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    Interview

    Thomas Piketty : «Aux citoyens de reprendre le contrôle de l’Europe»

    Par Sonya Faure et Cécile Daumas, photo Diego Ravier (Hans Lucas)
    Thomas Piketty à Bruxelles, mardi.
    Thomas Piketty à Bruxelles, mardi. Photo Diego Ravier. Hans Lucas pour Libération

    Mondialement connu pour son livre «le Capital au XXIe siècle», l’économiste propose un nouveau traité pour démocratiser l’UE. Un projet porté par le candidat Hamon, qu’il conseille.

    C’est un autre traité, qui invite davantage à la réflexion qu’à la ratification. Alors que l’Europe célèbre ce samedi les 60 ans du traité de Rome (lire page 8-9), l’économiste Thomas Piketty sort en librairie ce qui pourrait être l’armature d’une future Europe plus politique, plus sociale, plus efficace. Nom de code : «T-Dem», Pour un traité de démocratisation de l’Europe (Seuil).

    Pourquoi avoir voulu écrire un traité et en faire un livre ?

    Pour susciter le débat. La réforme de la démocratie et du droit européens, c’est au citoyen de s’en saisir. A laisser ce sujet à d’autres, on fait le jeu du populisme, du marché, de tous ceux qui n’ont pas besoin d’une assemblée pour exister et défendre leurs intérêts. Nous devons convaincre les citoyens que le sujet de l’Europe leur appartient. Notre projet de traité est imparfait. C’est une base de discussion, notamment avec les autres candidats de la présidentielle. Aidez-nous à l’améliorer !

    Une des critiques contre ce traité, c’est de dire que c’est impossible.

    Publier ce traité, décrire sa faisabilité juridique, c’est justement tenter de contrer cet argument. On nous répète qu’on ne peut pas toucher à l’Europe, qu’on ne peut pas défaire les traités accumulés depuis soixante ans… mais on se trompe. Les institutions, en réalité, on les change tout le temps. La preuve, en 2012, au nom de l’urgence financière, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG ou «pacte budgétaire européen») a été signé en six mois. Ce texte a créé un carcan budgétaire extrêmement rigide par le biais de sanctions automatiques contre les Etats qui ne respectent pas les objectifs de réduction des déficits. Des centaines de milliards d’euros ont été injectés dans le mécanisme européen de stabilité (MES). Tous ces dispositifs ont été mis en place sans aucun volet démocratique. Notre raisonnement est le suivant : si l’urgence financière a permis de signer ces traités il y a cinq ans, l’urgence démocratique rend aujourd’hui impératif de négocier rapidement un traité de démocratisation.

    Une urgence démocratique ?

    Au fil des années s’est formé un «gouvernement» de la zone euro, informel et opaque, réunissant l’Eurogroupe des ministres des Finances, le directoire de la Banque centrale européenne, les hauts fonctionnaires de la Commission… Ce pouvoir s’est constitué hors de tout contrôle démocratique des Parlements européens et nationaux. Il faut sortir de cette situation qui a engendré un déficit de légitimité démocratique et une désaffection profonde des citoyens. Après le Brexit, il y a un risque réel d’explosion de l’Europe.

    La pièce maîtresse de votre traité, c’est la création d’une Assemblée de la zone euro, qui détiendrait un pouvoir décisif…

    L’Assemblée aura le dernier mot, notamment sur le vote du budget de la zone euro. L’Eurogroupe des ministres des Finances continuera à se réunir, il débattra avec l’Assemblée, mais à la fin des fins il faut trancher, et dans notre projet, c’est le rôle de l’Assemblée. Nous avons voulu en faire un vrai levier social. Le budget de la zone euro serait alimenté par un impôt sur les sociétés commun (même assiette, mais aussi même taux pour l’ensemble de la zone euro, ce qui n’empêche pas les pays de voter un taux additionnel pour leur propre budget). Ce serait la première fois que des Etats européens transféreraient leur souveraineté fiscale. Avec un objectif clair : mettre fin au dumping et promouvoir la justice fiscale.

    Cette architecture supranationale, n’est-ce pas une provocation dans le contexte actuel de repli identitaire ?

    Je crois justement que notre projet permettra aux citoyens de reprendre le contrôle de l’Europe - un de leurs soucis majeurs. Il n’y a jamais eu de «traité de démocratisation» en Europe. Mécanisme européen de stabilité, traité pour la stabilité en Europe, critères de Maastricht… Les traités ont toujours des noms incompréhensibles. Ou, plus précisément, des noms dont les gens ont fini par comprendre qu’ils étaient souvent synonymes de mauvaises nouvelles pour eux.

    L’Assemblée de la zone euro serait composée à 80 % de députés nationaux. Pourquoi ?

