plus raide. Le mal-être affleure. Il attaque hypokhâgne : «Une expérience terrible. J’étais perdu. Je n’y arrivais pas. On m’a fait passer un examen pour entrer à la fac. Je me suis senti humilié.» «Très déprimé», il s’accroche cependant et s’immerge dans le français du XVIe siècle. «Chez moi, on ne parlait pas beaucoup. Mais, à 22 ans, quand j’ai senti que ça ne pouvait pas continuer comme ça, je l’ai dit. Là, mon père m’a amené chez un médecin qui pratiquait l’hypnose. Pendant une séance, il m’a demandé : "Est-ce que tu es un garçon ?" Alors que j’étais un état second, j’ai crié : "Non !"» Le médecin stoppe la séance. Il pense qu’il a affaire à une fille. Direction l’hôpital des Enfants malades à Paris où Gaëtan subit une batterie d’examens. On lui conseille de se muer en femme. Il refuse : «J’ai compris que ça ne changerait rien. Que dans un cas comme l’autre, masculin ou féminin, ce n’était pas moi. Alors j’ai décidé de rester dans ma case de garçon, parce que c’était plus simple. J’avais un prénom masculin, j’avais été élevé en garçon. Même si mes parents ont passé leur temps à se demander ce que j’étais. J’étais très doux. J’aimais beaucoup les bébés. Et j’étais très lent.» Il rit de ces stéréotypes de genre qu’à l’époque on ne questionnait pas encore. Et poursuit : «Ils ont ménagé la possibilité que je sois une fille. Ma mère me faisait faire la vaisselle, la cuisine, à la différence de mes frères.» Le sourire s’efface.
La vie du jeune adulte Gaëtan n’est au fond que secret : «Surtout, je n’en parlais pas. Je ne me confiais pas. Et à cette époque, dans ma tête, je m’en tenais à un discours médical sur ma personne. Je me disais "j’ai un problème de développement sexuel, une malformation"… Je ne me disais pas encore simplement que j’étais un intersexe.» Il enchaîne les boulots : guide touristique, prof de français aux Etats-Unis…
A 35 ans, alors qu’il est fonctionnaire au ministère de la Culture, il se décide à consulter. Il n’a toujours pas de barbe. Seule sa voix a un peu mué. «La femme qui m’a reçu a explosé d’incompréhension. Elle était catastrophée que je n’aie pas reçu de traitement hormonal. Elle m’a poussé à en prendre un. Je me suis un peu masculinisé.» A son corps défendant. Mais il a de l’ostéoporose. «Je n’avais pas le choix», soupire-t-il avant d’attaquer un épisode plus joyeux de sa vie : la rencontre avec celle qui va devenir sa femme. A elle, il se confie sans être trahi. «Elle était soulagée de ne pas avoir à donner "un service sexuel". Ça lui convenait ainsi.» Il se marie à 42 ans. «Bien sûr nous n’avons pas de relations comme les autres couples. Mais énormément de tendresse, l’un envers l’autre. De l’amour. Elle m’accepte comme je suis, me soutient.» Le couple, qui renvoie l’image d’une union hétérosexuelle classique, parvient à adopter un petit garçon. «Il a 25 ans aujourd’hui. Je lui ai expliqué qui j’étais lorsqu’il a eu 17 ans. J’ai eu l’impression qu’il savait déjà. Il m’a écouté. Il a enregistré. Et nous n’en avons pas reparlé. Il va très bien. Nos relations sont douces et agréables.» Effacées les années à «être sur le fil du rasoir», à redouter d’être «coupé en deux, fille ou garçon», les coups de désespoir ? «Sans l’aide de la méditation transcendantale, je serais sans doute mort. Et pouvoir mettre des mots sur ce que je suis m’a aidé.»
«Responsabilité»
En 2006, enfin, Gaëtan découvre le terme «intersexe» et surtout la communauté qu’il recouvre. «Cette année-là, j’ai découvert Internet. Les associations d’intersexes. Enfin, je me suis senti moins seul, j’ai compris que l’intersexuation était plus répandue que ce que je croyais. Et je suis devenu un militant actif.»
Le «nouveau» Gaëtan est né. Prêt à se battre pour lui. Pour les autres aussi. «C’est un peu bizarre, je suis le plus vieux parmi tous ces gens qui veulent être reconnus pour ce qu’ils sont. Ou ceux de mon âge ont décidé de rester anonymes, ou ils sont morts. Je ne sais pas. Je me sens une responsabilité. Je sais juste que moi, j’ai eu la chance d’être né avant la vague d’opérations qui a commencé à la fin des années 50.»