    C’est une façon de réconcilier l’Etat-nation et l’Europe. D’obliger les députés nationaux à se mettre dans le jeu et les empêcher de se défausser en disant que tout est de la faute de Bruxelles. Les Parlements nationaux sont le cœur de la souveraineté, ils sont ancrés dans des territoires, ils votent les impôts, les budgets, les systèmes de protection sociale. Il faut s’appuyer sur eux si l’on souhaite mettre en commun une partie de ces compétences. Les modalités peuvent être débattues. Mais les ignorer totalement serait une erreur et explique une part des blocages actuels.

    L’Assemblée fixerait aussi l’ordre du jour des sommets de la zone euro et le programme semestriel de travail de l’Eurogroupe ! C’est un pouvoir immense…

    On essaie de dépasser l’intergouvernemental, le pays contre pays, Schaüble contre Varoufákis, contre Sapin… Le système actuel empêche la décision. Il empêche aussi la délibération publique. Quand des individus (chefs d’Etat ou ministres des Finances) représentent à eux seuls 80 millions de personnes dans une négociation, ils ne peuvent prendre le risque que leurs opinions publiques découvrent comment ils ont dû «s’écraser» face à leurs homologues. Les exécutifs de chaque pays ne veulent pas montrer qui a dit quoi. Je ne crois pas les pessimistes qui affirment que les Européens ne pourront jamais s’entendre. Ce sont nos institutions qui nous dressent les uns contre les autres, nous inventent des conflits irrémédiables… Avec le Brexit, cela a pris des proportions inimaginables.

    Mais jamais les exécutifs de chaque pays accepteront de se faire hara-kiri…

    C’est pourquoi le T-Dem ne transfère que des compétences que les Etats ne parviennent déjà plus à mener à bien dans le cadre national. L’impôt sur les sociétés est un cas emblématique, qui a montré à quel point la souveraineté nationale est devenue une illusion. Tous les pays, y compris l’Allemagne et la France, se font ridiculiser par les multinationales qui trouvent sans cesse de nouvelles façons de le contourner. Si une puissance politique et économique du niveau de la zone euro (338 millions d’habitants, 10 000 milliards d’euros de PIB, du même ordre que les Etats-Unis) menaçait de sanctions Facebook ou Google, elle obtiendrait des résultats.

    Pourquoi avoir mis de côté la règle de l’unanimité pour ratifier le T-Dem ?

    Nous ne voulons pas qu’un petit nombre de petits pays puisse tout bloquer : il suffit donc que dix pays de la zone euro représentant au moins 70 % de la population le ratifient pour qu’il entre en vigueur. Cela signifie qu’en théorie, un grand pays comme l’Allemagne peut refuser de ratifier le T-Dem sans pour autant empêcher les trois autres «grands» (France, Italie, Espagne) d’avancer de leur côté. Dans les faits, évidemment, le plus souhaitable et probable est que les quatre grands pays, qui représentent 76 % de la population de la zone, s’y engagent. Mais en cas de blocage, cette règle des 70 % permet aux pays qui le souhaitent de montrer leur bonne volonté en lançant le processus.

    Vous optez clairement pour une Europe à deux vitesses ?

    Oui et il faut l’assumer, tout en restant très ouvert. Dès lors que de nouveaux pays voudront rejoindre la zone euro et le T-Dem, ils auront toute leur place dans cette Assemblée. Le but, c’est d’arriver un jour à une Europe à 27, voire à 28 si la Grande-Bretagne revient vers l’Union, et que l’Assemblée de la zone euro devienne l’Assemblée européenne tout court.

    Pour porter ce traité, vous avez votre champion, c’est Benoît Hamon.

    Hamon le soutient et l’assume totalement. Je crois que ça correspond bien à son goût pour la démocratie et la participation.

    En 2005, il était «noniste» lors du référendum sur une Constitution européenne.

    Et moi «ouiiste»… Je n’en suis pas particulièrement fier. Ce traité ne faisait que consolider des choses existantes, y compris des défauts institutionnels, et ne proposait rien de nouveau. Forcément, les gens ont voté sur le fait qu’ils étaient mécontents de l’Europe, ce qu’on peut comprendre. L’idée du traité de démocratisation serait au contraire d’entraîner les Européens vers des institutions nouvelles, un horizon de démocratisation et de justice sociale et fiscale.

    C’est idéaliste ?

    C’est aussi une question d’efficacité. Avec Maastricht, en 1992, on a voulu faire une monnaie unique sans Etat. On considérait que plus une monnaie était indépendante, mieux ça valait. En guise d’indépendance, celle-là n’aurait donc ni gouvernement, ni impôt, ni budget, ni parlement. Un tel système peut peut-être marcher par temps calme - et encore, ça se discute - mais en temps de grande tempête financière, ça ne fonctionne pas. C’est la grande leçon de la crise financière : de 2011 à 2013, alors que l’Europe instaure avec le TSCG le contournement de la démocratie par des règles automatiques, la croissance chute. Les Etats-Unis ont su être beaucoup plus pragmatiques. Face à la Banque centrale européenne, on a besoin de politique pour voter des budgets, un plan de relance, pour prendre des décisions permettant de s’ajuster à la conjoncture.