Gaëtan n’a pas été «mutilé», coupé en deux, opéré pour devenir un garçon ou une fille : «A l’âge de 6 ans, on a exploré mon corps pour voir si j’avais des glandes sexuelles qui n’étaient pas descendues. Ils n’ont rien trouvé. J’ai encore une cicatrice sur le ventre, mais c’est tout.» Mais pourquoi ce combat maintenant, à un âge déjà un peu avancé, pour être reconnu comme «sexe neutre» ? «C’est un parcours pénible. Douloureux. Mais je le fais pour moi et pour les autres.» Gaëtan Schmitt a attendu le décès de sa mère, il y a cinq ans, pour se lancer. Un rassemblement d’intersexes au Luxembourg en 2012 lui a fourni des alliés. Là, Gaëtan rencontre le juriste Benjamin Puech-Moron, spécialiste de l’intersexuation, et Mila Petkova, qui va devenir son avocate. La machine est lancée. Après une victoire au tribunal de Tours qui lui accorde d’être un «sexe neutre» à l’état civil, il perd en appel à Orléans : «Je l’ai mal vécu. J’ai été malade. Problèmes aux bronches. Pied cassé. Le juge n’a pas voulu voir la réalité. Mais là, je vais mieux. Et j’ai très envie de gagner.»
-
Récit
Etat civil : un combat juridique de longue haleine Des voix s’élèvent pour l’ajout d’une troisième case sur l’acte de naissance et contre les traumatisantes opérations d’assignation sexuelle.
-
Libé des écrivains
Tous égaux devant la médecine… Surtout les hommes Penser le soin au féminin reste un progrès à mettre en œuvre. Les médicaments sont toujours testés sur les hommes, et donc pour eux, les affections touchant les femmes sont moins bien - ou pas du tout - étudiées.
-
Interview
Philippe Reigné : «La mention du sexe, quel qu’il soit, n’a plus sa place» Spécialiste des questions de genre, Philippe Reigné déroule les possibles répercussions d’une décision de justice qui autoriserait la création d’une case «sexe neutre» à l’état civil.
-
Récap
Décès d'Emmanuelli, démission de Le Roux et nouveaux soutiens pour Macron... L'essentiel de l'actu de ce mardi L'actu vous a échappé aujourd'hui ? On fait le point.
-
A chaud
Hollande prône l'interdiction des chirurgies sur les enfants intersexes Le président de la République a profité de recevoir des associations de lutte pour les droits LGBT à l'Elysée pour dresser un bilan un brin orienté de son quinquennat en la matière.
-
Tribune
L'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, ici et maintenant ! Si déjà en 2012, le Laboratoire de l'égalité interpellait les candidats à l'élection présidentielle pour signer leur «Pacte pour l'égalité», il renouvelle l'expérience aujourd'hui, en proposant une série de mesures qui rebattent les cartes.
-
Interview
Philippe Grimbert : «Allier la parole de l’analysant à celle de l’analysé est une aventure inédite» Déjà auteur du roman inspiré de sa propre vie «Un secret», le psychanalyste s’est plié à un exercice étonnant : intervenir par petites touches dans le livre autobiographique que sort l’un de ses anciens patients. Une façon selon lui de démythifier une discipline «qui a besoin de l’être, comme tout ce qui inspire une terreur sacrée».
-
Homophobie
Deux arrestations après la violente séquestration d'un militant LGBTI à Marseille Zak Ostman, militant LGBTI et réfugié algérien a été séquestré vendredi 3 mars et pendant près de 48 heures par deux hommes à Marseille. Il est passé à tabac et violé jusqu'à ce qu'il puisse s'échapper à l'aide de policiers, le dimanche 5 mars.
-
Récupération
Le Comité Orwell de Natacha Polony rattrapé par les ayants droit de l'écrivain Fondé en 2016 par plusieurs journalistes, le Comité Orwell, qui porte des idées souverainistes, lance une web TV. Une nouvelle exposition parvenue aux ayants droit de l'auteur de «1984», qui pourraient bien obtenir un changement de nom du comité.
-
CritiqUE
«Les Bas-Fonds», crépuscule des exclus A Sceaux, Eric Lacascade revisite la pièce de Gorki dans une mise en scène chorale qui illustre les affres de la précarité.