    Mais comment la France pourrait-elle imposer un tel traité à ses partenaires ?

    Il suffirait qu’un président français mette cette proposition sur la table et une dynamique s’enclencherait. L’Italie et l’Espagne ne demandent que ça depuis des années, mais la France les snobe en ne se consacrant qu’au couple franco-allemand. Quant à l’Allemagne, la démocratie parlementaire est au cœur de ses valeurs : ce pays ne peut pas rejeter sans se renier une Assemblée de la zone euro. Je suis persuadé que l’Allemagne attend en réalité que la France lui fasse enfin des propositions. Jusqu’ici, ce sont les Allemands qui ont présenté des projets d’union politique. Fischer, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères, en mai 2000, avait notamment fait un grand discours à Berlin dans lequel il proposait une Assemblée issue des Parlements nationaux, qui ressemblait beaucoup à celle que nous proposons. Avec le même argument : il faut construire l’Europe en s’appuyant sur les souverainetés parlementaires nationales, et non contre elles. A l’époque, la gauche française n’avait même pas daigné répondre. On s’est retrouvé avec le traité de 2005, hyperconservateur et peu démocratique.

    Pourquoi, en tant qu’intellectuel, vous exposez-vous autant politiquement ?

    C’est sur l’Europe que je m’engage, je m’y sens à ma place. Les chercheurs en sciences sociales ont pour fonction de faire des comparaisons historiques, remettre en perspective, montrer que oui, il y a toujours des alternatives. Dire qu’il n’y a qu’un seul chemin est faux. Mon livre le Capital au XXIsiècle rappelle que l’Europe s’est construite, dans les années 50, sur l’annulation des dettes publiques du passé, au bénéfice notamment de l’Allemagne. Une des grandes leçons de l’histoire, c’est de comprendre que lorsque les dettes publiques atteignent un niveau trop élevé, il faut savoir faire le choix de l’avenir. Les jeunes Grecs d’aujourd’hui ne sont pas plus responsables que les jeunes Bretons ou Bavarois de ce qu’ont fait leurs gouvernements il y a dix ou quinze ans. Leur faire repayer 4 % de PIB d’excédent primaire pendant des décennies, ce qui est toujours la position officielle de la zone euro, est économiquement absurde et politiquement suicidaire. Le conservatisme sur ces questions-là vient en partie d’une ignorance historique.

    C’est pour cela que vous souhaitez redonner aux citoyens la maîtrise de votre discipline, l’économie…

    Une partie de notre déception démocratique moderne vient du fait que les questions économiques ont été captées par une poignée d’experts, qui prétendent avoir construit une science tellement scientifique que personne d’autre ne peut en parler. C’est une blague complète car l’économie est une science sociale, comme l’histoire ou la sociologie. Tout ce qu’on peut faire, au mieux, c’est de rassembler des matériaux historiques et d’en tirer quelques leçons pour l’avenir, mais en restant très modestes. Car dans l’histoire, il y a plein de bifurcations possibles, plein de façons de régler une crise de la dette, une crise des inégalités. Remettre l’économie dans cette approche historique et politique peut être de nature à réconcilier les citoyens et la démocratie.


    Quelle Assemblée pour la zone euro ?

    - Le «traité de démocratisation» de l’Europe ne concernerait que les pays de la zone euro (dix-neuf aujourd’hui) qui souhaitent avancer rapidement vers une plus grande intégration démocratique et économique.

    - Le «T-Dem» créerait une «Assemblée de la zone euro», composée de membres de Parlements nationaux (quatre cinquièmes) et de membres du Parlement européen (un cinquième).

    - Il instaurerait un impôt sur les sociétés, commun aux pays de la zone euro. L’Assemblée voterait l’assiette et le taux de cet impôt, qui alimenterait le budget de la zone euro. Elle aurait le dernier mot sur le vote du budget.

    - Les dettes publiques supérieures à 60 % du PIB des Etats seraient mises en commun.

    - L’Assemblée aurait un rôle prééminent dans la procédure législative en matière de croissance, d’emploi, de convergence des politiques économiques et fiscales. Sur ces sujets, elle partagerait avec l’Eurogroupe l’initiative législative et posséderait un droit d’amendement. Au terme du processus de discussion, elle aurait le dernier mot.

    - L’Assemblée serait enfin associée aux nominations des principaux acteurs de la zone euro (présidence de la BCE, de l’Eurogroupe…).

    Sonya Faure , Cécile Daumas photo Diego Ravier (Hans Lucas)
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